dimanche 2 février 2020

Quand hurle la hyène

La haine semble aujourd'hui devenue pour tant de gens une manière simplement normale de s'exprimer. Je suis fâché ou simplement pas d'accord, donc il n'est que logique que je hurle, j'agresse, j'insulte, je casse. Beaucoup de ceux qui n'acceptent pas qu'on ne soit pas d'accord avec eux ou simplement qu'on ne pense pas comme eux crachent aussitôt, menacent de viol ou de mort. Ou des deux.

On a évidemment parfaitement le droit de ne pas être d'accord avec tel ou tel projet du gouvernement. Mais il faut vraiment manquer d'arguments solides pour envahir les locaux d'un autre syndicat qui ne suit pas la même stratégie que la vôtre, pour démolir la permanence d'un député de la majorité ou, pire encore, pour promener au bout d'une pique une représentation de la tête du président de la République en appelant à sa décapitation. C'est ce qui s'est passé récemment lors d'une retraite aux flambeaux contre la réforme des retraites. "La forme n'est pas anecdotique, ce genre de manifestation relève d'une esthétique militariste et pour tout dire fasciste", écrit le journaliste de Marianne Guy Konopnicki (1). Robert Badinter a poussé une vraie et saine colère au vu de cette manifestation haineuse (2): "Ce n'est pas tolérable! Rien n'excuse ce degré de violence, non pas physique encore, mais verbale. Rien! La représentation d'une tête au bout d'une pique, qui n'est rien d'autre que la continuité d'une guillotine, est, pour moi, à mes yeux, absolument, totalement condamnable. L'ex-garde des Sceaux, à qui l'on doit la suppression de la peine de mort en France, rappelle que les opposants, quels qu'ils soient, ont à leur disposition, pour se faire entendre, "tous les moyens, toutes les libertés, l'expression, le défilé, la manifestation, le slogan, mais pas la violence physique, pas l'agression des êtres humains, pas non plus la symbolique de la mort". Parce que, dit-il, "la mort n'est pas compatible avec nos idéaux".
Guy Konopnicki partage la colère de Robert Badinter: "ceux qui, aujourd'hui, en sont encore à célébrer les piques et la Guillotine n'ont décidément rien compris à l'histoire de la Révolution, ni à celle d'aujourd'hui. L'abolition de la peine de mort, dont Robert Badinter fut l'artisan, est un acte révolutionnaire. On ne lutte pas pour la justice en jouant de cette esthétique mortifère".
Une élue de l'opposition, plus précisément de La France insoumise, a minimisé l'évènement auquel elle a participé: on a bien le droit de faire un petit jeu de mots, s'est-elle défendue: "une retraite aux flambeaux pour ne pas avoir une retraite en lambeaux" (3). Ce qui nous amène, à nouveau, à cette question: à quoi cette France-là est-elle insoumise? au respect de la vie? à l'intelligence? à la civilité?

On a parfaitement le droit de ne pas supporter une attaque contre la religion en laquelle on croit. Surtout si l'attaque est grossière. Mais il ne faut vraiment pas faire confiance à son dieu pour menacer de viol et de mort l'auteure de propos qu'on juge insupportables. Ce dieu-là doit être bien faible pour n'être pas capable de se défendre lui-même (4). L'islam est une religion de haine, disait l'adolescente qui a prononcé ces paroles jugées offensantes. C'est faux, lui ont répondu quelques haineux qui l'ont menacée de mort, lui donnant ainsi raison. "Pour n'avoir pas compris que l'islam est une religion "d'amour et de paix", elle est menacée de mort, de viol, d'égorgement...", écrit Dominique Nora dans L'Obs.
On notera que la colère de la jeune fille est consécutive au fait qu'elle ait éconduit, dans une discussion sur Internet, un harceleur qui l'a alors accusée de racisme antimusulman. A la suite de quoi, des hyènes lui sont tombées sur le dos, la traitant de "sale Française", "sale gouine", "chiennasse". L'art de la conversation se perd. Le Conseil français du culte musulman n'a rien trouvé d'autre à dire que "Qui sème le vent récolte la tempête". Peut-on se permettre de le mettre en garde? Qui se met la tête dans le sable ne doit pas s'étonner de se prendre un coup de pied dans le cul. Réaction affligeante, juge Dominique Nora (5), "alors que la très grande majorité des musulmans de France sont ouverts et tolérants" et que 81% d'entre eux disent n'avoir "aucun problème à discuter avce des gens qui ne partagent pas les mêmes valeurs". En attendant, la jeune fille menacée n'a reçu que le soutien de l'extrême droite trop contente d'une telle aubaine. Et la gauche et les défenseurs des LGBT se taisent courageusement. Certains militants de la cause homo se sont exprimés néanmoins: pour sommer la jeune fille de retirer le drapeau arc-en-ciel de son profil sur Internet. "Nous y voilà: dans l'espace publie, la gauche essentialiste semble avoir muselé la gauche humaniste", déplore Dominique Nora.

On a parfaitement le droit de ne pas apprécier les décisions d'un arbitre. Autre chose est de le tabasser pour cela. C'est ce qui se passe de plus en plus souvent dans le milieu du football. Au point qu'il y a deux semaines les arbitres du Loir-et-Cher s'étaient mis en grève, le temps d'un week-end, pour protester contre les violences physiques dont ils sont trop souvent les victimes lors de matches de tous les niveaux d'âge et quels que soient les enjeux (6). Comme si les règles ne devaient être appliquées que d'un seul côté. La fédération des arbitres peine de plus en plus à recruter, les candidats aux insultes et aux coups se faisant rares.

"La haine de l'autre?", s'interroge Serge Raffy (7). La fin des débats respectueux où notre interlocuteur n'est pas forcément un ennemi à abattre? Nous y sommes. Les signes avant-coureurs d'un climat malsain, où le dialogue apparaît comme une pratique antédiluvienne, sont désormais sous nos yeux." (8) Le journaliste de L'Obs constate que "à grands pas, nous nous éloignons du monde de la raison, laissant le pouvoir aux seules émotions, à nos pires penchants".
On en vient à regretter les cours de politesse auxquels on avait encore droit dans les années '60, à se sentir obligé de rappeler que vivre en société implique le respect, somme toute, assez simple de règles de civilité, à en appeler à l'assertivité, cette capacité à dire les choses clairement, fermement s'il le faut, mais en respectant l'autre. Est-ce donc si difficile d'être humain?

(1) voir texte ci-dessous.
(2) https://fr.news.yahoo.com/video-tête-macron-pique-robert-161804970.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly9zZWFyY2gubGlsby5vcmcvc2VhcmNod2ViLnBocD9xPWJhZGludGVyJTIwcmV0cmFpdGUlMjBhdXglMjBmbGFtYmVhdXg&guce_referrer_sig=AQAAAJUPUzTf3zkB1a5Bn02dLax6Ne2DqsfN3JqFk71ntphzi-biURo_ENP6NH210ne2h13AjWefMrusv59Kvu5jXYqXPW-glqqJy9k7V6MwQ1OImUT0_QBPitaGyzMWOV4UMPvq8ZRWNNCfk63x_p05fNbU8WZ-rdCiAk93UzD5M57-
(3) entendue sur France Inter
(8) (Re)lire sur ce blog "La grande forme d'Anastasie", 15.12.2020.


J'ai beau être hostile au projet de réforme des retraites, lorsque j'ai appris que des opposants à cette réforme organisaient une retraite aux flambeaux, j'étais quelque peu choqué. La forme n'est pas anecdotique, ce genre de manifestation relève d'une esthétique militariste et pour tout dire fasciste. Et au dessus des flambeaux, une tête, celle du président de la République portée sur une pique ! Je partage la saine colère de Robert Badinter. A l'esthétique fascisante, se mêlait une terrible référence aux massacres de Septembre 1792, aux meutes d'égorgeurs se ruant dans les prisons pour violer et assassiner les aristocrates, avant de s'en prendre aux enfants et aux handicapés de la Salepêtrière. Non, l'héritage de la Révolution Française n'est pas celui des Septembriseurs. L'abolition des privilèges, la Déclaration des droits de l'homme, l'organisation de la nation en communes et départements, avaient été votées par l'Assemblée Constituante. En septembre 1792, ce ne sont pas les émeutiers, les violeurs et les pillards qui ont sauvé la patrie en danger, mais les Volontaires, organisés en bataillons, qui repoussèrent les Prussiens à Valmy et à Jemappes. Admirateur de la Révolution s'il en fut, Jules Michelet, décrit avec effroi et dégoût ces journées, qui virent les Septembriseurs violer systématiquement les femmes et les enfants, avant de les égorger et de promener les têtes sur les piques. Ces Sans-Culottes ont ensuite servi de piétaille aux pires terroristes, élus à la Convention. Ceux qui, aujourd'hui, en sont encore à célébrer les piques et la Guillotine n'ont décidément rien compris à l'histoire de la Révolution, ni à celle d'aujourd'hui. L'abolition de la peine de mort, dont Robert Badinter fut l'artisan est un acte révolutionnaire. On ne lutte pas pour la justice en jouant de cette esthétique mortifère.

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