mercredi 29 août 2018

Cette croissance qui nous diminue

Hier soir, l'émission 28 minutes sur Arte, suite à la démission de Nicolas Hulot, se posait cette question: l'écologie est-elle compatible avec le capitalisme? La bonne question serait plutôt: le capitalisme est-il compatible avec l'humanité? Le monde s'apprête à mourir de croître. Cette croissance, qui ne sera pas infinie, semble être le moyen que nous avons choisi pour nous suicider collectivement. Le monde court à sa perte, le sait, mais n'a qu'un souci: son taux de croissance. Le marché ne règlera aucun problème sans régulation forte. Il est le problème, pas la solution. Notre société du jetable est partie en vrille. Même l'homme est devenu jetable. Le dernier qui part éteindra la lumière. Pour ne pas trop perturber les derniers oiseaux qui subsisteront.

Le quotidien Sud-Ouest écrit (1) que  "Hulot part pour la plus absolue des raisons: notre incapacité collective à prendre la mesure des événements qui nous submergent déjà". Alors que des analystes prédisent la disparition de 80% de l'humanité d'ici la fin du siècle, il estime que "Hulot part emporté par un pessimisme noir sur la cécité de nos sociétés et une déception philosophique sur l'homme et son avidité". Hulot, écrit encore Sud-Ouest, part sur "un constat d'impuissance qui dépasse de très loin le cadre étroit de l'action ministérielle".

Récemment, une amie nous racontait cette anecdote: randonnant sur les causses, elle croise un couple qui sort d'une voiture mal garée. La femme fait remarquer à son compagnon que, ainsi parqué, il empêche d'autres véhicules de se garer là. "Rien à foutre des autres!", lui a-t-il répondu. Aujourd'hui, les partis "rien-à-foutre-des-autres" triomphent un peu partout. Alors qu'il y a urgence à quitter le déni, le je-m'en-foutisme, le après-nous-les-mouches, le yaka.
Au-delà du constat d'une catastrophe annoncée, quel pourcentage de la population est vraiment prête à changer son mode de vie? Qui est prêt à utiliser moins souvent sa voiture, à rouler moins vite, à ne plus prendre l'avion deux fois par an pour changer d'air et décompresser? Qui est prêt à consommer moins, à changer de mode de transport, à consommer des produits locaux, à refuser des consommations carbonées, à accepter des éoliennes dans son paysage?
Le nombre de romans dystopiques qui sortent ces derniers temps ne nous invite guère à l'optimisme.

L'éditorialiste de France Inter, Thomas Legrand, estime (2) que la démission de Nicolas Hulot révèle le grand malentendu autour de l'écologie: celle-ci ne peut être une politique parallèle aux autres, elle doit les traverser toutes. "Il ne s'agit pas, en fait, d'en faire plus, mais de changer de logique, d'opérer une révolution, puisque ce mandat est placé sous ce vocable." On ne peut, dit-il, se réjouir de voir la France construire l'un des plus grands porte-containers du monde, parce que ce serait un signe du grand savoir-faire français et une mine d'emplois et en même temps souhaiter de make our planet great again. Il faut choisir. Même si c'est dur. Le grand écart est aussi douloureux qu'invivable. "Mais le gouvernement n'est pas seul en cause, dit-il encore. L'ensemble de la société qui se dit pour la transition, mais qui, par exemple, s'étrangle dès que la maire de Paris ferme une autoroute urbaine, est appelée par le ministre démissionnaire à une prise de conscience."

La solution - s'il est permis d'y croire encore -  viendra d'un mouvement collectif, pas d'un gouvernement, quel qu'il soit. Elles sont nombreuses, les associations largement engagées dans la transition, dans l'opposition aux délires de cette croissance suicidaire et surtout dans l'action réellement écologique. Mais c'est au niveau mondial (à tout le moins européen) qu'aujourd'hui des décisions radicales devraient être prises. Elles ne pourront l'être par des élus soucieux de leur réélection, mais par des assemblées de citoyens soucieux de l'avenir de l'humanité. L'homme ne sera sauvé que par lui-même, pas par ses représentants.

(1) Revue de presse, France Inter, ce 29 août.
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-29-aout-2018



3 commentaires:

Grégoire a dit…

L'équation est simple : Les humains sont de plus en plus nombreux et la planète sur laquelle ils se trouvent est par féfinition un espace limité, avec des ressources limitées. Tant qu'on ne limitera pas le nombre de naissances... la Chine a abandonné la limitation d'un enfant par famille il y a deux ans, mais la natalité a malgré cela continué à chuter, mettant la pression sur le système des retraites. Si on n'abandonne pas la position idéologique qui consiste à faire suporter le poids financiers des systèmes de sécutité sociale (retraite, chômage, santé...) principalement sur les actifs, qui sont et seront de moins en moins nombreux, car il faut de moins en moins de monde pour fabriquer des produits (c'est ce qu'on appelle habituellement le "progrès"), cette équation-là non plus n'est pas plus rassurante que la première. On ne persuadera pas tout le monde de cesser d'amasser de l'argent notamment par crainte de l'avenir, puisque l'épargne fait partie des critères d'une gestion en bon père de famille. Il faudrait créer un cadre socio-économique suffisament rassurant pour qu'un maximum de personnes ne se sentent plus en insécurité financière. Le revenu garanti universel (testé en Finlande), déjà évoqué ici, est probablement un début de solution.
Désolé pour toutes ces banalités...

Michel GUILBERT a dit…

Ce ne sont pas des banalités, mais des réalités qui influent fortement sur la situation que nous connaissons actuellement.
Ce matin, sur France Inter, Pascal Canfin insistait sur la nécessité de s'attaquer, en plus de la dette financière, à la dette écologique. A moins de n'avoir aucun souci des générations qui nous suivent...

Bernard De Backer a dit…

Je ne partage pas ce point de vue sur le capitalisme, cause de tous nos maux. Les régimes de propriété collective des moyens de production, inspirés par Marx et Lénine, ont ravagé l'environnement (et affamé les paysans). Sans parler d'autres catastrophes pré-industrielles à des échelles plus petites (Islande, Empire Maya, Ile de Pâques, etc.).Bien entendu, cela à la hauteur des technologies dont ces sociétés disposaient. Le mot "capitalisme" est terriblement polysémique : économie de marché, capitalisme de "concurrence parfaite", capitalisme oligopolistique... De quoi parle-t-on exactement ? La suite du texte avec la citation de Hulot et l'exemple de l'automobiliste fait d'ailleurs plus état d'une attitude anthropologique ("déception philosophique sur l'homme et son avidité"). On peut très bien imaginer une économie de marché ou mixte (voir les pays nordiques) davantage tournée vers la transition si les consommateurs le souhaitent !