Un tueur en série vient d'être assassiné. Hassan Nasrallah est mort dans l'explosion de son immeuble provoquée par l'armée israélienne. Il n'aura pas pu fêter, comme il s'apprêtait à le faire, le pogrom perpétré le 7 octobre 2023 par ses amis du Hamas. Il se réjouissait déjà des "festivités entourant le premier anniversaire du Déluge d’Al-Aqsa ". Il y a des hommes qui trouvent leur plaisir dans les actes les plus inhumains.
Quelques jours avant sa mort, l'hebdomadaire Franc-Tireur traçait son portrait (1).
"Visé par les opérations israéliennes, le chef et guide religieux du Hezbollah ne se contente pas de transformer le Liban en colonie de l’Iran, de commander des attentats ou d’abreuver le nord d’Israël de roquettes, il a toujours voulu l’escalade…" Et de rappeler qu' "il ne doit sa carrière de chef fanatique qu’à l’Iran et à son goût pour la violence armée". En 1982 - il a alors 22 ans - il participe à la création du Hezbollah, le « Parti de Dieu », inféodé à l’Iran. "L’année suivante, le parti signe son entrée sur scène avec deux attentats-suicides contre des forces militaires américaines (241 victimes) et françaises (58 victimes). Sa notoriété décolle avec les prises d’otages, parmi lesquels plusieurs Français." À 32 ans, le voilà nommé secrétaire général du Hezbollah. Il se donne deux missions : "expulser Israël du Liban (Tsahal y était entré en 1982 pour en déloger les combattants de Yasser Arafat) et détruire l’État hébreu. En secret, il nourrit une troisième ambition : étendre sa toile sur le Liban pour le transformer en province de l’Iran." En 1990, à la fin de la guerre, le Hezbollah refuse de déposer les armes, contrairement aux autres milices. C'est que cet antisémite et négationniste veut en finir avec Israël.
Au Liban, "la liste de ses victimes est longue, du Premier ministre libanais Rafic Hariri (et ceux qui enquêtaient autour de cet assassinat) à l’intellectuel chiite Lokman Slim, en passant par des juges, des journalistes, des députés ou même de simples quidams risquant de mettre des bâtons, voire de simples brindilles, dans ses roues". Sous son égide, le Hezbollah ne fait pas de quartier. Il faut dire que l’assassinat de Rafic Hariri a failli le faire vaciller. En 2006, après le départ un an auparavant du Liban des troupes syriennes qui le protégeaient, il déclenche une guerre contre Israël. "En trente-trois jours, le Liban est détruit, mais Nasrallah clame la « victoire divine ». Le voilà, enfin, maître du pays." Le Hezbollah, affirme encore Franc-Tireur, était devenu l’organisation « narco-islamiste » la mieux dotée au monde : près de 1 milliard de dollars par an grâce au trafic de drogue. Le Hezbollah de Nasrallah a, avec l'aide de la Russie de Poutine, sauvé le dictateur Bachar al-Assad, au prix de massacres et de crimes contre l’humanité. Mais qu'importait pour lui l'humanité ?
Voilà l'homme dont la mort est aujourd'hui pleurée par certains Libanais et fêtée par d'autres. Cet assassinat mettra-t-il fin à la guerre que se livrent Israël et le Liban ? On aimerait le croire, mais on reste (très) sceptique. "Cette guerre nous met face à une équation impossible", écrivait le 22 septembre (avant sa mort donc) le quotidien libanais L'Orient-Le Jour (2) qui affirmait alors qu'on ne peut oublier ce qu'est le Hezbollah, qu'on ne peut pas le confondre, comme le fait le gouvernement israélien, avec le Liban, qui rappelait que c'est ce même Hezbollah qui a ouvert un font de soutien à Gaza dès le 8 octobre en prenant le Liban en otage "des calculs de l'axe iranien". On ne peut, écrivait encore L'Orient-Le Jour fermer les yeux sur tous les coups de force du Hezbollah, sur toutes les fois où Nasrallah a menacé de déclencher une guerre civile, sur tous les assassinats dans lesquels il est accusé - "non sans raison" - d'avoir joué un rôle majeur, sur son implication probable dans l'importation et le stockage du nitrate d'ammonium qui a explosé dans le port de Beyrouth en août 2020 (235 morts, 6.500 blessés, 300.000 sans abri). "On ne peut pas non plus oublier que le sort des civils était le cadet de ses soucis quand il commettait les pires crimes de guerre pour permettre à son allié syrien de survivre."
"Mais en face, c'est Israël. Israël qui a détruit Gaza, qui a tué des Palestiniens par dizaines de milliers, qui occupe et met à feu la Cisjordanie et qui promet le même sort au Liban. On peut vouer le Hezbollah aux gémonies, ce sont bien des Libanais, quelle que soit leur communauté, qui sont et vont être tués par l'armée israélienne. C'est bien le Liban qui sera détruit si le Hezbollah est défait."
Le quotidien estime qu'il fallait dès le départ s'opposer à un front de soutien au Hamas, "qui ne sert ni les intérêts du Liban, ni même celui des Palestiniens", mais qu'il fallait le faire "dans une logique d'ouverture et de compréhension de ce qui se passe dans la région", "penser collectivement au rôle que le Liban, et non le Hezbollah, devait jouer dans cette séquence". Il appelle les responsables politiques libanais (y en a-t-il encore dans cet Etat qui n'en est plus qu'une ombre ?) à sortir de leur rôle passif en appelant le Hezbollah à mettre fin à cette guerre sans chercher à l'humilier. Tout faire pour prévenir le pire. En est-il encore temps ?
(1) Joseph Khoury et Michaël Prazan, "Demi-mollah", Franc-Tireur, 25.9.2024.
(2) Anthony Samrani, "Est-il déjà trop tard ?",
L'Orient-Le Jour , 22.9.2024, in
Le Courrier international, 26.9.2024.
A écouter et lire à propos de l'attaque aux bipeurs et des crimes commis par le Hezbollah, le dernier billet de Sophia Aram :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-23-septembre-2024-2438552Post-scriptum : à lire dans
Le Monde Nasrallah, adulé et haï :
https://www.lemonde.fr/guerre-au-proche-orient/article/2024/09/30/dans-le-monde-arabe-des-reactions-a-fronts-renverses-qui-refletent-la-double-dimension-du-hezbollah_6339243_6325529.html