jeudi 17 mars 2022

Contorsionnistes

Ils sont nombreux celles et ceux qui, aux extrémités de l'échiquier politique, voyaient d'un œil bienveillant, voire admiratif, le monstre froid du Kremlin. C'était pour eux le modèle du chef. Aujourd'hui, ils se contorsionnent pour tenter d'expliquer qu'on les a mal compris, rarement pour avouer qu'ils se sont trompés.

L'extrême droite voyait le tsar "comme le symbole d’une autre Europe, écrit Le Monde (1). Une Europe de l’identité chrétienne face au mythe du grand remplacement. Une Europe de la souveraineté nationale face aux technocrates de Bruxelles. Une Europe des valeurs conservatrices et virilistes contre des avancées sociétales honnies." Face à l'indignation qu'a suscitée partout en Europe la brutale intervention russe en Ukraine, face aux milliers de morts qu'elle a déjà causés, Zemmour et Le Pen ont dû changer leur discours. Zorglub avait même pris le pari sur un plateau de télé que jamais Poutine n'envahirait l'Ukraine. Pari perdu. Il aurait dû mettre en jeu sa participation à l'élection présidentielle. Il dévisse néanmoins dans les sondages. Ce qui n'est pas le cas de sa concurrente, la fille à papa Le Pen, si fière d'avoir rencontré son maître. Au point que dans un document de campagne, elle avait publié une photo d'elle avec lui. Document tiré à plus d'un million d'exemplaires qu'elle a fait mettre à la poubelle. A cause d'une faute d'orthographe, assure son parti. Au RN, une faute politique s'appelle faute d'orthographe.
En Grande-Bretagne, Nigel Farage, fondateur de l’ancien parti d’extrême droite Ukip, avait déclaré en 2014 : "Poutine est le leader que j’admire le plus". Il a changé d'avis. 
En Belgique, le Vlaams Belang, "longtemps admiratif du projet politique du dirigeant russe, a hésité à tourner le dos à la Russie, avant de voter une résolution condamnant Moscou". Mais le parti est divisé.
En Hongrie, le premier ministre Orban "navigue difficilement entre sa proximité affichée avec M. Poutine et sa condamnation de l’offensive. S’il soutient les sanctions, il refuse de livrer des armes et n’a autorisé qu’en catimini un déploiement de l’OTAN sur son territoire. Pour justifier cet équilibre précaire, il se présente comme un défenseur du camp de la paix". Quel courage !
"A travers l’Europe, d’autres représentants de ce courant idéologique oscillent entre une position d’équilibre et des condamnations sans réserve, quand ils n’ont pas choisi, plus rarement, mais de manière plus cohérente, de persister dans leur soutien à la Russie." Plusieurs de ces partis ont bénéficié de financements russes. Faudrait-il y voir un lien avec leurs contorsions pathétiques ?

Certains des admirateurs du psychopathe du Kremlin tombent carrément dans le ridicule. Matteo Salvini, leader de l'extrême droite italienne et ancien ministre, considérait encore récemment Poutine comme « le plus grand chef d’Etat » du moment. Il soutenait d'ailleurs l'annexion de la Crimée. Plutôt que de se faire discret, le coq milanais s'est rendu dans la petite ville polonaise de Przemysl, à deux pas de la frontière ukrainienne, en compagnie de représentants d'organisations humanitaires. Le maire de la ville lui a offert un tee-shirt blanc à l’effigie du président russe. "Je considère cela (cette visite) comme une insolence de votre part, a-t-il déclaré, aussi ai-je décidé de vous offrir un maillot à l’effigie de votre ami Poutine et de vous inviter à visiter un centre de réfugiés dans lequel se trouvent des milliers de victimes de cette guerre. » Ce t-shirt faisait référence à celui que Salvini avait arboré fièrement sur la Place rouge et au Parlement européen. "Vergogna !",  "Buffone !" Le coq n'a pu que battre en retraite, la crête en berne.
Beppe Grillo, du Mouvement 5 Etoiles, fait moins le fier, se concentrant courageusement sur la défense des animaux, histoire de faire oublier ses positions pro-russes.

Côté gauche radicale, MélenChe porte l'idée du "non-alignement". Il condamne l'intervention russe mais réussit à la trouver compréhensible. « La Russie en porte toute la responsabilité », écrit-il, mais il considère cette guerre comme « un rebondissement d’une de ces guerres sans fin qui, depuis Pierre Le Grand et Catherine II, tenaillent les peuples du secteur ». Si demain un pays de l'Union européenne en agressait un autre, Mélenchon pourrait aisément ressortir le même constat fataliste. Après tout, que sont septante ans de paix dans l'histoire guerrière de l'Europe ?
« Poutine a dû comprendre que la décision [américaine d’intégrer l’Ukraine dans l’Otan] était déjà prise », écrit encore le Che français. Comprenons par là qu'il a dû, comme l'analyse Marc-Olivier Padis (3), "prendre les devants sur une offensive américaine dont il avait annoncé qu’il la considérerait comme une agression, par une action préventive rétablissant par avance un équilibre que le candidat insoumis considère comme légitime. Cette hypothèse sortie de nulle part («tout cela se déduit facilement de l’observation», explique-t-il) ne fait rien d’autre que reprendre à son compte le discours victimaire de Poutine, selon lequel la pression de l’Otan sur les frontières de la Russie désigne son pays comme une victime de l’Occident acculée à une légitime défense : si Poutine envahit l’Ukraine, c’est de la faute de Biden".
"Contrairement à ce que disent les fascinés de Poutine, renchérit l'ancien ministre français Stéphane Le Foll (4), la progression de l’Otan n’est pas la cause de l’intervention russe. Ce n’est pas l’Otan qui a déterminé Poutine, mais l’intérêt grandissant des peuples de l’ancien régime soviétique vers l’Europe et son modèle démocratique." Mais que valent les peuples, méprisés par ceux dont l'anti-américanisme leur tient de seule grille d'analyse ? Les peuples ne peuvent être que manipulés.
"La gauche est profondément divisée, car les positions de Jean-Luc Mélenchon rendent impossible toute union pour l’avenir, conclut Stéphane Le Foll. L’avenir de la gauche ne se trouve ni dans le souverainisme anti-européen ni dans la complaisance envers des régimes autoritaires, en particulier celui de Vladimir Poutine. La gauche doit plus que jamais rester européenne et internationaliste, respectueuse du droit international et de ses institutions. La gauche doit réaffirmer son attachement à lutter contre le nationalisme, à défendre la liberté et à la démocratie."

Non-aligné, n'est-ce pas un synonyme de munichois ?

  (1) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/10/en-europe-l-extreme-droite-s-efforce-d-inflechir-son-discours-sur-la-russie_6116947_3210.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/10/quand-matteo-salvini-tente-de-faire-oublier-son-admiration-pour-vladimir-poutine_6116910_3210.html
https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-matteo-salvini-rattrape-par-son-passe-pro-poutine-lors-de-sa-visite-en-pologne_4999824.html
(3) https://tnova.fr/democratie/international-defense/melenchon-poutine-et-lhistoire/
(4) https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-positions-de-jean-luc-melenchon-sur-lukraine-rendent-impossible-toute-union-pour-lavenir_fr_62288042e4b0dd8abd5b6308

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Merci, Michel, pour tous ces articles sur la guerre en Ukraine et la complicité des extrêmes. Je fais partie d'un groupe ici à Bruxelles, assez engagé sur ces questions. Certains d'entre nous sont confrontés aux arguments pavloviens des mélanchonistes ou apparentés. C'est épuisant. Pour bien comprendre ce conflit gravissime, il faut se rendre compte qu'il déborde très largement l'Ukraine et affecte tout l'international avec la montée en force des puissances non-démocratiques. Les tensions en Ukraine et avec la Russie sont anciennes (pour ne pas perdre l’Ukraine, Staline exigeait en 1932 que l’on en fasse une « forteresse » et il a organisé la famine de 1933). Je pense avoir déjà raconté ce bivouac avec une famille de randonneurs ukrainiens dans les Carpates en 1993. Ils avaient très peur que la guerre éclate, "comme dans les Balkans" me disaient-ils. Mais à l'époque, c'était une peur d'une guerre civile (avec le soutien de la Russie aux russophones, certes). Maintenant c'est une invasion avec des crimes de guerre et une évolution terrifiante de la Russie à l'interne.

Michel GUILBERT a dit…

Bernard, tu auras lu, j'imagine, cet article d'Alain Frachon, éditorialiste du Monde, qui trace un portrait sans concession de Poutine, et tord le cou à pas mal de rumeurs : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/17/poutine-l-agresseur-de-l-ukraine-n-est-pas-le-produit-de-l-extension-de-l-otan-ou-des-humiliations-de-l-occident_6117934_3232.html

Bernard De Backer a dit…

Oui, je l'ai lu. Ce n'est pas moi qui te l'ai envoyé ? J'aime beacoup Frachon (et Kauffmann). Comme toujours, je tente de comprendre "ce qu'il y a dans la tête" de cette gauche. Je l'ai écrit, il y a bien longtemps, sous forme de fictions (voir lien sur mon nom, comme d'hab). Je cite : "À moins que cette attitude ne soit motivée par l’hémiplégie qui afflige nombre de militants : ils ne perçoivent qu’une seule cause aux malheurs du monde, et ferment dès lors les yeux sur les atrocités infligées par des adversaires de cette cause". C'est un grand classique, que je retrouve même chez un ami philosophe modéré. Je parle de l'invasion russe, il me répond avec l'impérialisme US et les crimes du capitalisme. Oui, l'un n'empêche pas l'autre...