samedi 29 décembre 2018

La tentation totalitaire

Depuis que le Café du Commerce a été délocalisé sur les ronds-points, la France a perdu la boule.
Des Gilets jaunes décapitent une effigie du Président de la République, mais, disent-ils, il fallait y voir du troisième degré. Le sens de l'humour des bourreaux a toujours été mal compris.
Ce président, on l'a déjà écrit ici, est considéré comme responsable de tout ce qui va mal et le peuple des Gilets jaunes réclame la tête de ce "dictateur". Visiblement, ces contempteurs ne savent pas très bien ce qu'est une dictature. Mais ils ont désormais tous les droits, à commencer par celui de dire et de faire n'importe quoi. Et d'exiger que soient acceptées et aussitôt mises en œuvre toutes leurs revendications. N'y aurait-il pas là une attitude autoritariste?
On assiste aujourd'hui à une prolifération de réclamations de droits individuels, on veut tout et tout de suite, estime Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités à l'Institut Jean Jaurès (1). Et sans respect des devoirs. Les règles, c'est pour les autres, pas pour les Gilets jaunes. Il ne leur est pas possible, disent-ils, de déposer une demande d'autorisation de manifestation. Les partis, les syndicats, les associations le font, mais pas eux, ils en sont incapables, expliquent-ils vu leur non-organisation. (2) Dans quelle société vivent-ils? S'ils ne savent pas ce qu'est une dictature, ils ne savent visiblement pas non plus ce qu'est une démocratie et qu'elle ne peut fonctionner sans règles.
Ils ont un sentiment de toute-puissance, sont dans la dictature de l'urgence. Ce sont eux qui décident et les élus doivent se plier à leurs exigences, à toutes leurs exigences (par ailleurs largement imprécisées). Ils ont la certitude d'avoir raison, d'avoir tous les droits.
Le Référendum d'Initiative citoyenne qu'exigent certains d'entre eux éliminerait, dit encore Jean-Yves Camus, tous les corps intermédiaires. Pour eux, seul Le Peuple peut décider. Ils se méfient des élus, des partis, des syndicats, de tout représentant, sont convaincus que "des forces" tirent les ficelles du système. Ce qui mène certains d'entre eux à l'antisémitisme et à l'anti-maçonnisme.

Les chaînes d'information continue ont amplifié le mouvement en couvrant de manière quasi permanente les actions des G.J. Début décembre, ils ont manifesté à Bruxelles le même jour que la Marche pour le climat. Celle-ci a réuni de 65 à 75.000 personnes, soit beaucoup plus que les GJ, mais la presse n'en a que pour ces derniers et les scènes de violence que génèrent nombre d'entre eux (3). Des journalistes tendent leur micro à n'importe qui, pourvu qu'il porte un gilet jaune et n'importe qui dit  n'importe quoi. Si (ce qui arrive trop peu) un journaliste ose les mettre face à leurs contradictions, les G.J. se montrent aussitôt agressifs, convaincus qu'on veut les empêcher de parler.
C'est ainsi que certains d'entre eux crachent sur la presse (malgré l'attitude largement compréhensive de la majorité des organes de presse), agressent des journalistes qui, selon eux, sont aux ordres du gouvernement et gagnent de 10.000 à 50.000 euros par mois. Ils dénoncent une collusion entre médias et élus mais empêchent la diffusion d'Ouest France qui se paie le luxe d'être critique à leur égard (4). Veulent-ils une presse à leurs ordres?

Des Gilets jaunes se transforment parfois en terroristes. Certains ont agressé un couple homosexuel, d'autres ont exigé d'une musulmane qu'elle ôte son voile. D'autres encore ont caillassé le camion d'un transporteur bulgare qui s'est enfui pour sauver sa peau, a vu un de ses pneus s'enflammer et n'a dû son salut qu'à l'intervention de la police (5). Quelles sont les conditions de travail et de salaire d'un camionneur bulgare? Le salaire moyen d'un Bulgare en 2018 est d'un peu moins de 500 € par mois, soit 73% de moins que le salaire moyen en France. Ce qui n'empêche pas un G.J. de déclarer, pas gêné, qu'il ne peut s'en sortir en gagnant 2800 euros par mois. On s'interroge: quel est son train de vie, quelles sont ses envies de consommation? De qui se moque-t-il? Comment justifier une telle agression? Comment expliquer cette violence contre des gens qui font leur métier dans des conditions bien plus difficiles encore que celles de ceux qui grognent?

Comme le dit l'humoriste Sophia Aram (6), "le gilet jaune est magique, il peut transformer n'importe quelle endive en Che Guevara des ronds-points." Des personnes qui n'ont aucune expertise, aucune analyse socio-politique sérieuse et structurée se retrouvent invitées sur des plateaux télé juste parce qu'elles ne sont pas contentes. Même des complotistes aux théories les plus stupides le sont, uniquement parce qu'ils portent une vareuse jaune fluo.
Le gouvernement a annoncé le lancement dès le début 2019 de grands débats pour répondre à la demande des Bileux jaunes. A eux d'y participer activement, d'accepter de débattre avec des gens qui n'ont pas les mêmes vues qu'eux. S'ils jouent les abonnés absents, c'est qu'ils sont totalement sourds, juste capables de s'écouter eux-mêmes, de se saoûler de leurs vociférations.

Pour terminer, ces propos de l'acteur, réalisateur, musicien et scénariste Alexandre Astier, interviewé non pas à propos des G.J. mais du dernier Astérix qu'il a co-réalisé: "Astérix et ses amis sont comme les Français. Ils ont beau vivre en Armorique, ce sont des Latins, des sanguins. La cohésion sociale, ce n'est pas leur truc. S'ils se posaient autour d'une table et réfléchissaient cinq minutes, ils règleraient leurs problèmes en trois cases! Mais ils n'y voient pas clair parce qu'ils sont tout le temps en colère..." (7).

(1) France Inter, 28.12.2018, 8h20.
(2) France Inter, Journal, 27.12.2018, 13h.
(3) https://www.rtbf.be/auvio/detail_matin-premiere?id=2437056&cid=2437042
(4) https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/27/des-gilets-jaunes-bloquent-la-diffusion-de-journaux-du-groupe-ouest-france_5402732_3224.html
(5) https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/25/a-saint-etienne-du-rouvray-des-gilets-jaunes-ont-pourchasse-un-poids-lourd-bulgare-sur-12-kilometres_a_23626703/?utm_hp_ref=fr-homepage
Tiens, Marine Le Pen ne parle plus d'ensauvagement de la France...
(6) A écouter! Sophia Aram: "La magie de Noël et celle du gilet jaune", France Inter, 24.12.2018, 8h54: https://www.franceinter.fr/programmes/2018-12-24
(7) "Je suis un emmerdeur", Télérama, 5.12.2018.

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