lundi 3 novembre 2014

Climat détestable

Il faut sauver la biodiversité, préserver l'environnement, lutter contre le dérèglement climatique. Presque tous les partis politiques, presque tous les gouvernements de la planète en sont convaincus depuis vingt ans. Au point que certains se demandent quel est encore le sens de l'existence de partis écologistes. Puisque le souci environnemental est aujourd'hui celui de tous les partis, quelles que soient leurs idéologies. Et de toute façon, les écolos sont des "djihadistes verts". Il y a quelques années encore, ils étaient traités de "khmers verts". Les temps changent. Le climat aussi. En 2013, les émissions de CO2 ont légèrement dépassé les 35 milliards de tonnes, soit presque un tiers de plus qu'il y a dix ans.
Le dernier rapport du GIEC est plus que jamais alarmiste (1). Il indique que, au rythme de nos consommations d'énergies fossiles, nous pourrions atteindre un réchauffement de l'ordre de 4 à 5° d'ici la fin du siècle. Ce qui serait totalement catastrophique. Le réchauffement que connaît la Terre n'a jamais été aussi important depuis 800.000 ans. Si nous voulons la sauver des pires scénarios, il faudrait diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70%. D'urgence.

"Nous serons incapables de relever le défi climatique tant que nous ne l'envisagerons pas comme une lutte bien plus large entre des visions du monde différentes, écrit Naomi Klein (2), comme un processus visant à reconstruire et réinventer l'idée même de collectivité, de communauté, de bien commun, de société civile et de civisme - idée mise à mal et abandonnée depuis des décennies. Si le défi climatique nous paraît si intimidant, c'est parce qu'il impose de passer outre à toute une série de règles - certaines inscrites dans les législations nationales et les accords commerciaux, et d'autres, non écrites mais tout aussi puissantes, qui font qu'aucun gouvernement ne restera au pouvoir s'il augmente les impôts, refuse de gros investissements, si néfastes soient-ils, ou prévoit de réduire progressivement les secteurs de l'économie qui nous mettent tous en danger."

On a ainsi vu, tout récemment, la ministre française de l'Ecologie, Ségolène Royal, décider de supprimer l'écotaxe annoncée. "Le bon sens a prévalu", ont dit certains. Qu'est-ce que le bon sens?, se demande-t-on. Juste une "absence de courage et de vision", a rétorqué Eva Joly. Est-ce le bon sens de ne pas faire payer les pollueurs? De ne pas réinjecter le produit de ces écotaxes dans des moyens de transport moins polluants? On pourrait l'admettre si, par ailleurs, les gouvernements développaient une vision large et audacieuse d'une nouvelle organisation de la société. On n'en voit nulle trace, même embryonnaire. Partout, on ne pleure que pour voir revenir une bonne vieille croissance, celle qui nous a menés où nous en sommes. En France, on pleure la mort de Christophe de Margerie, "un grand capitaine d'industrie français très lucide sur la situation de la planète" a dit de lui le sénateur écologiste Jean-Vincent Placé (3). Ce capitaine dirigeait Total. "La plus grande entreprise française gagne ses milliards en déstabilisant le climat pour des milliers d'années", écrit Fabrice Nicolino. Et le climat, vraiment, c'est important, affirment les ministres Fabius et Royal: ils appellent à "une mobilisation universelle et immédiate" sur le changement climatique, "menace grave pour la biodiversité, la sécurité alimentaire et la santé" (1). Ils sont aussi convaincants que leurs homologues belges Elio Di Rupo, qui a découvert avec émotion le problème il y a quelques années en s'entretenant avec Nicolas Hulot, ou Joëlle Milquet qui affirmait, il y a tant d'années maintenant, qu'il faut "être radical pour le climat".
N'attendons rien non plus, au contraire, du nouveau commissaire européen  en charge de l'Energie et du Climat, Miguel Arias Canete. Il a été l'un des responsables d'Italcar Espana (ce qu'il a oublié d'indiquer dans sa déclaration d'intérêts lorsqu'il était député européen), lobbyiste pour les OGM et fondateur de Petrolifera Ducar et Petrolis Canarias. Mais qu'on se rassure: avant de devenir commissaire européen, il a transmis ses actions à ses beaux-frères (4). Il ne peut donc être soupçonné de conflits d'intérêts. On ne pouvait trouver meilleures mains européennes à qui confier l'avenir du climat.
Bref, on désespère de voir un ou une responsable politique oser un vrai projet, plutôt que pleurnicher et se gargariser de mots.

"Il pourrait être beaucoup moins efficace, poursuit Naomi Klein de se battre pour une taxe carbone minimale que, par exemple, de former une grande coalition pour revendiquer un revenu minimal garanti, non seulement parce qu'un revenu minimum permettra aux travailleurs de refuser des emplois liés aux énergies polluantes, mais aussi parce que le fait même de plaider pour une protection sociale universelle ouvre la voie à un vrai débat de fond sur les valeurs - sur ce que chacun de nous doit aux autres au nom de notre humanité commune, et sur ce qui, collectivement, nous paraît plus important que la croissance économique et les bénéfices des entreprises."
Naomi Klein plaide pour une autre vision du monde, "fondée sur l'interdépendance plutôt que sur l'hyperindividualisme, sur la réciprocité plutôt que sur la domination et sur la coopération plutôt que sur la hiérarchie".

Récemment, le maire Montpellier, épuisé par les inondations à répétition qu'a connues sa ville déclarait qu'on ne pouvait plus dire que le réchauffement climatique n'existe pas. Mais la grande majorité des politiques et des citoyens ont choisi la politique de l'autruche. Ni voir, ni savoir est leur nouvelle devise. Tant qu'on voudra toujours plus de voitures et de camions sur nos routes, plus d'avions dans le ciel, plus de produits phyto sur nos terres, aucune éolienne dans la vue, un kérosène non taxé, un baril de pétrole au plus bas, on prendra le risque de se faire déplumer plus que l'arrière-train. "Ce qui est aujourd'hui politiquement réaliste ne le sera sans doute plus quand nous aurons essuyé d'autres ouragans Katrina, d'autres cyclones Sandy, d'autres typhons Bopha", estime Sivan Kartha, chercheur pour l'Institut pour l'Environnement de Stockholm (5).
Naomi Klein encore: "nous gagnerons en affirmant que de tels calculs (de ceux qui estiment que la lute contre le réchauffement coûte trop cher) sont moralement monstrueux, puisqu'ils insinuent qu'il serait économiquement acceptable de laisser des pays entiers disparaître, des millions de gens mourir sur des terres desséchées et de priver les enfants d'aujourd'hui de leur droit à habiter un monde fourmillant des merveilles et des beautés de la création".

Des notes positives - quand même! - on pourra en trouver dans le documentaire que diffuse Arte ce mardi soir (6): dans "Sacrée Croissance!", Marie-Monique Robin rencontre des "lanceurs d'avenir". "Il y a des initiatives qui sont les germes de la société post-croissance, explique-t-elle, d'une réponse globale au grand désordre planétaire actuel. (...) J'ai choisi des initiatives suffisamment abouties pour qu'on voie la transformation des territoires et des gens." (7) On trouvera dans ce film "un stimulant réservoir d'idées et d'énergie pour inventer demain", écrit Télérama.

(1) http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/11/le-résumé-pour-décideurs-du-giec.html
(2) The Nation (New York), 16 septembre 2014, à partir de son dernier ouvrage "This Changes Everything: Capitalism vs. The Climate" in Le Courrier international, 2 octobre 2014.
(3) cité par Fabrice Nicolino, in "Derrière Margerie, les morts du pétrole", Charlie Hebdo, 29 octobre 2014.
(4) "Un commissaire européen qui sent le pétrole", Fabrice Nicolino, Charlie Hebdo, 8 octobre 2014. Miguel Arias Canete est le Zemmour espagnol: "il est compliqué de tenir un débat avec une femme, a-t-il déclaré, car montrer de la supériorité intellectuelle pourrait paraître sexiste". Vraiment, un grand monsieur que ce commissaire européen!
(5) cité par Naomi Klein - voir (1).
(6) Arte, mardi 4 novembre, 20h50. A revoir pendant les sept jours qui suivent sur Arte+7 (www.arte-tv.com).
(7) Télérama, 29 octobre 2014.

3 commentaires:

Grégoire a dit…

Naomi Klein encore: "nous gagnerons en affirmant que de tels calculs (de ceux qui estiment que la lute contre le réchauffement coûte trop cher) sont moralement monstrueux, puisqu'ils insinuent qu'il serait économiquement acceptable de laisser des pays entiers disparaître, des millions de gens mourir sur des terres desséchées et de priver les enfants d'aujourd'hui de leur droit à habiter un monde fourmillant des merveilles et des beautés de la création".
Si la population continue de croître au même rythme qu'elle le fait actuellement, diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70% ne suffira même pas. Malthus n'a pa pu tenir compte de l'apport important des énergies fossiles dans ses prévisions. Ainsi, on produit plus au niveau agricole et on transporte d'un bout à l'autre de la planète pour de moins en moins cher. Enfin, il y a des pays, dans le sud, où la mentalité est de faire beaucoup d'enfants, qui assureraient la prise en charge de leurs parents (pas de pensions légales), alors que ces derniers n'ont pas toujours de quoi les nourrir.
Et pendant que nous nous multiplions, les animaux disparaissent. Plus de la moitié des espèces a disparu depuis 40 ans (lu dans Marianne de cette semaine, je cois).
On a paut-être de quoi nourrir tous ceux déjà présents sur terre, et quelques milliards d'autres, mais quand tous ceux qui n'ont pas de voiture en voudront une...
Les ouragans, typhons et cyclones ont pris le relai des guerres et des épidémies dans la tentative de dame Nature de rétablir un certain équilibre. Cela ne m'amuse pas d'écrire cela, mais je crois qu'il faut d'abord limiter les naissances...

Michel GUILBERT a dit…

Qui ose encore le dire aujourd'hui? Le Club de Rome, créé en 1968, a eu raison avant tout le monde. Mais qui l'écoute encore? Dans son roman "Freedom", Jonathan Franzen en fait le combat de son "héros", Walter. Extrait: "Walter lui expliqua que ce Club (...) s'attachait à réfléchir sur les limites de la croissance. Les théories économiques courantes, qu'elles soient marxistes ou partisanes de la libre entreprise, dit Walter, tenaient pour acquis que la croissance économique était toujours une chose positive. Un taux de croissance du produit intérieur brut d'un ou deux pour cent était considéré comme modeste et un taux de croissance démographique d'un pour cent était considéré comme souhaitable, et pourtant, dit-il, si vous combiniez ces taux sur une centaine d'années, les chiffres étaient terribles: une population mondiale de dix-huit milliards et une consommation mondiale d'énergie dix fois plus importante qu'aujourd'hui. Et avec une centaine d'années de plus, avec une croissance régulière, eh bien, ces chiffres devenaient tout simplement inconcevables. Le Club de Rome cherchait donc des moyens rationnels et humains de freiner la croissance plutôt que simplement détruire la planète, laisser tout le monde mourir de faim ou se tuer les uns les autres." (éditions de l'Olivier, pp. 162-163). Walter fait ainsi de la lutte contre l'évolution sans cesse croissante de la démographie le combat de sa vie.

gabrielle a dit…

Et pendant ce temps-là, momentanément, ... http://www.liberation.fr/monde/2014/11/04/pekin-fait-du-zele-pour-epargner-les-poumons-des-dirigeants-etrangers_1136264