lundi 16 juillet 2018

Le diable et nous

Depuis mon adolescence, je ne crois ni à dieu ni à diable. Mais voilà que je doute. Je ne vois de dieu nulle part, mais je commence à me dire que le diable pourrait bien exister. Je le vois avec la mèche blonde, la lippe boudeuse et l'attitude arrogante. 
Ubu Trump semble s'être donné pour mission de briser les ententes, de casser les accords, de semer  la zizanie partout où il le peut. Voilà qu'il déclare que le Royaume-Uni doit opter pour un Brexit dur sous peine de ne pouvoir conclure un accord économique avec les Etats-Unis. Voilà qu'il affirme que l'Union européenne détruit son identité et sa culture en laissant entrer sur son sol trop de migrants. Voilà qu'il reproche à Sadiq Khan, le maire de Londres, de n'en avoir pas fait assez pour lutter contre le terrorisme et d'être incapable d'endiguer l'augmentation du nombre de meurtres à Londres (1). Suffisant Ier, brave soldat de la NRA, semble oublier que les meurtres et accidents par armes à feu sont en augmentation dans son pays si sécurisé et il ne bougera pas le petit doigt pour inverser la tendance. C'est une (vieille) histoire de paille et de poutre. On peut être un homme grand et être très petit. On peut être président des Etats-Unis et être l'incarnation de la grossièreté, de la fatuité et de l'inculture.

"Comme les petits Mussolini sont nombreux, se fâche le journaliste Bernard Guetta lors de sa dernière émission sur France Inter (2). Regardez Monsieur Erdogan, regardez Monsieur Orban, regardez Monsieur Poutine. Il y a partout sur les cinq continents aujourd'hui un parfum très très pesant de nationalisme, de xénophobie, de peur de tout et d'abord de l'étranger. Nous sommes plus de cinq cents millions d'habitants de l'Union européenne et nous avons une peur panique de quelques dizaines de milliers de réfugiés ou de prétendants à l'immigration économique qui arrivent sur les côtes italiennes. Mais nous avons perdu la raison! Regardez maintenant les Etats-Unis: ils sont plus de 300 millions, le pays le plus riche du monde, la plus grande démocratie, et Monsieur Trump en arrive à faire arracher des enfants des bras de leurs mères par peur de l'immigration. Mais nous sommes fous! Le monde devient fou!"
Les populismes qu'incarnent ces petits Mussolini trouvent leur succès dans notre "peur d'un avenir que l'on ne voit pas, opaque, incompréhensible, imprévisible. Que faisons-nous?", demande Bernard Guetta qui trouve incompréhensible qu'il n'y ait pas de manifestations de masse contre le boucher de Damas, contre l'horreur, l'abomination. "Il n'y a plus de croyances collectives, bonnes ou mauvaises, pour faire descendre les gens dans la rue. Les choses sont devenues tellement complexes pour la majorité des gens - alors qu'en fait elles ne le sont pas vraiment - qu'on hésite à s'engager."
S'exprimant depuis vingt-sept ans, chaque matin de la semaine sur France Inter, Bernard Guetta va nous manquer. Européen convaincu, ce "sage" (comme l'appelle une auditrice) engagé estime que "la force du capital internationalisé n'a jamais été aussi grande et qu'il faudrait pouvoir lui opposer au minimum une puissance publique de taille continentale". Et on repense à ce diable de Trump que d'aucuns veulent voir comme un "anti-système" et qui essaie, notamment, de diviser l'Union européenne pour que le système capitaliste puisse s'exercer plus sauvagement encore.
Comment refonder, revivifier l'Union européenne? Il s'agit de nous interpeller nous-mêmes, nous, les citoyens de ces 27 pays, répond Bernad Guetta. "Que voulons-nous? Aborder en ordre dispersé la Russie de Poutine, l'Amérique de Trump, les chaos au Moyen-Orient, la Chine montante dont le budget militaire ne cesse d'augmenter? L'U.E. et les pays qui la composent sont le bastion de la démocratie et de la protection sociale."
Le philosophe allemand Jürgen Habermas ne pense pas autrement: "depuis un quart de siècle, je prône une intégration politique européenne plus poussée parce que je pense que seule cette configuration du continent permettra de contrôler un capitalisme devenu sauvage" (3).
Il est temps de se lever contre les petits Mussolini et les prêcheurs du repli sur soi, de sortir de nos critiques - même si elles sont pour partie fondées - sur l'Europe, pour la bousculer, la dynamiser, mettre en œuvre ce qui a fondé l'Union: la solidarité. Et de faire tomber de leur piédestal tous les philistins racrapautés derrière leurs frontières sur un passé mythique et une vision du monde dépassée. Il est temps de remettre le diable à sa place: dans les poubelles de l'Histoire.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/12/brexit-theresa-may-sadiq-khan-donald-trump-se-lache-dans-une-interview-decapante-au-sun_a_23480948/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-06-juillet-2018
(3) "L'entretien", Le Courrier international, 5 juillet 2016.

3 commentaires:

Grégoire a dit…

Dans la Genèse, il est écrit "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front". A partir de là, ceux qui disposent d'assez de capital pour vivre de leurs investissements/rentes imposent un modèle de société où tous les autres doivent faire un effort pour mériter de quoi (sur)vivre. La Finlande a fait marche arrière il y a quelques mois sur le revenu universel, misant à nouveau sur la conditionnalité. Ce n'est pas en imposant des conditions d'octroi d'aides qu'on va créer des emplois en adéquation avec ceux qui en recherchent. Il n'y a plus, et il n'y en aura jamais plus, assez d'emplois pour tout le monde. L'Organisation Internationale du Travail considère déjà qu'il y a déjà du plein emploi avec un taux de chômage de 5%... Les plus faibles économiquement de la société savent pertinemment qu'ils pèsent peu dans les choix de société même si ceux-ci les concernent. C'est une réflexion d'un cynisme extrême, mais jadis, ce genre d'équation se résolvait, momentanément, par la guerre, dont Paul Valery disait que c'était "un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas.". D'où cette névrose sociale – la guerre est plus difficilement "acceptable" qu'il y a 100 ans –, où le peuple se rend compte que voter soit à gauche (gauche officielle s'entend), soit à droite (qui appliquera toujours son programme), n'engendre jamais de vrais changements, que reste-t-il? Les populistes, moins inacceptables socialement que l'extrême-droite clairement identifiée. Les Européens les plus fragiles voient arriver des dizaines de milliers de personnes qu'ils voient d'emblée comme des concurrents. Et comme, visiblement, la classe dirigeante n'envisage pas d'augmenter la taille du budget de l'aide sociale, ce serait même plutôt l'invere...

Michel GUILBERT a dit…
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Anonyme a dit…
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