jeudi 26 juillet 2018

"Le Lambeau"

C'est un livre sur la résilience, sur la voie difficile et douloureuse de la reconstruction, tant physique que psychique. Philippe Lançon, contrairement à tant de ses camarades de Charlie Hebdo, est sorti vivant du massacre dont a été victime l'équipe. Vivant mais diminué, puisqu'il a été blessé au bras et, surtout, a eu la mâchoire inférieure arrachée par une balle de kalashnikov.
Il est revenu d'entre les morts et c'est ce long cheminement vers la vie qu'il raconte, vers son autre vie, vers celui qu'il sera parce qu'il a vite compris qu'il ne serait plus jamais celui qu'il a été.
Dans ce journal intime qui ne ressemble à aucun autre, il nous parle de "la solitude d'être vivant", de sa difficulté à rester en lien avec certains proches, parce qu'il est, dramatiquement et simplement, proche de ses amis tués et centré sur lui-même, sa douleur, ses angoisses et qu'elles ne sont pas partageables.

Il parle très peu des assassins de ses amis, de ceux qui l'ont blessé à jamais. "Je n'ai aucune colère contre les frères K, je sais qu'ils sont les produits de ce monde, mais je ne peux simplement pas les expliquer". Ils les voit comme des censeurs violents: "toute censure est bien une forme extrême et paranoïaque de critique. La forme la plus extrême ne pouvait être exercée que par des ignorants ou des illettrés, c'était dans l'ordre des choses, et c'était exactement ce qui venait d'avoir lieu: nous avions été victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu." 

Il raconte son parcours médical fait d'avancées et de reculs, d'espoirs et de déceptions, au fil de dix-sept interventions chirurgicales (de janvier 2015 à août 2017 - ceux qui le lisent chaque semaine dans Charlie savent que ce parcours n'est hélas pas fini). Son plaisir de revenir à l'hôpital, de retrouver sa chirurgienne, sa colère au contraire de n'avoir pas de ses nouvelles.
"Le Lambeau" est aussi un hommage au corps médical, médecins, infirmières, aide-soignants, kinés, pyschologues, brancardiers, à tous ceux et toutes celles qui quotidiennement accompagnent - chacun avec ses compétences, son opiniâtreté, sa désinvolture, son style - leurs patients. Un hommage aussi aux policiers qui assurent sa sécurité.
Hommage enfin à la culture qui l'a aidé à se reconstruire: Proust, Shakespeare, Bach, Kafka, Velasquez, le jazz l'ont accompagné dans ses chambres d'hôpital, dans les salles d'attente et d'opération. La culture comme boussole, comme bouée, comme refuge, comme point d'appui.

Le récit est calme, posé, bouleversant. Il nous parle de vie, de mort, de douleur, de corps, d'amour, d'amitié, d'écriture et de musique, de couleurs et d'odeurs. Il nous parle de lui. Il nous parle de nous.  

"Le Lambeau", Philippe Lançon, Gallimard, 2018.

Les critiques dans "Le masque et la plume":
https://www.franceinter.fr/livres/le-lambeau-de-philippe-lancon-les-critiques-du-masque-et-la-plume

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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