jeudi 27 décembre 2018

En marche

Quatre-vingt-cinq milliards de dollars. C'est ce qu'a coûté, selon certaines ONG, le réchauffement climatique en cette année 2018 (1). Mais uniquement si l'on prend en compte les dégâts causés par les dix catastrophes climatiques majeures qu'a connues cette année. Si on devait prendre en compte l'impact du réchauffement sur la santé, sur les pertes de biodiversité, sur les déficits en eau, etc., on arriverait à une somme autrement plus importante.

Pendant ce temps, que fait l'automobiliste? Il se plaint. C'est une caractéristique majeure de l'automobiliste: n'être jamais content, geindre qu'il est "la vache à lait de l'Etat". En cette fin d'année, le prix du carburant n'a jamais été aussi bas depuis un an, mais l'automobiliste - qui en France peut  aujourd'hui rouler à la vitesse qui lui plaît puisque ces braves Gilets jaunes ont fièrement niqué quasiment tous les radars - pleurniche encore. Du moins celui d'Ile-de-France. C'est que la Région vient de lever une taxe sur les parkings pour financer les transports en commun (2). Trop, c'est trop, dit l'automobiliste. Il affirme qu'il n'a pas le choix: je suis obligé de prendre ma voiture, entend-on dire chez les opposants à une hausse des taxes sur les carburants.
Une étude de l'INSEE de 2015 (3) indique que pour un déplacement domicile - travail de moins d'un kilomètre seuls 4% des Français prennent leur vélo, tandis que 27% seulement le font à pied (en ce compris les utilisateurs de rollers ou de trottinette, électrique ou non). Les autres, 69%, utilisent leur voiture, un deux-roues motorisé ou les transports en commun. Pour un déplacement de moins de 4 kilomètres, la proportion de marcheurs tombe à 8%. 
Certains de mes étudiants s'étaient plaints du manque de parking à proximité de l'école. Derrière la notion de proximité, il fallait comprendre qu'ils voulaient se garer dans la rue même et sans charge de stationnement. Ces jeunes adultes avaient beaucoup de mal à envisager de marcher dix minutes de leur voiture jusqu'à l'école. J'avais appris à cette occasion que l'un de ces automobilistes en manque de parking proche habitait à 600 mètres à vol d'oiseau de l'école. 
Rappelons qu'en moyenne un quart d'heure suffit pour effectuer un kilomètre à pied, que le marcheur ne se trouvera pas coincé dans des embouteillages et n'a aucun parking à chercher. Rappelons aussi que la marche quotidienne ne pollue pas et que, tout comme la pratique du vélo, elle favorise la circulation sanguine, le fonctionnement des articulations, la respiration et apporte quantité d'autres avantages pour la santé. Rappelons enfin qu'il suffit de mettre un pas devant l'autre. 

La Conférence internationale pour le climat, la COP24, s'est terminée tristement à Katowice le 15 décembre dernier. Les engagements pris par les différents pays ne permettront pas de rester en-deçà d'une augmentation de 1,5°C. Au contraire, ils nous mènent vers une augmentation de plus 3°C. Avec toutes les catastrophes qui en découleront. "Quelques dirigeants, par une attitude parfois proche du sabotage, poussent l'humanité vers l'abîme", déclarait alors Noé Lecocq, représentant d'Inter-Environnement Wallonie (4). L'ex-président des Maldives, lui, voit son pays submergé par la mer et annonce qu'il se rebellera contre ces négociations. Mais quel poids pèse-t-il contre les lobbies industriels et les élus qui ne voient que leurs revenus immédiats et le renouvellement de leur mandat? Quel poids pèse-t-il face aux automobilistes qui entendent prendre leur voiture quand bon leur semble, rouler à la vitesse qui leur plaît et laisser tourner leur moteur pour discuter avec une connaissance (le tout parfois avec leur gilet jaune bien en évidence sur leur tableau de bord)? La baisse des prix des carburants est présentée dans toute la presse comme une bonne nouvelle. Même si elle annonce plus de catastrophes encore pour l'humanité.

L'Allemagne envisage, parmi d'autres, une mesure: limiter la circulation à 120 km/h sur ses autoroutes. Sur les deux tiers de son réseau, on peut actuellement y circuler sans limite. Une limitation à 120 km/h permettrait d'épargner trois millions de tonnes de CO2 par an et diminuerait de 25% les risques d'accidents graves. Mais limiter les vitesses sur les autoroutes allemandes semble aussi impossible que contrôler la possession individuelle d'armes aux Etats-Unis. La vitesse y est culturelle. Même les syndicats s'opposent à cette mesure qui "pourrait égratigner l'image de l'automobile allemande et menacer les emplois". La Ministre de l'Environnement (sociale-démocrate)  estime, elle, que "la limitation de la vitesse sur les autoroutes est hors sujet", le débat "appartenant au passé".

On voit par là que sans débat et surtout sans mesure forte, l'avenir appartiendra bientôt au passé.

(1) France Inter, Journal, 27.12.2018, 13h.
(2) Mais à quoi joue donc France Inter en ouvrant son Journal de 13h de ce jour par ce sujet, le présentateur (le par ailleurs sympathque Bruno Duvic) semblant prendre un malin plaisir à jeter de l'huile sur le feu en parlant d'une nouvelle taxe qui aurait été adoptée discrètement?
(3) Gérard Biard, "Un monde de hamsters", Charlie Hebdo, 14.11.2018.
(4) Gilles Toussaint, "A Katowice, le minimum du minimum climatique", La Libre Belgique, 17.12.2018.
(5) Christophe Bourdoiseau, "Du plomb dans l'aile du 250 km/h", La Libre Belgique, 22.12.2018.

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