mercredi 20 juin 2018

Ceux qui cherchent asile

Les candidats réfugiés nous tendent un miroir, nous invitent à voir qui nous sommes.
Suffisant Ier se révèle pire encore qu'on ne l'imaginait. C'est Ignoble Ier. Il sépare parents et enfants pour les punir d'avoir osé pénétrer dans son pays d'immigration. Donald Trump franchit les frontières de l'abjection en faisant enfermer ces enfants dans ce qu'il faut bien appeler des cages (*).
En Europe, les dirigeants populistes veulent rejeter au-delà de leurs frontières ceux qu'ils qualifient abusivement d'illégaux. Qui donc est illégal? Tout être humain a le droit de vivre, d'exister, de quitter un pays où il ne se sent pas en sécurité. No one is illegal. 
Les nouveaux dirigeants autrichiens et italiens, ceux de Hongrie et ceux de la CSU bavaroise annoncent leur intention de rejeter au-delà de leurs frontières les réfugiés dont ils ne veulent pas. Ils doivent donc s'attendre à voir arriver ceux que leurs voisins qui pensent comme eux auront rejetés. Que vont-ils faire à nouveau de ces nouveaux réfugiés que leurs confrères en exclusion auront chassés?  Se les expédier sans fin d'un côté à l'autre? Les murs leur nuiraient plus qu'ils ne les serviraient. Vont-ils creuser des fossés entre leurs Etats? Ils pourraient les appeler oubliettes. La bêtise n'a pas de frontières. Et il ne pourront que le constater: celles-ci sont contraires à la vie. Au long de leur longue histoire, les êtres humains se sont développés et épanouis, se sont installés dans le monde en traversant celui-ci et en se fixant là où ils sentaient qu'ils pourraient vivre libres et en sécurité. 

En Belgique, Théo Francken, secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration, a une conception très particulière de son rôle: il refuse asile et migration. D'ailleurs, parmi les six-cent vingt-neuf réfugiés de l'Aquarius il voyait un grand nombre de ressortissants du Bangladesh, considérant qu'ils n'ont strictement rien à faire en Europe. Il s'est avéré qu'ils n'étaient que trois dans ce cas (2). Le mépris et le mensonge sont devenus les seuls arguments de ces (ir)responsables populistes. 

Les migrants de L'Aquarius ont été pris en otages par le nouveau gouvernement populiste italien qui leur a interdit l'accès à son territoire. L'Italie est submergée, c'est un fait, et l'Union européenne, qui s'est bâtie sur le principe de solidarité, a hypocritement fermé les yeux sur une situation devenue ingérable, de nombreux pays - dont la France et la Belgique - continuant à lui renvoyer des candidats réfugiés qui y avaient été enregistrés. L'Aquarius aurait pu devenir Le Radeau de la Méduse sans que cela les émeuve.
"La méthode de Salvini est immonde, écrit Juliette Bénavent (2); mais son constat irréfutable. Oui, l'Italie est scandaleusement abandonnée. L'argent que lui verse l'Union sert de pathétique excuse aux autres pays membres, qui s'empressent de détourner les yeux. Oui, dénoncer le cynisme et l'irresponsabilité de l'Italie est particulièrement déplacé de la part d'Emmanuel Macron, un président qui a enterré toutes ses humanistes promesses de campagne sur le sujet."
Le président français, qui apparaissait comme le grand défenseur de l'U.E., celui qui semblait capable de la pousser à aller au-delà de ce qu'elle est devenue, a raté une belle occasion d'appliquer et de redynamiser le principe de solidarité plutôt que de tancer si facilement un pays dont plus personne ne veut voir qu'il est quotidiennement débordé. Aujourd'hui, il tente de se rattraper en proposant à l'Espagne d'accueilir une partie des réfugiés que celle-ci a accepté d'accueillir. Pourquoi la France ne l'a-t-elle pas fait d'emblée? Viva Espana. L'épisode de L'Aquarius mettra-t-il fin, enfin, à l'inapplicable protocole de Dubin? L'Union européennen va-t-elle, enfin, renouer avec ses valeurs de base?

On aimerait que chacun de ces dirigeants politiques, chefs d'Etat, ministres, secrétaires d'Etat, en cette journée mondiale des réfugiés rencontre ne serait-ce qu'un seul candidat réfugié, l'écoute raconter son histoire, ce qu'il a vécu dans son pays d'origine, ce qu'y vivent encore ses proches, son errance, ses emprisonnements multiples, les soumissions, les tortures qu'il a subies, la traversée de la Méditerranée ou des Balkans et des Alpes, les humiliations, les nuits dans la rue, la faim, l'insécurité. Sortirait-il indemne de tels récits? Si c'est le cas, qu'il cède sa place. Gouverner, c'est aussi être capable de se mettre à la place de l'autre. Et pas seulement à celle de ses électeurs comme il les imagine. D'autant que nombre d'entre eux, c'est-à-dire d'entre nous, se sentent appartenir à la même race humaine. Et savent que ce qui arrive à certains aurait hélas pu leur arriver. Les réfugiés interrogent notre capacité à être humain. 

(*) Post-scriptum: lire ou écouter à ce sujet le virulent éditorial de Bernard Guetta sur France Inter ce jeudi matin: https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-21-juin-2018
(1) http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/theo-francken-redouble-d-idees-personnelles-pour-laisser-les-migrants-aux-portes-de-l-europe-5b263aca55326301e7950f73
(2) "L'Europe à la dérive", Télérama, 20.6.2018.

(Re)lire sur ce blog:
- "La machine à refouler", 6.6.2018;
- "Etre humain", 23.1.2018;
- "La chasse est ouverte", 22.9.2017;
- "Le mépris", 16.9.2017;
- "Etre ou haïr", 8.8.2017;
- "Dans le mur", 10.2.2017;
- "Le mur murant Paris...", 6.2.2017;
- "Je cherche un homme", 22.1.2017;
- "L'accueil des déracinés", 4.1.2017;
- "Ceux qui n'aiment pas les autres", 17.10.2016;
- "A la mémoire de Zsuzsanna", 10.10.2016;
- "Plus d'Europe", 15.3.2016;
- "Les sinistrés et les toxiques", 18.9.2015;
- "Humanité et son contraire", 7.9.2015;
- "Un air de printemps", 2.9.2015;
- "Paroles, paroles, paroles", 26.8.2015;
- "Heures sombres", 26.6.2015;
- "La honte", 9.6.2015.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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