lundi 21 mars 2022

Dieu de sang

Dieu est amour, dit-on. On a du mal à y croire, tant l'Histoire a connu de guerres, de massacres, de tortures perpétrés au nom d'un dieu ou l'autre. L'Eglise orthodoxe russe est du côté de la guerre. Son dieu est de sang et de feu. Dernièrement, le patriarche Kirill de Moscou soutenait la guerre brutale que mène son pays en Ukraine. Elle place la Russie "du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins". (1) Kirill a une vision de la lumière, très particulière, il ne doit pas exister de lumière plus noire. La Russie, selon lui, a raison face à un Occident "décadent" et "pécheur". Cette guerre dépasse la politique. "Il s'agit du Salut de l'homme, de la place qu'il occupera à droite ou à gauche de Dieu". Si Kirill respecte l'injonction christique "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", c'est qu'il se hait.

Ces déclarations ne sont surprenantes, affirme la philosophe Veronica Cibotaru (2), "que si l'on méconnaît l’idéologie anti-occidentale que les hiérarques de l’Eglise russe tâchent de propager depuis de nombreuses années en Russie, dans son espace canonique mais aussi dans le monde occidental. Pour cela l’Eglise russe dispose d’importants moyens médiatiques, tels que de nombreux réseaux sociaux et des émissions de télévision qui sont retransmises sur YouTube, et souvent aussi traduites."
Quelques jours avant le début de la guerre, le métropolite Hilarion (président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou) déclarait que les Russes devaient être protégés de la propagande des « valeurs » occidentales, valeurs qui selon lui résideraient dans un libéralisme sexuel immoral car opposées à l’ordre divin. Il est curieux, constate Veronica Cibotaru, "que les hiérarques de l’Eglise russe aient une approche somme toute si réductrice de la question de la moralité, axée de façon presque obsessionnelle sur la sexualité, et notamment sur les formes de sexualité considérées comme étant déviantes. Ce qui ressort en tout cas de leur discours, ce n’est pas uniquement une dénonciation de ces pseudo-valeurs, mais une véritable posture défensive : l’Eglise russe se doit de défendre la Russie ainsi que son espace canonique de cette destruction de l’ordre moral".
La philosophe estime qu'on n'a pas assez insisté sur la dimension défensive et donc guerrière de cette idéologie. "Cette dimension est particulièrement dangereuse si l’on prend en compte les rapports étroits qui unissent l’Eglise russe et le pouvoir russe actuel." Elle note cependant que de nombreux prêtres et hiérarques, orthodoxes et catholiques, se sont exprimés depuis le début de la guerre en faveur de la paix, en appelant les fidèles à la prière.
Le pape François, lui, dénonce une "inacceptable agression armée" et qualifie de "barbare" le "massacre d'enfants et d'innocents". Il appelle à la fin de la violence. "Au nom de Dieu, que les cris de ceux qui souffrent soient entendus et que les bombardements et les attaques cessent."

Cette position isole le patriarcat de Moscou: "de nombreuses églises orthodoxes se distancient de lui, inaugurant de nouveaux équilibres au sein de l'orthodoxie mondiale", estime l'historien Jean-Benoît Poulle (1). "Une Eglise peut-elle être fondée sur le rejet de l’autre, que ce soit le rejet d’un groupe de personnes ou d’un espace culturel , interroge Veronica Cibotaru ? Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de développer une théologie orthodoxe de la paix qui puisse nous rendre vigilants face à tout ce qui peut mener vers de telles atrocités."

Récemment, en Biélorussie, des femmes ont été arrêtées pour avoir prié pour la paix dans une église. Si elles avaient prié pour la guerre, seraient-elles libres ?

(1) "Le pape François muscle son discours envers Moscou", La Libre Belgique, 15.3.2022.
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/20/eglise-orthodoxe-russe-une-ideologie-qui-est-en-partie-responsable-de-la-guerre-qui-sevit-actuellement-en-ukraine_6118318_3232.html

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