lundi 29 septembre 2025

Puissants comme misérables

L'ancien président de la République Nicolas Sarkozy a donc été condamné par la justice et sera prochainement emprisonné. Le soir-même, sur le plateau du Journal de France 2, un de ses lieutenants s'indignait : cette condamnation est grave parce qu'elle prouve que la séparation des pouvoirs n'existe pas. On a du mal à le comprendre : on y voit plutôt la preuve qu'elle existe, que la justice est capable, en toute indépendance, de condamner ceux qui votent les lois et sont censés les faire respecter. Cette condamnation, rappelait ce matin sur France Inter (1) Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Paris, s'appuie sur plus de dix ans de procédure et un jugement de 400 pages qui en détaille minutieusement les raisons. Ce qui n'empêche pas les critiques en nombre et la dénonciation de "la République des juges". Eh quoi ? Seuls les politiques devraient donc échapper à la justice ?

Certains ont été jusqu'à adresser des menaces de mort à la magistrate qui a présidé l'audience. "Ce qui se passe dans notre pays aujourd'hui est grave, c'est une véritable dérive dans notre démocratie", se fâchait ce matin Peimane Ghaleh-Marzban. "Concevez qu'une magistrate qui a statué dans une collégialité, trois magistrats, à l'issue de débats dont tout le monde a salué la qualité, même les avocats de Nicolas Sarkozy... Et aujourd'hui, cette magistrate fait l'objet de menaces de mort. On a dit qu'une décision de justice était une atteinte à l'État de droit : non, ce qui est une atteinte à l'État de droit, ce sont des menaces contre les juges. C'est inacceptable et ça devrait être un électrochoc dans notre pays."
Suite à la condamnation du Rassemblement national dans l'affaire des assistants parlementaires, des menaces de mort avaient déjà été adressées à des magistrats. Ces menaces sont, hélas, dans l'air du temps qui veut que les désaccords ne donnent pas lieu à des débats ou des contre-argumentations, mais à des menaces, voire des coups. 

"Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", écrivait Jean de La Fontaine dans "Les Animaux malades de la peste". Cette morale est mise à mal par cette condamnation de Nicolas Sarkozy, comme elle l'a été dans d'autres affaires touchant des élus et des mandataires tant de droite que de gauche (2). Mais certains refusent de le voir. Les mêmes qui trouvent la justice laxiste la critiquent si elle condamne l'un des leurs. 

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-29-septembre-2025-1130494
(2) A écouter ou lire, l'éditorial de Patrick Cohen ce matin :

mercredi 24 septembre 2025

Cherchez l'erreur

Il fait la guerre aux migrants, aux femmes, aux transsexuels, aux Démocrates, à la gauche, au climat, à la science, à la culture, à l'ONU, aux antifascistes, aux humoristes, aux pacifistes, aux journalistes, à l'écologie, aux règles démocratiques, aux escalators, aux télé-prompteurs, à tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Il mène une guerre économique contre tous les autres pays. Il a rebaptisé le ministère de la Défense en ministère de la Guerre. Il a un grand rêve : obtenir le Prix Nobel de la Paix. Le pire, c'est que le Père Ubu américain est vraiment convaincu qu'il le mérite.

Note : il est vrai que le 18 septembre à Londres le Père Ubu s'est vanté, devant le Premier ministre britannique, d'« avoir résolu le conflit entre l’Aber-Baidjan et l’Albanie » ! (1)

Post-scriptum du 30 septembre : Trump a déclaré que ne pas lui attribuer le Prix Nobel de la Paix serait insulter les Etats-Unis. Il est à lui seul les Etats-Unis.

lundi 22 septembre 2025

Impasse des religions

Après d'autres pays, la France s'apprête à reconnaître l'existence de l'Etat palestinien. Une reconnaissance symbolique qui ne règlera rien. Bien sûr, il est indispensable d'affirmer la volonté de la communauté (on a du mal à croire à la réalité de ce terme) internationale de voir le peuple palestinien être maître de son destin. Mais Israël ne veut pas d'un Etat palestinien à ses côtés. Pas seulement le gouvernement Nétanyahou, mais une majeure partie de l'opinion publique israélienne. Tandis que les Palestiniens, de leur côté, ne veulent pas dans leur majorité de l'Etat israélien. 

On n'est pas surpris d'entendre Nétanyahou déclarer que "aucun Etat palestinien ne verra le jour à l’ouest du Jourdain". Il a de plus "confirmé, dimanche, écrit Le Monde (1), sa volonté d’amplifier la colonisation des territoires occupés en Cisjordanie – un objectif qui figurait déjà dans la plateforme de la coalition gouvernementale fin 2022". Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale, d'extrême droite, estime, quant à lui que "la reconnaissance d’un Etat palestinien par des pays comme le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie (…) impose une réponse immédiate : l’annexion immédiate de la Judée-Samarie ». Il appelle également au "complet démantèlement de l’Autorité palestinienne".

Des reconnaissances inconditionnelles (la libération des otages serait logiquement une des conditions qui devraient être imposées) de l'Etat palestinien sont rejetées par l'opposition israélienne. "Depuis deux ans, écrit encore Le Monde, les sondages montrent que l’idée d’une solution à deux Etats – soutenue par une minorité des Israéliens juifs avant même le 7 octobre 2023 – est très largement rejetée. « En tant que familles qui aspirent profondément à la paix dans la région, nous pensons que toute discussion sur la reconnaissance d’un Etat palestinien doit être subordonnée à la libération immédiate de tous les otages. Il ne s’agit pas seulement d’une condition préalable, mais d’un impératif moral et humanitaire », ont condamné, dimanche, les familles des otages, habituellement très critiques de la politique du gouvernement." La droite, le centre et la gauche rejettent également, dans les conditions actuelles, la reconnaissance de l'Etat palestinien.

Selon les sondages, une majorité de Palestiniens s'opposent à la solution à deux états, en partie pour des raisons religieuses. Le partage de la Palestine contredirait les textes sacrés de l'islam. "Cette terre est islamique et il n'est absolument pas permis de l'abandonner, affirmait hier sur Arte (2) Abdel Hamid, imam de la Grande mosquée de Ramallah. C'est un waqf islamique reconnu dans la religion musulmane et il est absolument impossible de s'en défaire, ni en partie ni en totalité. Il n'y aura jamais de coexistence entre l'islam et le sionisme." 

Bref, tout le monde se rejette et refuse de reconnaître celui d'en face. La solution à deux Etats, pour logique et attendue qu'elle soit, n'est pas près de voir le jour et la paix n'est aucunement envisagée. Les religions ont aujourd'hui pris la main dans ce conflit. "Il ne s’agit pas d’un retour, estime Haoues Seniguer, professeur des universités en histoire contemporaine des relations internationales à l’université de Montpellier Paul-Valéry (3), car le religieux a toujours été présent dans cette zone du monde marquée par une forte imprégnation du sacré. Néanmoins, le développement d’un religieux létal est beaucoup plus récent. Dans le monde arabe, il apparaît consécutif à la défaite de la guerre des Six-Jours, en 1967. L’échec idéologique et matériel du nationalisme arabe a fait le lit du retour d’une religion idéologisée, tandis qu’en Israël l’absence de solutions pérennes et acceptables sur la Palestine a fait fructifier une rhétorique religieuse agressive. L’hypothèse en toile de fond de mon ouvrage est que, dans le conflit israélo-palestinien, l’absence de solution politique fait le jeu d’un religieux ensauvagé. Moins les solutions politiques se profilent pour une résolution pacifique du conflit, plus la rhétorique religieuse est mobilisée face à des institutions qui ne jouent plus leur rôle, sur le plan tant national que mondial – avec la faillite du droit international."

Hier, à Châteauroux, quelque 80 personnes manifestaient, ensemble mais à distance, pour réclamer la paix à Gaza. "Dans le cortège, les fractures de la gauche étaient à vif", écrit La Nouvelle République (4) qui cite une élue LFI  interrogée sur ses relations avec le PS : "De moins en moins frères, de plus en plus ennemis". Comme l'écrit la NR, "quelle qu’en soit la raison, cela traduit que même pour des enjeux de paix, c’est la guéguerre qui règne à gauche". Avec de tels soutiens, la paix au Proche-Orient attendra.

(2) https://www.arte.tv/fr/videos/128952-000-A/la-palestine-cet-etat-qui-n-en-est-toujours-pas-un/
(3) https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2025/09/21/haoues-seniguer-politiste-l-absence-de-solution-politique-dans-le-conflit-israelo-palestinien-fait-le-jeu-d-un-religieux-ensauvage_6642188_6038514.html
Haoues Seniguer est l’auteur de "Dieu est avec nous ! Le 7-Octobre et ses conséquences. Comment les religions juive et islamique justifient la violence" (Le Bord de l’eau, 280 pages, 20 euros).
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/chateauroux/a-gauche-on-manifeste-pour-la-paix-ensemble-mais-separe-a-chateauroux-1758468612

samedi 20 septembre 2025

Fini de rire

Ce monde est de plus en plus difficile à comprendre. Voilà qu'on n'a plus le droit de rire des bouffons. Donald Trump est risible. On ne peut s'empêcher d'en rire quand on le voit dans sa position habituelle, l'air rogue, penché vers l'avant, les mains pendantes entre les genoux. Il a toujours l'air de ne pas partager ou même de ne pas comprendre ce que dit son interlocuteur. Quand il sort d'un avion ou qu'il entre dans une pièce, quand il prend la parole, c'est avec l'air le plus mauvais qu'il puisse se donner. On dirait un dogue prêt à attaquer. Mais le bouffon qui ne rit jamais interdit qu'on rit de lui ou qu'on le critique. C'est peut-être son côté soviétique. En tout cas il s'affirme de plus en plus comme un autocrate.

Récemment, Jimmy Kimmel, l’animateur d’un late-night show sur ABC a été suspendu par sa chaîne pour avoir reproché à la sphère MAGA d’exploiter politiquement le meurtre de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. "C'est une excellent nouvelle pour l'Amérique, a aussitôt commenté le petit président Trump. Félicitations à ABC d'avoir finalement eu le courage de faire ce qui devait être fait." Auparavant, c'est CBS qui avait décidé l'arrêt de l'émission de Steven Colbert, animateur jugé trop critique, lui aussi, du Père Ubu américain. Seuls ceux qui se sentent peu sûrs d'eux-mêmes jouent ainsi les censeurs et abusent des menaces contre la liberté d'expression et la liberté de la presse. Trump vient de porter plainte contre le NewYork Times pour diffamation, il réclame 15 milliards de dollars. Il estime qu'il a contre lui 97% de la presse et annonce qu'il compte suspendre les licences des chaînes télé qui le critiquent. Le bouffon est décidément de moins en moins drôle.

C'est Le Monde qui l'écrit (1) : "l’administration de Donald Trump s’est lancée dans une nouvelle croisade contre la presse. Dans un e-mail envoyé aux médias, le Pentagone exige des journalistes qu’ils s’engagent à ne pas recueillir ni publier d’informations sans autorisation préalable, a révélé The Washington Post, vendredi 19 septembre. Le département de la défense américain avertit qu’il révoquera les accréditations de presse de ceux qui ne se conforment pas à cette mesure, s’il considère qu’il y a une menace pour la sécurité nationale."
Trump et sa clique (qui est aussi sa claque) ont le droit de tout dire, même les informations les plus fausses. Mais leur parole est sacrée. La critiquer, c'est désormais blasphémer. Blasphémons ! Blasphémons !

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/20/le-pentagone-veut-imposer-aux-journalistes-son-autorisation-avant-la-publication-d-une-information_6641927_3210.html

mercredi 17 septembre 2025

Répétition des gâchis

A Gaza, l'horreur répond à l'horreur. Le jusqu'au-boutisme au jusqu'au-boutisme. Ne peut-on répondre à la folie furieuse qu'en étant soi-même fou furieux? Les Hommes n'apprennent-ils donc rien de l'Histoire ?
Ce mardi, la chaîne Histoire diffusait le documentaire de Thomas Sipp "Opération Barbarossa", cette campagne que mena l'armée allemande fin 1941 pour tenter de conquérir l'URSS. L'armée soviétique se croyait invincible, elle s'est avérée désorganisée, mal dirigée et sous-équipée. Hitler, lui, n'allait faire qu'une bouchée de l'URSS. Après une avancée fulgurante, ses troupes se sont embourbées, se sont laissé piéger par l'hiver et finalement elles aussi étaient sous-équipées et sous-alimentées. La retraite de Russie de Napoléon ne leur avaient pas servi de leçon. Au bout du compte, les chefs ne gagnent rien, les militaires et les populations civiles perdent tout. Et le compte est cruel : les pertes en vies humaines se sont chiffrées en millions.
Les stratèges étaient mauvais, aveuglés par leur prétention. Chacun se croit plus fort que son adversaire, convaincu de mener une opération éclair. Mais l'éclair dure des années et le triomphe attendra. Au bout de la guerre, un gâchis immense.

On pense à Poutine, aux dirigeants du Hamas, à Netanyahou, tous aussi inconséquents. Poutine, piètre stratège, pensait occuper l'Ukraine en trois jours. Le coût en vies humaines, ukrainiennes comme russes, lui importe peu. Le nouveau tsar n'a aucune intention de conclure la paix, pas plus que de préserver son peuple. Israël ne vaincra jamais le Hamas. Sa guerre jusqu'au-boutiste est en train de fabriquer de nouveaux combattants terroristes qui voudront venger leurs morts. Le Hamas savait pertinemment que son pogrom du 7-octobre se retournerait contre les habitants de la bande de Gaza. Mais il les a sacrifiés pour atteindre son objectif premier : la disparition de l'Etat israélien. Son antisémitisme passe avant l'intérêt des Palestiniens. Netanyahou, lui, sacrifie les derniers otages israéliens et se met à dos une bonne partie de l'opinion publique internationale, ce qui était l'objectif du Hamas. Et les juifs un peu partout en paient le prix, même s'ils sont très critiques par rapport à la politique du gouvernement Netanyahou, même s'ils n'ont strictement rien à voir avec cette guerre. Mais l'antisémitisme est décidément éternel et n'attend que des occasions comme celle-ci pour pouvoir s'exprimer librement.

Dans le documentaire sur l'opération Barbarossa, cette phrase : "il y a deux choses qui peuvent unir les hommes : les idéaux communs et la criminalité partagée". Mais l'heure n'est pas aux idéaux.
Résumons-nous : l'Homme est un triste sire sans mémoire.

dimanche 14 septembre 2025

Une culture politique dépassée

On a parfois l'impression que la France ne serait pas ce qu'elle est si tout n'y était pas compliqué. Sauf la formation d'un gouvernement. Chaque parti a la solution : c'est à lui de le mener. Le ixième gouvernement de Macron II n'était pas encore tombé que déjà on se bousculait pour revendiquer le poste que François Bayrou se préparait à abandonner. Le Parti socialiste le réclamait parce qu'il fallait mettre la barre à gauche. Bruno Retailleau se dépêchait de s'y opposer : pas question de gouverner avec la gauche. Et voilà que dans les heures qui suivaient la chute de Bayrou, le président Macron sortait de son chapeau un de ses proches. Sébastien Lecornu est maintenant un néo-premier ministre à la tête d'un gouvernement démissionnaire avec mission pour lui d'en créer un nouveau. Gabriel Attal, ex-premier ministre (les ex-premiers de Macron pourront bientôt créer une équipe de football) avait proposé que soit nommé d'abord un négociateur, mais il était bien le seul à le souhaiter. C'est pourtant ce qui se passe dans la plupart des pays démocratiques : en général, après des élections ou après la chute d'un gouvernement, le chef de l'Etat désigne un négociateur (1) qui sera chargé de réunir autour de la table différents partis qui formeront une majorité parlementaire et se mettront d'accord sur un programme de gouvernance. Les tractations peuvent ainsi durer des semaines, voire des mois, mais finissent par accoucher d'un projet commun dans lequel chacun trouve des motifs de satisfaction, mais aussi, évidement, d'insatisfaction. Cela s'appelle un compromis. Un terme très conspué en France et pourtant inhérent à la démocratie. Un couple, une famille, une association, un groupe d'amis ne tient que par des compromis. Mais en France le président nomme d'emblée un premier ministre plutôt que d'inviter les partis à négocier.

La négociation et la recherche de compromis n'appartiennent pas à la culture politique française. Le système majoritaire sur lequel repose la politique française depuis 1962 donnait la majorité tantôt à la droite, tantôt à la gauche. Les partis du centre penchaient d'un côté ou de l'autre et ceux des extrêmes ne représentaient que des broutilles. Mais aujourd'hui, le fait majoritaire est mort, remplacé par une tripartition (voire une quadripartition) du paysage politique. Ce qui n'empêche pas les uns et les autres de refuser de voir la réalité en face.
"Si la plupart de nos voisins européens ont appris à gérer avec patience et doigté l’éclatement de leur paysage politique, écrit Anne Chemin dans Le Monde (2), la France semble en revanche tout ignorer de son « mode d’emploi », selon le mot du constitutionnaliste Denis Baranger. Depuis 2022, aucun responsable politique n’est parvenu à construire avec ses partenaires une feuille de route détaillée, une majorité de coalition solide et un gouvernement pluraliste. Dans le monde parlementaire français, où tout compromis passe pour une misérable compromission, le fantasme de la majorité absolue continue donc à hanter les responsables politiques – comme s’ils ne parvenaient pas à faire le deuil des premières décennies de la Ve République."
Comme l'écrit encore Anne Chemin, si la France est désormais ingouvernable, c'est aussi parce que les responsables politiques organisent eux-mêmes le blocage des institutions : "au lieu de négocier des compromis, l’« hyperprésident » Emmanuel Macron convoque en tête à tête, à l’Elysée, les figures politiques dont le profil a l’heur de lui plaire, tandis que les partis jurent leurs grands dieux que, malgré leur incapacité à atteindre la majorité absolue, jamais ils ne renonceront au moindre centimètre de leurs alliances électorales et de leurs programmes de campagne".

Dans le sytème majoritaire qui prévaut toujours en France sans plus être efficace, les partis de gauche d'un côté, de droite de l'autre, concluent des accords pré-électoraux dont ils se retrouvent ensuite prisonniers. Difficile de négocier avec un parti de l'autre bord sans trahir ces accords et ses (ex)partenaires. L'union de la gauche est morte (et qui pouvait croire sérieusement à sa réalité avec un parti à son extrême dont l'objectif premier, son gourou en est fier, est de faire un maximum de bruit ?), mais les partis de gauche veulent toujours y croire et ne sont donc pas prêts à négocier avec des partis du centre ou de droite.
"Est-il vraiment raisonnable de s’obstiner à faire « comme si » une majorité absolue pouvait un jour renaître de ses cendres alors que le paysage politique des démocraties européennes est de plus en plus fragmenté ?, interroge Anne Chemin.  Puisque les institutions ne sont pas en cause – la Ve République est parfaitement compatible avec un gouvernement de coalition –, la clé de ce mystère réside sans doute du côté de la culture politique."
Elle cite le constitutionnaliste Bastien François, pour qui "le blocage est « dans les têtes, à gauche comme à droite ». La France a un « problème de culture politique, pas de droit », renchérit le constitutionnaliste Dominique Rousseau. « La tradition française est fondée sur le conflit, que ce soit dans les entreprises, dans les syndicats ou dans le monde politique, conclut le constitutionnaliste Olivier Beaud. Tout compromis est considéré soit comme une terrible trahison, soit comme une lâche compromission. Il est donc difficile de trouver des partis de l’arc républicain prêts à s’engager dans des logiques de coalition. »".

De nouvelles élections, comme les réclament des partis et de nombreux citoyens ne changeraient vraisemblablement pas la donne si les règles ne sont pas modifiées auparavant. Par exemple, l'instauration de la proportionnelle. "La proportionnelle aurait le mérite d’obliger les responsables politiques à changer de logiciel, affirme le politiste Florent Gougou (3). Pourquoi ? Parce qu’ils sauraient, avant même que les électeurs se rendent aux urnes, que la majorité absolue ne peut pas être atteinte par un seul parti – et donc qu’il faudra, pour constituer un gouvernement, s’engager, après les élections, dans une négociation. Ce serait un changement majeur : les dirigeants ne pourraient plus proclamer, comme beaucoup le font actuellement, qu’ils gouverneront uniquement sur la base de leur propre plateforme."

La négociation oblige à plus d'humilité, à reconnaître qu'on ne détient pas la solution idéale, à accepter de lâcher du lest et à travailler avec celles et ceux qui étaient hier encore des adversaires. Ceci dit, la proportionnelle ne règle cependant pas tout. Ainsi la Région bruxelloise est toujours sans gouvernement (sinon un gouvernement en affaires courantes) depuis juin 2024, victime d'un système électoral d'une complexité absurde et de jeux politiques malsains de certains partis. Triste spectacle. Aussi. 

"Tout est identité désormais. Chacun avec la sienne, prêt à anéantir celle de l'autre. (...) On vit pas ensemble en restant derrière nos ordis à insulter celui ou celle d'à côté, on survit ensemble en se disant que ce serait mieux sans les autres. C'est là où nous en sommes. Et hier, j'ai vu des hommes et des femmes politiques incapables d'aller les uns vers les autres. Ils ne font plus l'époque, ils sont le reflet de leur époque." L'humoriste Tangy Pastureau, parlant des réseaux dits sociaux au lendemain de la chute du gouvernement Bayrou (4).

(1) en Belgique, le vocabulaire est riche en la matière : informateur, explorateur, clarificateur, démineur, préformateur, formateur !
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/09/comment-la-majorite-absolue-est-devenue-la-drogue-dure-du-monde-politique-en-france_6640159_3232.html
(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/12/le-chaos-gouvernemental-n-est-pas-lie-a-l-absence-de-majorite-a-l-assemblee-mais-aux-pratiques-des-responsables-politiques_6640500_3232.html
(4)  https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-mardi-09-septembre-2025-6386141


jeudi 11 septembre 2025

The sky is the limit

Le tueur en série Poutine n'a aucune limite. L'Ukraine ne lui suffit pas. Voilà qu'il a envoyé dix-neuf drones en Pologne. Même s'il s'en défend. C'est pas moi, dit comme à son habitude le tsar irresponsable. Ses drones n'ont plus besoin d'ordre, ils connaissent leur mission : s'en prendre aux nazis. Ils en voient partout à l'ouest. L'Occident n'est qu'un nid de nazis qu'il faut détruire comme des frelons asiatiques. 

Vu le nombre de drones, difficile de croire qu'il s'agit là d'une erreur. "Dix-neuf drones, c’est beaucoup pour une erreur, et ce n’est pas beaucoup pour une attaque, affirmait ce matin sur France Inter l'éditorialiste Pierre Haski (1). Les attaques contre les villes ukrainiennes mobilisent désormais des centaines de ces engins explosifs. D’où l’hypothèse d’un test, pour évaluer la capacité de réponse de l’OTAN, la disponibilité des alliés de la Pologne, ou de tout autre pays frontalier, à voler à leur secours. A tester aussi les réactions américaines." Cette incursion a provoqué la mobilisation de plusieurs pays de l’OTAN : deux avions néerlandais ont participé à la chasse aux drones aux côtés de l’aviation polonaise à la chasse, un avion-radar italien a été mobilisé, un avion-ravitailleur de carburant de l’OTAN a décollé et une batterie anti-aérienne Patriot allemande a été activée. Mais elle a aussi, dit-il "montré la faible préparation de l’alliance. Varsovie parle de « provocation » et l’incident va pousser à accélérer la marche vers la défense européenne."
Seuls quatre de ces dix-neuf drones, de conception iranienne et produits en Russie, ont été détruits. C'est peu. "L’incident montre (...) une faible préparation de l’OTAN, constate Pierre Haski. Que se serait-il passé s’il s’était agi d’une attaque massive semblable à ce que vit l’Ukraine ? L’impact aurait été dévastateur."

Donald Tusk, le premier ministre polonais, est très inquiet : cette « action russe » est de nature à « nous rapprocher plus que jamais d’un conflit ouvert comme cela n’a jamais été le cas depuis la seconde guerre mondiale » (2). Aussitôt, le ministère russe des affaires étrangères a accusé la Pologne de vouloir « aggraver » le conflit en Ukraine en propageant des « mythes » concernant l’intrusion de drones dans l’espace aérien polonais. De son côté, Donald Trump roule des mécaniques en disant qu'il n'est pas content. On a compris depuis longtemps que c'est tout ce qu'il est capable de faire. Tant que le Père Ubu dirigera les Etats-Unis, l'Europe ne doit compter que sur elle-même. Oui, il y a une extrême urgence à construire une Europe de la défense et à envisager tous les cas de figure. Avec le psychopathe russe, ils sont innombrables.

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-jeudi-11-septembre-2025-8150223
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/11/l-otan-face-au-dilemme-de-la-multiplication-des-provocations-militaires-russes_6640365_3210.html



samedi 6 septembre 2025

Sales gamins

Ce monde est rassurant. Lors de la récente et joyeuse réunion des deux enfants que sont Xi Jinping et Poutine et du bébé Kim Jong-un, les deux premiers se sont félicités que "pendant le siècle en cours, il pourrait être possible de vivre jusqu'à 150 ans" et que "avec le développement de la biotechnologie, les organes humains peuvent être transplantés continuellement, les gens peuvent rajeunir en vieillissant, et pourraient même devenir immortels" (1). Selon le dirigeant chinois, "aujourd'hui, à 70 ans, on est encore un enfant". Xi Jinping et Poutine ont tous deux 72 ans et Kim Jong-un en a 43. Les deux premiers peuvent donc espérer continuer à exercer leur fonction durant quatre-vingt ans encore et le troisième pendant plus de cent ans. Ce qui est rassurant, c'est de se dire qu'un jour ils seront donc enfin adultes. Et pourraient alors cesser d'agir en sales gamins irresponsables.

(1) https://information.tv5monde.com/international/il-pourrait-etre-possible-de-vivre-jusqua-150-ans-quand-xi-jinping-et-vladimir-poutine-discutent-sur-limmortalite-2790135
Post-scriptum : Dans Le Monde, l'anthropologue Philippe Charlier estime que "Xi Jinping et Vladimir Poutine entretiennent une fascination communiste pour la lutte contre la dégradation du corps". https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/07/xi-jinping-et-vladimir-poutine-continuent-d-entretenir-la-fascination-communiste-vis-a-vis-de-la-lutte-contre-la-degradation-du-corps_6639604_3232.html

lundi 1 septembre 2025

Lettre à mon neveu anonyme

Rentrant d’un week-end familial, je découvre un long commentaire relatif à des billets publiés sur mon blog. Il est « anonyme ». Je n’ai pas l’habitude de publier des commentaires non signés, c’est une règle ici, les lecteurs et commentateurs habituels le savent. Comme d’autres, j’estime qu’un message non signé n’existe pas. Signer ce qu’on a écrit, c’est l’assumer. Ne pas le faire, c’est le contraire. Avec ce blog à mon nom, sans pseudonyme, j’assume ce que j’écris, je ne me cache pas. Celui ou celle qui me répond sans se faire connaître ne joue pas le jeu. Nous ne sommes pas à égalité. Je suis à visage découvert, l’autre pas. 
Dans ce cas précis, je découvre à la fin du commentaire qu’il est écrit par un de mes neveux. Si je compte bien (y compris les conjoints de mes nièces), j’en ai quinze. Je ne sais lequel d’entre eux est derrière ce commentaire. 
Soit. Je l’ai publié
(voir commentaire du billet https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/08/gauche-trumpiste.html) et voici mes réactions.

Mon cher neveu anonyme,

J’ai lu ce que tu m’as écrit. Je me réjouis que tu t’indignes et, j’espère, te mobilises, même si je suis rarement d’accord avec toi, mais l’important reste de dialoguer.

Extrême gauche ou gauche extrême ?

Le Ministère français de l’Intérieur classe LFI à gauche et non à l’extrême gauche, me fais-tu remarquer. Soit. Je parlerai alors de gauche extrême à propos de ce parti qui reste bienveillant avec la Russie de Poutine, est fasciné par le Hamas et entretient une relation assez distante avec la démocratie. Son fonctionnement en lui-même en témoigne : très vertical, le parti d’un homme (que je qualifie de gourou ou de parrain depuis longtemps) comme le décrit précisément le livre « La Meute » écrit par deux journalistes dont l’un a été interdit d’accès aux récentes rencontres de LFI.
Tu trouves « dommage que (je) choisisse de parler de ça mais pas de (mes) nombreux confrères assassinés par le gouvernement israélien ». Ce reproche-là, j’en ai l’habitude. Non seulement sur ce blog, mais aussi dans des combats que j’ai menés, c’est fou le nombre de gens qui m’ont invité à parler d’autre chose que ce que j’abordais. En général, ça témoigne d’une gêne : parlez d’autre chose avec laquelle je serai d’accord avec vous.

10 septembre

Concernant le mouvement de blocage de la France qui semble se dessiner pour le 10 septembre, je lis que tu reconnais  qu’il est bel et bien parti de mouvances d’extrême droite. Donc là, nous sommes d’accord. Tu me dis que « ce mouvement n'est pas du tout un appel à se confiner », mais ça, je ne l’invente pas, je l’ai bel et bien lu et c’était là le premier appel, on le trouve dans de nombreux articles de presse. Depuis, c’est vrai, d’autres, partis et syndicats, appellent, fermement ou timidement, à être dans la rue. C’est bien le signe que ce mouvement rassemble, actuellement, tout et son contraire. Dans Charlie Hebdo, le politologue Jean-Yves Camus, parle « d’un fourre-tout de revendications allant de la politique générale aux intérêts catégoriels. Idéologiquement composite, sans doute aussi faiblement structuré que les gilets jaunes. On peut s’en étonner ou le craindre tant il est indéchiffrable. » (1)

Tu ne veux pas parler de récupération, mais tu affirmes que la gauche veut « se saisir du mouvement mais sans pour autant le récupérer ». Ça, en langage politique, ça s’appelle de la langue de bois. Il faudrait que tu m’expliques la différence que tu fais entre « saisir » et « récupérer ». Qu’il y ait des motifs de protester, bien sûr il n'en manque pas, je l’ai évoqué dans mon billet, mais que la gauche n’arrive plus à se faire entendre qu’en s’accrochant à un mouvement parti de la mouvance d’extrême droite me fait désespérer de cette gauche qui a perdu le nord.

Un dessin de Juin dans le même numéro de Charlie Hebdo résume ce que je pense et qui fait que beaucoup de gens comme moi restent sceptiques et critiques par rapport à ce mouvement gazeux : Mélenchon et Le Pen sont dans une toute petite voiture sur laquelle il est écrit « Blocage du 10 septembre, covoiturage des luttes ». 

Dans le Journal de France 3 du 31 août (19h) étaient interviewés des militants du 10 septembre. Tous anonymes. Pourquoi se cacher derrière des parapluies ou ne laisser filmer que leurs mains pour réclamer la démission de Macron ou une augmentation du pouvoir d’achat ? N’osent-ils pas assumer ces revendications qui n'ont rien de neuf ni d'étonnant ? Ils dénoncent « ces gens (ceux qui nous gouvernent) payés à ne rien faire alors que nous devons travailler toujours plus ». Des propos de Café du Commerce. Aujourd’hui, les réseaux prétendument sociaux sont le Café du Commerce.

Tu écris encore que ce mouvement du 10 septembre veut « bloquer le pays pour faire entendre la voix d'un peuple à qui on demande trop d'efforts et qui ne veut plus de son gouvernement non légitime et corrompu ». J’ai toujours pensé qu’il est très prétentieux de se revendiquer du « peuple » et de se targuer d’être son porte-voix. Seuls les populistes, par définition, l’osent. Le peuple n’existe que dans la bouche de ceux qui veulent berner les citoyens en leur faisant croire à une unité et en s’exprimant à leur place. Un pays est fait d’une multitude de citoyens avec des opinions et des attentes extrêmement diverses, souvent contradictoires. Par ailleurs, j’aimerais que tu m’expliques en quoi le gouvernement Bayrou - pour lequel je n’ai aucune sympathie - est illégitime et corrompu. Sans doute certaines informations me manquent-elles. (*)


Conflit israélo-palestinien

Tu tentes de résumer ce que tu as compris de mon point de vue sur le conflit israélo-palestinien et tu le fais d’une manière qui me sidère et que je considère malhonnête. Je ne sais pas où tu as lu que d’après moi « Il ne sert à rien de manifester pour la Palestine, les militants palestiniens auront mérité qu'on les soutienne seulement quand il n'y aura plus du tout d'homophobie ni de sexisme en Palestine et quand ils seront tous morts (comme ça ce sera officiellement un génocide) ». Quelle caricature !
Il m’est arrivé de dénoncer les incohérences de mouvements occidentaux LGBT ou féministes qui soutiennent le Hamas et méprisent donc de ce fait le sort que réserve le Hamas aux LGBT et aux femmes palestiniennes. L’européanocentrisme de certains qui se drapent dans leur indignation en ignorant sciemment le traitement réservé à ceux dont ils prétendent défendre la cause m’écœure. 
Dans ce conflit (oui, c’est un conflit), je suis des deux côtés : avec les Palestiniens et avec les Israéliens, contre ceux qui s’opposent à la paix et n’ont que mépris pour ce que vivent leurs concitoyens. Les deux peuples sont pris en otage par leurs gouvernements de va-t-en-guerre qui ont choisi la fuite en avant dans une violence sans fin. Je suis pour la paix et donc pour une solution à deux Etats. Ceux qui soutiennent Netanyahou et sa clique sont comme ceux qui applaudissent le Hamas ou qui réclament une Palestine du fleuve à la mer (et donc la disparition d‘Israël) : du côté de la guerre. Et ils n’ont que mépris pour les populations qui souffrent de la guerre, de la menace permanente, de la perte de proches, de l’enfermement d’otages. Je suis de ceux qui pensent que reconnaître un Etat palestinien n’a de sens que s’il est conditionné à une reconnaissance par les deux parties de celle d’en face, à une libération des otages, à un désarmement du Hamas et à un soutien à l’Autorité palestinienne.  
Lis ce que vient d’écrire dans Le Monde l’historien Jean-Pierre Filliu, qui a récemment passé du temps à Gaza (et a été évidemment catastrophé de constater ce qui s’y passe) et qui ne peut être soupçonné de soutenir Netanyahou ni de mépriser les Palestiniens. Son article s’intitule « L’écrasante responsabilité du Hamas dans la catastrophe palestinienne » (2).

« Le nationalisme palestinien a toujours souffert d’un rapport de force écrasant en faveur du mouvement sioniste, puis de l’Etat d’Israël. Il est néanmoins discutable d’éluder la responsabilité de certains dirigeants palestiniens dans les deux désastres historiques que sont la Nakba, la « catastrophe » de 1948, avec l’exode de plus de la moitié de la population arabe de Palestine, et la catastrophe en cours dans la bande de Gaza, d’ores et déjà ravagée.
Dans les deux cas, des mouvements palestiniens en lutte ouverte contre d’autres factions palestiniennes ont fait passer leurs intérêts partisans avant la cause nationale qu’ils prétendaient défendre. Dans les deux cas, ils ont commis plus qu’un crime, mais une faute stratégique, Haj Amin Al-Husseini en s’associant au nazisme en 1941, le Hamas en perpétrant le bain de sang du 7 octobre 2023. » Ce ne sont que les deux premiers paragraphes de son texte que je t’invite à lire.

Lis aussi l’article « Les fascinations morbides de la gauche radicale » écrit par Emmanuel Debono, rédacteur en chef du magazine de la LICRA. Extrait (3) :
« C’est ainsi qu’une partie de l’extrême gauche et certains de ses alliés continuent de la même façon à sublimer les actes commis par le Hamas et ses alliés, ainsi que la guerre d’éradication menée contre Israël, dans la vision irénique d’une guerre juste contre l’oppresseur sioniste. Qu’importe la Charte du Hamas, nourrie d’un complotisme antisémite destructeur, qu’importe la terreur imposée par les fondamentalistes religieux sur les Gazaouis et la transformation du petit territoire palestinien en base armée, construite avec le détournement de l’aide internationale – et notamment européenne. Qu’importe la géopolitique dans laquelle s’insère la guerre qui a suivi le 7-Octobre, le rôle néfaste de l’Iran et de ses proxys palestiniens, libanais et yéménites, ou le rôle trouble du Qatar… Israël est intrinsèquement coupable, par le principe même de son existence. Tout est donc permis contre lui, y compris, et surtout, l’aveuglement idéologique. »


Antisémitisme

Tu me parles du « soi-disant antisémitisme de la gauche, que les gens "raisonnables et pondérés" du centre s'échinent à décortiquer dans les prises de position hostiles envers Israël (et son apartheid, sa politique raciste, son occupation illégale de territoire, ses meurtres de civils, etc). »
Je ne dénonce pas l’antisémitisme de la gauche, mais d’une partie de la gauche. Il est devenu courant, quasi normal chez certains élus de LFI. Et en hausse considérable un peu partout non pas depuis mais dès le 7 octobre 2023. Depuis ce jour-là, depuis que des Israéliens ont été sauvagement assassinés, des femmes violées et éventrées, des bébés tués, depuis lors, des tas de gens, un peu partout, clament ouvertement leur haine des juifs. Et ça, je m’excuserai pas d’en être glacé.


« Depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, la France connaît une recrudescence de faits antisémites. Les Assises de lutte contre l'antisémitisme ont réuni du 27 février au 28 avril 2025 deux groupes de travail, l'un dédié à l'éducation, l'autre à la justice. (…)
Un antisémitisme grandissant
En France, on recense : 1 570 actes antisémites ayant donné lieu à un dépôt de plainte en 2024 (après 1 676 en 2023). 65% d’entre eux sont des atteintes aux personnes : 652 gestes ou propos menaçants et 106 violences physiques. Au premier trimestre 2025, on compte déjà 280 faits antisémites ; 1 670 faits antisémites en milieu scolaire et universitaire durant l’année 2023-2024, contre 400 en 2022-2023 (+317%). Les équipes académiques soulignent la récurrence des apologies du nazisme. » (4)

Je lis en ce moment « Que faire des juifs ? » de Yoann Sfar (Les Arènes). Je lis cette brique de 550 pages par petits morceaux, tant cette lecture est éprouvante, relatant des faits antisémites, anciens comme actuels, tous plus révulsants les uns que les autres. La question que pose Yoann Sfar a tout son sens : les Juifs ont été chassés de tous les pays arabes où ils vivaient depuis toujours, on a tenté de les exterminer en Europe et certaines personnes n’ont pour objectif dans la vie que la disparition d’Israël. Donc que faire des juifs ? 

Tu écris encore : « C’est fou cette tendance à ne parler que de l'antisémitisme (qui est souvent attribué à tort à des positions antisionistes) alors que les crimes racistes en tout genres augmentent, il y a encore deux semaines une CHASSE AU NEGRE a eu lieu dans la creuse, c'est peut-être anecdotique mais ça me semble révélateur de la dangerosité de la montée de l'extrême droite. »
Je te réponds : « c’est fou cette tendance à refuser de voir cette progression inquiétante de l’antisémitisme et à affirmer qu’on ne parle que de cela et non pas aussi du racisme. (De nouveau, tu me dis : ne parle pas de ceci, mais plutôt de cela !) Rien dans ce que j’écris sur ce blog depuis dix-huit ans, rien dans ce que je fais et ai fait dans ma vie ne te permet de laisser entendre que je ne dénoncerai que l’antisémitisme et pas le racisme. Ces deux types de rejet sont aussi inquiétants et abjects. Et il faut les dénoncer et lutter contre eux. Ce que j’ai toujours fait. 

Enfin, tu écris « Et la différence des réaction du gouvernement français face à des actes antisémites ou islamophobes est caricaturale… » Si je te comprends bien, tu considères sans doute qu’on ne dénonce pas suffisamment l’islamophobie. En lisant de nombreux billets de ce blog, tu me considèreras sûrement comme islamophobe. Ce mot a été inventé pour éviter qu’on critique la religion musulmane. Ce qu’on a le droit, et je dirais même le devoir, de faire par rapport à toute religion (les meilleurs moyens qu’on ait inventés pour coloniser les esprits et les corps). Je refuse ce mot d’islamophobie. Soit on parle de racisme et c’est évidemment condamnable, soit on parle de critique d’une religion et c’est sain, comme de critiquer toute idée. 

Voilà, cher neveu anonyme, mes réactions aux tiennes. Et j’avais (j’ai encore) bien des choses à dire. Toute situation est complexe et il faut l’accepter. J’essaie de rester un esprit libre, de ne pas hurler avec la meute. Il faut rester critique, ne pas être naïf par rapport aux jeux (dangereux) dans lesquels certains nous enferment ou tentent de le faire. Je me méfie des slogans faciles, des mots à l’emporte-pièce et je refuse les injonctions à me positionner dans tel ou tel camp, ce qui ne signifie pas que je n’en ai pas. Je suis du côté de l’humanisme, de l’écologie, de la solidarité, du féminisme, de la laïcité, de l’universalisme, des Lumières… J’essaie de garder un regard ouvert, critique et, quand c’est possible, ironique, voire provocateur j’en conviens, de ne pas m‘enfermer dans un point de vue unique. 
On peut évidemment discuter de tout ceci. On peut aussi le faire en privé, ce qui me permettra de savoir qui tu es !

Je t’embrasse.

Michel


(1) Jean-Yves Camus, « Langue de bois », Charlie Hebdo, 27.8.2025.
(2) https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2025/08/31/l-ecrasante-responsabilite-du-hamas-dans-la-catastrophe-palestinienne_6637570_6116995.html
(3) https://www.leddv.fr/opinion/editorial/les-fascinations-morbides-de-la-gauche-radicale-20250720
(4) « Montée de l'antisémitisme en France : une situation « alarmante" (Vie publique - République française, 5.5.2025)
https://www.vie-publique.fr/en-bref/298423-antisemitisme-en-france-une-situation-alarmante
(*) Post-scriptum : à écouter le dernier billet de Sophia Aram sur France Inter :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-mardi-02-septembre-2025-4122067
A lire : https://www.leddv.fr/analyse/lart-de-la-guerre-et-lirregardable-folie-divine-propagande-et-perversion-humaine-20250816