lundi 10 février 2020

Mais où est-Il?

Soyons triviaux. Une fois n'est pas coutume. L'actualité nous y invite. La question n'est pas  ici de décider de ce qui est de bon ou de mauvais goût, de ce qui est grossier ou non. Si quelque autorité que ce soit (politique, religieuse, culturelle, sociale) agissait par décret sur le goût, la télé verrait disparaître au moins la moitié de ses émissions et Internet des milliards de pages. La question est celle de la liberté d'expression.
Récemment, une jeune fille homosexuelle de seize ans, Mila, a éconduit un jeune homme qui la harcelait sur Internet. Celui-ci l'a aussitôt accusée de racisme antimusulman. Puis, d'autres aboyeurs qui traînent sur la toile, l'ont traitée de "sale Française", de "sale gouine", de "chiennasse".
Sa réaction fut virulente: "Votre religion, c'est de la merde. Votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci. Au revoir", a-t-elle répondu à ceux qui l'injuriaient.
Fureur noire de centaines de personnes qui, depuis, lui adressent quotidiennement des messages haineux et des menaces de mort. Au point qu'elle a dû quitter son école et disparaître vu la violence des attaques à son égard et à celui de sa famille.
Ceux qui s'offusquent des propos de Mila ne croient pas en Dieu. Ils ne croient pas ce que toutes les religions monothéistes enseignent: Dieu est un être immatériel et il est partout. Plutôt que de se scandaliser des propos de Mila, ils auraient dû en rire. Et lui faire admettre que sa menace était totalement irréalisable. Affirmer vouloir toucher à quelque partie que ce soit de l'anatomie de Dieu, c'est totalement méconnaitre ce dernier. Même si la représentation collective le voit comme un vieux barbu (un homme, évidemment) au regard sévère, il n'a pas plus de cul que de tête, vu son immatérialité. Comme l'écrit Yannick Haenel dans Charlie Hebdo (1), "la localisation de l'anus divin s'annonce compliquée". Dieu échappe au trivial par son absence de corps.

La meilleure preuve, s'il en fallait, que Dieu est immatériel, c'est qu'il n'a ni yeux ni oreilles: il ne voit pas, n'entend pas les violences commises depuis les débuts de l'humanité, la misère, les inégalités, la planète qui part à la dérive. S'il les voyait, voilà longtemps qu'il aurait foudroyé ceux qui, depuis des millénaires, sont responsables de millions de morts. Combien compte-t-on dans l'histoire de l'humanité d'hommes, de femmes, d'enfants tués au nom de Dieu? Combien de conversions forcées, d'enlèvements, de viols, de tortures, d'attentats, de brutalités commises au nom de celui qui est, nous dit-on, l'incarnation de la bonté et de l'amour? On n'a pas le droit de se moquer de Dieu. Mais lui a le droit de se moquer de nous. Et bien pire. A croire qu'à force d'être partout Dieu n'est nulle part.

Ce qui n'empêche que se moquer de cette idée qu'est Dieu ou l'insulter suscite aussitôt une sainte haine. La haine souvent repose sur l'ignorance et l'absence de réflexion. On n'en absoudra pas pour autant les haineux.
On n'absoudra pas non plus la gauche, ni les mouvements féministes (pas tous heureusement - 2) qui brillent, dans cette "affaire Mila", par leur silence religieux. Ou pire: qui condamnent la blasphématrice plutôt que ceux qui la menacent de mort. 
Le Parti communiste n'est plus ce qu'il était. Le voilà qui condamne les "insultes à la religion". Karl Marx doit se retourner dans sa tombe, lui qui affirmait que "la religion est l'opium du peuple". Et  voilà le secrétaire général du PCF qui se range du côté des bigots. O tempora, o mores!

(1) dans le n° de Charlie Hebdo du 5.2.2020, numéro spécial blasphème.
(2) Le mouvement Femen, la Ligue du Droit international des femmes, Regards de femmes et Libres MarianneS ont soutenu Mila.
Note: Tous ceux qui, sans vraiment le dire, aimeraient voir réintroduit le délit de blasphème donnent implicitement raison à ceux qui menacent de mort Mila. Ce sont les mêmes que ceux qui depuis 1988 menacent de mort Salman Rushdie et tant d'autres impies. Ceux-là préférent défendre l'intégrité physique et la réputation d'un être immatériel (auquel la plupart d'entre eux ne croit pas), plutôt que celles d'une jeune fille ou d'un écrivain. Y a-t-il un psychiatre dans la salle?
A écouter, Sophia Aram ce matin sur France Inter:
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-10-fevrier-2020
A écouter, Brigitte Fontaine, "God Go To Hell", https://www.youtube.com/watch?v=Ny9hpp4HD0w

Enfer chrétien, du feu.
Enfer päien, du feu.
Enfer mahométan, du feu.
Enfer hindou, des flammes.
A en croire les religions, Dieu est né rôtisseur.
Victor Hugo, "Choses vues" (1)

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Article bienvenu et bien torché, comme d'habitude. Ceci étant, la question de fond est la relation entre "religion" et "homophobie" ou domination masculine, voire entre "religion séculière" (bolchevisme, psychanalyse...) et "sexalité naturelle". Gauchet a bien traité de la question dans "La fin de la domination masculine" dans Le Débat d'il y a un an ou deux. Et un cinéaste kurde iranien a fait un beau film.