dimanche 24 novembre 2013

L'art hors la ville

L'art mural est très présent en Irlande du Nord où il raconte l'Histoire, honore les héros et les combats et préserve la mémoire. Les murs de bien des communes d'Amérique latine sont des supports à la créativité populaire, ils diffusent des slogans socio-politiques, témoignent de l'Histoire ou servent l'art.
Les plus grands musées du monde ont aujourd'hui exposé des œuvres d'artistes de rue, d'Ernest Pignon-Ernest à Cédric Bernadotte, en passant par Banksy, Lek ou bien d'autres.
La plupart du temps, l'art urbain - et c'est ce qui fait sa force et lui donne son sens - s'exprime librement, presque sauvagement.
A Tournai, qui est fière de sa politique culturelle (à juste titre à bien des points de vue), le street art, art rebelle par essence, doit se plier aux règles.  "L'art dans la ville" y a sa période: deux semaines en octobre. Hors ces dates, il est prié de regagner les galeries et de ne pas s'afficher à l'extérieur.
Voici quelques années, un grand pignon en centre-ville, sur la rive gauche de l'Escaut, a été peint par trois artistes de street art. Le propriétaire de la maison, peintre en bâtiment, avait mis son mur et de la peinture à disposition des trois jeunes artistes pour qu'ils s'expriment. Il n'avait demandé aucune autorisation pour ce faire. Mal lui en prit. La Ville opposa un refus à sa volonté de régulariser la situation. Aujourd'hui, c'est le tribunal qui lui enjoint de faire disparaître la fresque (1).
Deux artistes tournaisiens ont relancé la peinture murale au lendemain de la seconde guerre mondiale: Edmond Dubrunfaut et Louis Deltour avaient créé "Forces murales" avec le bruxellois Roger Somville. Leur objectif: mettre l'art à la portée de tous, et donc d'abord dans la rue. La Ville s'enorgueillit encore de les avoir comptés parmi les siens. On trouve des œuvres de Dubrunfaut dans le tunnel de la gare de Tournai, à la piscine de Kain et en de nombreux lieux publics à Antoing. Des commandes publiques à chaque fois, qui par leur nature même induisaient sans doute une autorisation automatique.
A Tournai, il semble que l'art doive rester sous contrôle des institutions: Ville ou Maison de la Culture.
Pendant que le peintre en bâtiment est prié d'effacer ce témoignage d'art urbain non autorisé, IDETA (2) se bâtit à deux pas de là, de l'autre côté de l'Escaut, un immeuble qui est affirmation de puissance. Il dépasse de deux étages toutes les constructions voisines. Ce temple de la suffisance affichée est donc irrespectueux des règles d'urbanisme. IDETA a notamment pour rôle de conseiller les communes de sa zone d'influence en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Ce chantier dispose évidemment d'un permis en bonne et due forme. 
A quoi reconnaît-on une petite ville de province?

(1) www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=dmf20131122_00392726
(2)  IDETA est l'Intercommunale de Développement économique de Tournai-Ath.

2 commentaires:

Grégoire a dit…

Je n'ai pas l'impression que la nouvelle peinture murale tournaisienne raconte quelque chose, contrairement à celles de Belfast, même si je crois y distinguer le Pont des Trous. Artistiquement parlant, cela me laisse "perplexe", mais bon, dans l'art d'aujourd'hui, tout se vaut.
Je retire deux leçons de ce fait divers :
1. Vous n'êtes pas libre de faire ce que vous voulez de l'aspect des murs de votre maison. Vous l'avez payée bien cher, vous payer un impôt foncier chaque année, qui augmente aussi chaque année, et qui vous permet juste d'y habiter, mais votre liberté s'arrête là, si vous n'avez pas de piston.
2. Il ne s'est pas encore trouvé de journaliste assez courageux (en dehors de l'auteur de ce blog) pour mener une enquête au grand jour sur la construction illégale du bâtiment d'IDETA. A ma connaissance, du moins.
L'art est souvent officiel dans les régimes socialistes. Et si j'osai un débat plus large, je supprimerai les subsides artistiques de toutes sorte. Si un artiste est bon, quel que soit son domaine, il trouvera son public. Mes impôts n'ont pas à financer les gribouillages d'artistes en mal de reconnaissance.
Moi-même, j'expose depuis plus de 10 ans à titre individuel, et sans jamais demander aucun financement à un quelconque pouvoir public. Je travaille et je m'autofinance, sans rien devoir à qui que ce soit.

Michel GUILBERT a dit…

Loin de moi l'idée de comparer ce qui n'est pas comparable. Je voulais rappeler que dans de nombreux pays, dans de nombreuses cultures, les murs ont la parole. La fresque tournaisienne vaut ce qu'elle vaut; elle a, notamment, un rôle publicitaire pour son commanditaire, mais elle a au moins le mérite d'avoir laissé trois jeunes artistes s'exprimer publiquement.
Par ailleurs, si j'ai été journaliste, je ne le suis plus depuis longtemps. Ce blog est celui d'un citoyen, pas d'un journaliste. Ce qui n'enlève rien aux réflexions de Grégoire sur l'absence de réflexion d'information sur le bâtiment d'IDETA.