samedi 3 février 2018

Un crime d'Etat

"Vous venez de passer un bon moment en regardant votre fiction avec telle marque", dit la voix off après la diffusion de Crime d'Etat (1). Eh bien non, on n'a pas passé un bon moment devant ce qui n'est pas une fiction. On a regardé effrayé le récit d'une réalité glaçante. Celle de l'assassinat déguisé en suicide d'un ministre français en 1979, celle de l'implication au plus haut sommet de l'Etat d'un groupuscule mafieux et criminel, celle d'un crime resté impuni à ce jour.
Ecœuré par ce qu'il avait découvert, Robert Boulin, 59 ans, alors Ministre du Travail et de la Participation dans le gouvernement dirigé par Raymond Barre, avait visiblement décidé de dire ce qu'il savait: le financement occulte du RPR, nouvellement créé par Jacques Chirac, par la Françafrique. Il avait des preuves que des valises de billets étaient apportées à des responsables du parti par des hommes de main de dictateurs africains. Comme l'explique dans le téléfilm l'un des acteurs de cette histoire, tout ce monde-là s'y retrouvait: l'Etat français soutenait les dictateurs en place, faisait des affaires dans ces pays aux ressources intéressantes et envoyait son armée soutenir les forces locales en cas de troubles. Et ce soutien avait un prix que des autocrates africains payaient au RPR sans trop d'états d'âme.
Dangereux concurrent aux yeux de certains, Robert Boulin, qui visiblement avait une vraie éthique, était l'objet d'une campagne de diffamation. Tout en se défendant, il a voulu contre-attaquer. Mal lui en lui a pris: trop seul et trahi par certains de ses proches, il a fini suicidé dans 50 cm d'eau dans un étang. Ce suicide est, aujourd'hui encore, la thèse officielle. Même si les gendarmes qui l'ont trouvé ont découvert un homme au visage tuméfié, comme après un tabassage, sans aucune trace de boue ni sur ses chaussures ni sur le bas de son pantalon, alors qu'il était censé avoir marché sept mètres dans la boue et la vase. Ces gendarmes ont été aussitôt écartés de l'enquête, confiée à des membres de la SRPJ qui l'ont expédiée rapidement. Le médecin appelé sur les lieux a signé le certificat de décès sans même examiner le corps.
Vers deux heures du matin, Raymond Barre, premier Ministre, et Christian Bonnet, Ministre de l'Intérieur, avaient été prévenus que le corps de Robert Boulin avait été retrouvé, mais l'avis officiel de recherche ne sera lancé qu'à 6h25 et le corps retrouvé par deux motards de la gendarmerie qu'à 8h40.
Au fil des années, de nombreuses pièces de l'enquête (y compris des organes du ministre) disparaissent. La veuve de Robert Boulin, pas dupe du sort qui avait été réservé à son mari, reçoit des pressions. Une forte somme lui est proposée pour qu'elle cesse de proclamer sa conviction que son mari a été assassiné. C'est visiblement le S.A.C., Service d'Action civique, groupe de barbouzes attaché au RPR, qui est derrière cet assassinat.
L'enquête apparaît complètement orientée. De nombreuses analyses pourtant logiques et indispensables n'ont jamais été effectuées. Comme s'ils avaient la certitude qu'aucune enquête sérieuse ne serait jamais menée, les exécuteurs du ministre ont à peine pris la peine de maquiller leur crime, sûrs que la thèse du suicide serait la thèse officielle soutenue par les plus hautes instances de la PJ, du Parquet, de l'Etat.

En septembre 2015, une nouvelle information judiciaire a - enfin - été ouverte au Tribunal de Versailles pour arrestation, enlèvement et séquestration suivi de mort ou assassinat. "L'enquête va enfin commencer", déclarait alors la fille de Robert Boulin, Fabienne Boulin-Burgeat. Beaucoup de protagonistes de l'affaire sont morts, mais quels sont les complices de ce crime d'Etat qui ont occupé et occupent encore d'importantes fonctions? On aimerait le savoir. 

Toutes les informations sur cette affaire sont très largement détaillées sur le site de l'association Robert Boulin - Pour la vérité (http://www.robertboulin.net) qui a "pour objet d'apporter son soutien moral et financier au combat de Fabienne Boulin-Burgeat. Trop d'éléments probants ont fait exploser la thèse du suicide, trop de questions restent en suspens auxquelles la justice française ne peut s'exonérer de répondre. La part d'ombre de la 5e République que renferme la vérité de l'affaire Boulin est plus que jamais d'actualité".

(1) Téléfilm de Pierre Atkine, 2012, diffusé sur France 3 en 2013 et rediffusé sur France 5 le 29.1.2018.

Aucun commentaire: