samedi 30 juin 2018

Tu aimeras ton prochain

Les réfugiés, ils n'en veulent pas. Eux, ils sont populistes, donc ils savent ce qu'aime et n'aime pas le peuple. Et le peuple, disent-ils, n'aime pas les autres. En tout cas pas ceux qui n'ont pas les mêmes racines chrétiennes qu'eux. Donc, c'est simple, il faut fermer les frontières.
En réalité, ils ont principalement bâti leur programme politique simpliste sur ce seul rejet des étrangers. "Ils veulent faire croire à la population que le plus grand problème de notre époque ce sont les réfugiés, et nombre de concitoyens tombent dans le panneau", écrit Stefan Ulrich dans le Süddeutsche Zeitung (1).
Parfois pourtant, la cohabitation se passe sans tension et le climat s'apaise. Ainsi au Luc en Provence, commune de 10.500 habitants gérée par le FN-RN, où l'annonce, voici six mois, de l'arrivée dans un centre d'accueil d'une trentaine de demandeurs d'asile afghans et soudanais avaient suscité une virulente opposition. 0,29% de la population allait faire basculer le bourg dans le chaos. "L'afflux de migrants va poser d'énormes difficultés dans cette ville", pouvait-on lire sur Internet. "Le Luc est un si joli village. Il va être saccagé par cette horde." La mairie Front national avait signé une charte anti-migrants. Le maire prévoyait une "hausse des actes de vols", une "baisse du nombre de touristes" et une "baisse des investissements des entreprises". Il allait jusqu'à affirmer que "leur sexualité pose souvent problème" (2). Six mois plus tard, Le Luc est toujours aussi tranquille, malgré la présence d'une "horde" de trente candidats réfugiés et certains habitants regrettent avoir signé cette pétition. Ils se sont laissés entraîner par leur horde à eux. Une vraie meute aujourd'hui plus tranquille. Le maire reconnaît que "les choses se passent bien", même s'il se dit toujours opposé à l'accueil de migrants. On ne sait rien de sa sexualité. On espère qu'elle ne pose pas problème.
Les fantasmes du maire du Luc correspondent aux "perceptions de l'extranéité" selon l'écrivaine américaine Toni Morrison : "menace, dépravation, inintelligibilité" (3).

Quant aux investissements des entreprises, que le maire se rassure : certaines d'entre elles voient d'un bon œil l'arrivée de migrants. Rians, village du Cher, a plus d'emplois que d'habitants et ses entreprises - une laiterie qui produit crèmes et yaourts, et une chaudronnerie - peinent à recruter. Récemment, la laiterie a engagé un informaticien qu'elle a recruté au Gabon. La Creuse commence à manquer de maçons, alors qu'il s'agit là d'une activité traditionnelle qui fit et fait encore sa réputation. Plus au sud encore, des entreprises sont heureuses de pouvoir compter sur des migrants qu'elles forment pour répondre à leurs besoins de main d'œuvre.

En attendant, malgré les réalités de terrain, bien moins sombres et dramatiques qu'ils le hurlent, les populistes tirent l'Europe vers le bas. L'accord flou issu du dernier sommet européen prévoit de créer dans des pays d'Afrique du Nord des "plates-formes de désembarquement" pour séparer le bon grain de l'ivraie, et sur le sol européen des "centres contrôlés" dans des Etats qui les accepteraient. L'Union européenne compte donc sur des Etats qui lui sont étrangers pour empêcher ceux dont elle ne veut pas d'arriver jusque chez elle. Et pour ceux qui y arriveraient, elle compte sur le volontariat. La France a déjà annoncé qu'elle n'avait "pas vocation à être un pays d'arrivée". Comme l'écrit Hadrien Mathoux dans Marianne (4), "le projet européen d'accueil des migrants est une initiative de volontaires... sans volontaires". La réforme de la convention de Dublin est, elle, reportée aux calendes grecques. Les Etats européens du groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) ont marqué leur accord pour financer ces centres avec la contrepartie qu'ils n'accueilleront aucun réfugié.
Par définition, les nationalistes ne voient que leur propre intérêt. La notion même de solidarité (dont ils ont largement bénéficié de la part de l'UE) leur est étrangère. "Les nationalistes n'ont (...) aucun intérêt à ce qu'on trouve une solution juste et raisonnable, parce qu'une Europe en crise les renforce. Et ces nationalistes sont non seulement au pouvoir à Varsovie et à Budapest, mais aussi à Rome, Vienne et Munich. Ils se sont introduits au cœur de l'Europe", écrit Stefan Ulrich.
En acceptant de se transformer en forteresse, l'Europe fait  triompher les populistes. "La moindre des choses, dit encore le journaliste allemand, serait qu'ensuite ils aient la décence de ne plus jamais prétendre défendre l'Occident chrétien. Car Dieu sait que leurs agissements n'ont rien de chrétien."

Sono arrivati che faceva giorno
Uomini e donne all' altiplano
Col passo lento, silenzioso, accorto
Dei seminatori del grano
E hanno cercato quello che non c'era
Fra la discarica e la ferrovia
E hanno cercato quello che non c'era
Dietro i binocoli della polizia
E hanno piegato le mani e gli occhi al vento
Prima di andare via

Fino alla strada e con la notte intorno
Sono arrivati dall' altiplano
Uomini e donne con la sguardo assorto
Dei seminatori del grano
E hanno lasciato quello che non c'era
Alla discarica e alla ferrovia
E hanno lasciato quello che non c'era
Agli occhi liquidi della polizia
E hanno disteso le mani contro il vento
Che li porta via

Gianmaria Testa, Seminatori di grano (album Da questa parte del mare)

(1) 25.6.2018, in le Courrier international, 28.6.2018.
(2) https://www.france.tv/france-2/journal-20h00/537907-edition-du-mercredi-27-juin-2018.html
(3) Toni Morrison, "L'origine des autres", éd. Christian Bourgois, 2018.
(4) https://www.marianne.net/societe/crise-des-migrants-un-accord-boiteux-pour-l-union-europeenne

1 commentaire:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.