samedi 15 avril 2017

Des histoires de portes

A une semaine du premier tour de l'élection présidentielle française, le nombre d'indécis n'a jamais été aussi important, affirment les instituts de sondage. On pourrait donc croire que les meetings de campagne servent à convaincre. Ce n'est pas le cas de ceux de François Fillon: ils n'ont visiblement pour but que de galvaniser les supporteurs, pas de faire passer un message auprès de ceux qui s'interrogent. Trois personnes qui assistaient au meeting toulousain du candidat de la droite pour "se faire une idée" ont été mises à la porte parce qu'elles n'exprimaient pas assez d'enthousiasme. Elles avaient "une attitude de neutralité qui pouvaient les rendre suspectes" (1). Dans un meeting,  on attend de vous que vous soyez fan(atique)s. Qui cherche à se faire sa propre opinion inquiète.

Pendant ce temps, la bête de scène qu'est Jean-Luc Mélenchon grimpe dans les sondages. L'homme est incontestablement de gauche, je devrais m'en réjouir, mais je n'y arrive pas.
D'abord, je me méfie de ceux qui disent parler au nom du peuple. Le peuple existe-t-il? Est-il homogène, parle-t-il d'une seule voix, pense-t-il de la même manière? Il faut toujours préférer le pluriel au singulier. Qui sait ce qu'est le peuple? Un homme qui exerce des responsabilités politiques depuis plus de trente ans, qui a été conseiller régional, sénateur, ministre, président de parti, député européen sait-il ce qu'est le peuple?
On sent chez Mélenchon des accents populistes qui (m') inquiètent. On connaît sa hargne envers la plupart des journalistes. Il rejoint là celle de bon nombre de populistes qu'une presse libre dérange.
Il est, et c'est réjouissant, pour une France qui ouvre ses portes aux candidats réfugiés. "Candidat de la paix", il veut offrir l'asile à ceux qui fuient la guerre, la misère et le terrorisme. Bravo! Mais, dans le même temps, il est prêt à quitter l'Union européenne. Il veut renégocier les traités européens et, si cela s'avère impossible, il menace de quitter le navire. En février 2016, le député européen organisait "le procès" de l'U.E. et de sa "masse immense d'insectes bureaucratiques". Une expression qui, elle aussi, flirte avec le populisme. Ainsi donc, pour Mélenchon, la France devrait ouvrir davantage ses frontières en même temps qu'elle les refermerait? Peut-on être internationaliste à l'autre bout du monde et nationaliste à sa porte? Peut-on critiquer les murs et les frontières et vouloir en rétablir autour de soi? Mélenchon est-il le frère de Chevènement qui est à l'origine du nationalisme de gauche? "Face aux faiblesses d'une Europe coupable, selon lui, de tous les maux, écrivait Libération à l'occasion de ce "procès" (2), il s'agirait ni plus ni moins de préparer le Plan B, c'est-à-dire la sortie de l'euro et de l'Union européenne. Il s'agit là d'une logique binaire qui réduit le champ des possibles à une alternative. (...) Les peuples européens n'ont pas à choisir entre l'Europe des marchés et l'Europe des Nations. Entre l'Europe libérale et le Plan B, il existe une autre voie, celle d'une Europe démocratique, écologique et solidaire".
Moins d'Europe ne sauvera personne. Au contraire. Comment améliorer les politiques sociales, environnementales, sécuritaires, de migration, sinon en les harmonisant, en les tirant vers le haut au niveau du continent? Oui, le modèle économique européen est inégalitaire; oui, l'U.E. n'est pas assez démocratique. Mais la quitter pour ces raisons serait témoigner d'un manque d'imagination, de volonté et de combativité; faire preuve de lâcheté et de mépris pour toutes celles et tous ceux qui se sont battus pour abolir les frontières. Quitter l'U.E. serait choisir la régression. Avons-nous un autre choix que d'aller de l'avant, vers une Europe plus forte et plus solidaire?
Dans de très nombreux pays, l'U.E. est devenu le bouc émissaire idéal. L'ancienne ministre belge et ex-députée européenne Isabelle Durant, aujourd'hui députée du parlement bruxellois, le déplore: selon elle, écrit la Libre Belgique (3), "nombreux sont les parlementaires qui ont préféré plonger tête baissée dans la logique du c'est la faute à Bruxelles, plutôt que de se retrousser les manches pour jouer un rôle dans la construction européenne. On est typiquement dans l'européanisation des échecs et la nationalisation des réussites, note la députée." Nombreux sont les parlementaires qui hurlent, de facto, avec les loups populistes, qui expriment critique et dédain pour l'U.E. Quand demain les Britanniques auront quitté l'Europe qui pourront-ils rendre responsables de leurs échecs? Récemment, le Parlement bruxellois organisait un débat intitulé "Europe, je t'aime, moi non plus". "Il y avait six parlementaires sur 89", note Isabelle Durant. Cracher semble plus facile qu'entrer dans un débat.

Post-scriptum:
sur la sortie de l'euro et de l'UE, un billet Jean Quatremer:
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2017/04/11/sortir-de-leuro-ben-voyons/
et l'avis de Joan Sfar qui s'apprêtait à voter Mélenchon, mais a changé d'avis...:
http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170415.OBS8050/le-coup-de-gueule-du-dessinateur-joann-sfar-contre-la-melenchonsphere.html
et l'avis de Jean-Pierre Filiu par rapport à la position de Le Pen et de Mélenchon sur la Syrie:
http://filiu.blog.lemonde.fr/2017/04/16/le-pen-melenchon-meme-combat-en-faveur-de-bachar-al-assad/

(1) http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/14/pas-assez-enthousiastes-ils-se-font-virer-d-un-meeting-de-fillon_1562897
(2) http://www.liberation.fr/planete/2016/02/02/europe-le-contresens-du-plan-b-de-melenchon_1430572
(3) "Les Belges veulent se réapproprier l'Europe", LLB, 1.4.2017.
(re)lire sur ce blog "Vive l'Europe (quand même!)", 15 mars 2017.

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