lundi 10 décembre 2018

Exercice démocratique

Discours à la fois humble, calme et décidé du Président de la République ce lundi soir. Il reconnaît des erreurs, condamne la violence, annonce des mesures concrètes et rapides en faveur des revenus les plus faibles. Il dit vouloir affronter les questions du réchauffement climatique et de l'immigration  et promet une consultation large de l'ensemble de la société notamment pour en finir avec une société trop centralisée. Il appelle chacun à assumer ses devoirs et promet de revenir rendre des comptes. Il met en avant trois valeurs: dialogue, respect, engagement. Que pouvait-il dire de plus? Annoncer des mesures fortes en faveur du climat qui, plus que tout, doit être la priorité des priorités (1). Mais pas celle des Gilets jaunes
Le risque est grand de voir la société française basculer dans un chaos que souhaitent les pyromanes, nombreux tant dans ce qu'on appelle la société civile que dans la classe politique. Les irresponsables se sont multipliés ces dernières semaines. 
Il y a quelques jours, dans l'Obs, le journaliste Serge Raffy (2) appelait à voler au secours du "soldat Macron": "jamais aucun président n'avait connu un tel déferlement de haine". Certains, dit-il, lui ont prédit une fin à la Kennedy, "ce qui ressemble furieusement à des incitations à la haine". Il rappelait la légitimité d'Emmanuel Macron, malgré ses erreurs et son arrogance. Il reste, écrit-il, "le rempart contre toutes les dérives, celles du chaos, de l'insurrection généralisée courant vers une France trumpisée. Car il ne faut pas se voiler la face, le mouvement des Gilets jaunes n'a rien de bolchevik. Il pourrait très vite se transformer en un mélange détonnant du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue qu'on voit à l'œuvre en Italie."
Certains à l'extrême gauche soutiennent pleinement le mouvement, guère gênés par les positions racistes et réactionnaires d'une partie des G..J. Toujours cette même vieille logique simpliste et dangereuse qui veut que les ennemis de notre ennemi sont nos amis. Les populismes se retrouvent dans le dégagisme, et la surexcitation de la perspective d'une révolution peut rendre aveugles voire stupides certaines personnes qu'on pensait plus  mesurées et capables d'analyses un peu nuancées.

Dès la fin du discours du Président, des représentants (légitimes ou non? on s'y perd) des G.J. condamnaient (3) ses annonces, témoignant de leur incapacité à saluer leur propre victoire, de leur volonté de jusqu'au boutisme (mais pour aller au bout de quoi? chacun d'entre eux seul le sait) et de leur analphabétisme démocratique. 
S'ils étaient honnêtes avec eux-mêmes, ils reconnaîtraient qu'ils ont été entendus sur la part la plus importante de leurs revendications, ils célèbreraient leur victoire et ils quitteraient leurs ronds-points, au risque, sinon, d'y tourner en rond et d'apparaître comme totalitaires. Leurs actions ont créé entre eux de nombreuses rencontres et des liens forts. On peut comprendre qu'ils abandonnent difficilement leurs campements. A eux de passer à un autre mode de fonctionnement, à être actifs et solidaires dans leurs villages, dans leurs quartiers, à participer, comme tout citoyen, aux débats qui se mettront en place et à inventer l'avenir. Dans le dialogue, dans le respect, dans l'engagement.

(1) http://www.lalibre.be/actu/planete/en-2030-le-climat-ressemblera-a-celui-d-il-y-a-3-millions-d-annees-5c0ed1b1cd70e3d2f72d4142
(2) https://www.nouvelobs.com/politique/20181207.OBS6746/edito-il-faut-sauver-le-soldat-macron-par-serge-raffy.html
(3) sur le plateau de France 2.

Post-scriptum: à propos de la comparaison avec l'Italie, lire cet article du Monde (réservé aux abonnés, donc lisible partiellement si on ne l'est pas): 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/12/on-retrouve-dans-l-opposition-a-emmanuel-macron-les-memes-mecanismes-mis-en-place-contre-matteo-renzi_5396108_3232.html

3 commentaires:

Grégoire a dit…

On ne peut pas être d'accord sur tout... Et pour une fois, je ne partage tout à fait votre point de vue.
D'abord sur le discours, je rejoins plus Martine Legris, sociologue, spécialiste des enjeux de gouvernance démocratique à l’université de Lille, qui déclare au journal Le Monde : "Le président est malheureusement passé à côté du sujet, avec une tendance dans son discours à réduire les demandes des « gilets jaunes » à l’expression d’une volonté de satisfaction immédiate alors même que le mouvement témoigne d’une volonté de réflexion collective sur le système politique en place en France. Son discours n’a pas abordé les questions essentielles soulevées ces dernières semaines concernant la juste répartition des efforts au sein de la population, la protection de l’emploi, l’austérité, ou même la taxation du kérosène et l’isolation des logements."
"Ventre affamé n'a point d'oreilles", dit-on.
Ensuite, sur le Président, que beaucoup ont, très tôt, qualifié de "président des riches". Serge Raffy devrait relativiser son propos concernant la légitimité de Macron. Emmanuel Macron a été élu par 20 743 128 électeurs soit 43,61% des inscrits. La majorité des électeurs n’a donc pas voté pour lui. Et si on s'arrête au premier tour, c'est avec 24,01% des voix qu'il a été sélectionné pour le second tour. Il annonce plusieurs mois de négociations pour les demandes "sociales" alors qu'il ne lui a fallu que trois semaines pour supprimer l'ISF (qu'il refuse toujours obstinément de réinstaurer)... Et que dire de ses déclarations provocatrices, genre "il suffit de traverser la rue pour trouver du travail"...? Un patron français déçu, amer, et anonyme car fervent soutien au début, a déclaré il y a peu dans le magazine Marianne (1129) : "Si vous enlevez les discours, qu'est-ce qu'il reste depuis un an? Un tecnho qui fait des trucs de techno et met des baffes à tout le monde". On pouvait mettre n'importe qui face à Le Pen (21,3 % au premier tour) au second tour, où elle a obtenu 34,1 %, et ce n'importe qui était gagnant, comme le rappelle régulièrement Michel Onfray. J'ai vu une annonce pour une Audi électrique. Je me suis renseigné par curiosité sur le prix. Gloups. Un peu plus de 82.000 euros, modèle de base, je présume. Jacline Mouraud, égérie des Gilets jaunes, a une voiture disel de 10 ans et gagne moins de 1000 euros par mois, comment pourrait-elle se la payer? Bien sûr, il existe des modèles moins chères que cette Audi. La voiture électrique la plus vendue en France, la Renault coûte 23 700 euros (hors bonus écologique de 6 000 euros et hors coût de location de la batterie). Quand même... Pendant ce temps-là, M. et Mme Macron font changer les moquettes et rideaux de l'Elysée pour 500.000 euros, commandent de la nouvelle vaisselle pour 250.000 euros... Un couple de Saône-et-Loire a même envoyé sa vaisselle au couple présidentiel pour lui éviter l’achat d’un nouveau service à la manufacture de Sèvres, en signant "des gens de rien", faisant allusion à l’expression employée par le président l’an dernier pour évoquer de simples gens ordinaires par rapport à ceux qui entreprennent. Une dernière, avant de prendre mon repas :"« On met un pognon de dingue dans les minimas sociaux et les gens ne s’en sortent pas. Les gens pauvres restent pauvres, ceux qui tombent pauvres restent pauvres. On doit avoir un truc qui permet aux gens de s’en sortir. Je vais faire un constat qui est de dire : on met trop de pognon, on déresponsabilise et on est dans le curatif. Il faut prévenir la pauvreté et responsabiliser les gens pour qu’ils sortent de la pauvreté. Et sur la santé c’est pareil ». Donc le malade, si on prend le dernier exemple de Macron, est forcément reponsable de sa maladie. A part la liberté, l'égalité et, surtout, la fraternité ne semblent pas faire partie du vocabulaire de ce président... pas très éloigné de ses caricatures...

Michel GUILBERT a dit…

Je précise - s'il le fallait - que je ne suis pas un fan de Macron, mais je maintiens qu'il est légitime en fonction du système démocratique électif actuel. Et il l'est sans doute plus, à ce niveau, que d'autres présidents avant lui qui ont gagné avec des scores bien moins élevés. Même s'il est vrai que le système français à deux tours oblige à faire un choix par défaut plutôt que par conviction. Mais il est ce qu'il l'est depuis 60 ans, et je n'entends (curieusement) pas de remise en question de ce système présidentiel. Je ne sais pas si le coût de la nouvelle vaisselle est vrai ou non. S'il l'est, il est choquant, mais encore une fois tous les présidents français ont toujours agi de la sorte. Les Français n'ont jamais aimé avoir un président "normal". Ils adorent élire un roi.
Macron annonce cependant une réflexion collective sur le système démocratique français qui devrait, s'il est large et si les G.J. et d'autres s'y investissent, être l'occasion d'une "réflexion collective sur le système politique en place en France" dont M. Legris semble regretter l'absence. J'en reparlerai dans un prochain billet.
Concernant sa réponse aux demandes, il est face à une immense clameur de "yaka" qui touche une politique menée depuis 40 ans. Yaka diminuer les taxes, yaka augmenter les revenus les plus bas, yaka améliorer les services publics, yaka faire tout ce que les autres avant lui n'ont pas fait et yavéquapa supprimer l'ISF (c'est selon moi une erreur, mais constatons que la France était le seul pays de l'UE à l'appliquer - ce dont ne se plaignait pas notamment la Belgique). Les mesures annoncées se chiffreraient dans une fourchette de 8 à 10 milliards d'euros. Yaka augmenter le déficit et envoyer la facture aux générations suivantes (s'il y en a)? Je l'ai écrit, je trouve que le volet, primordial, de l'écologie, est le parent pauvre. Les Verts allemands, pour avoir l'opinion publique avec eux, ont laissé tomber leur projet de tripler le coût du carburant. En Allemagne comme en France, en Belgique et partout ailleurs, nous en paierons tous le prix. Autrement et très rapidement. La question du coût des voitures, même électriques, me paraît, on peut le regretter, dépassée (de toute façon, elles sont à leur manière une catastrophe sur le plan écologique). Nous courons à la catastrophe avec les mains sur les oreilles et sur les yeux. Le changement est là mais notre résistance à ce changement est énorme. Je reconnais qu'il n'y a en politique personne d'assez courageux pour prendre les mesures qui s'imposent. Parce qu'il y a trop peu de citoyens prêts à accepter qu'il est impératif de changer de mode de vie.

Bernard De Backer a dit…

Bravo Michel, excellent ! Ceci dit, si les GJ étaient des bolcheviques, ce ne serait pas mieux : ce serait pire (tout anachronisme mis à part).