lundi 9 novembre 2009

Wallonie picarde, où est l'audace?

Culture.wapi m'a demandé mon avis sur le projet de territoire de la Wallonie picarde 2025. Je lui ai envoyé une synthèse du texte qui suit.


Un important catalogue de projets intéressants, mais surtout de vœux pieux (et parfois vieux), voilà comment m’apparaît le "projet de territoire Wallonie picarde 2025". Un projet sympathique, trop consensuel, et de ce fait gentillet, sans ambition forte, sans choix déterminant.

Un projet qui par certains aspects réinvente l’eau chaude. Ou redécouvre la lune. "Il fallait se réunir pour être un vrai partenaire au sein de l’Eurométropole avec Lille et Courtrai" (1), déclare Christian Brotcorne. Rudy Demotte, lui, estime que la Wallonie picarde pourrait constituer un lien entre Lille et Bruxelles "à l’étroit dans sa région pour son développement économique" (1).
Ces propos-là, la SIDEHO les tenait déjà au début des années ’80 (j’y ai travaillé alors)… Mais, soit, sa place, le Hainaut occidental n’a pas su se la faire. La Wallonie picarde pourrait y arriver si elle était porteuse d’un projet réellement audacieux. Si…

Quid novi sub sole ?
Le développement durable est à la mode. Il est donc évidemment évoqué dans le projet de territoire. Mais on a l’impression que c’est pour la forme, pour rassurer. Parce qu’il est incontournable, comme on dit aujourd’hui.
Il est d’ailleurs abordé, comme d’autres thèmes, de manière floue et contradictoire. Ainsi est-il écrit (p. 45) que "le développement durable (…) doit devenir un mode de vie existentiel. Il ne faut pas braquer le développement durable sur l’environnement seulement.". Comme si les auteurs de ces propos voulaient ignorer ce qu’est réellement le développement durable, un équilibre entre l’économie, le social et l’environnement et que, en tout cas, ils voulaient laisser entendre entre les lignes qu’il n’en faut point abuser. Donc, traduisons: un mode de vie existentiel, de temps en temps. Si ça ne dérange pas trop...
A l’heure où le Sommet de Copenhague risque de capoter avant même d‘avoir commencé, le développement durable devrait être, doit être le fer de lance d’un projet de région. Les enjeux en la matière dépassent largement ceux d’une sous-région.
D’autres régions, d’autres pays, d’autres villes se sont donné, en la matière, des objectifs autrement forts, ambitionnant de se situer dès demain dans une perspective post-Kyoto, d’être en CO2 neutre à l’horizon 2020 ou 2025 (2) , de développer de réelles alternatives en termes d’énergie, de mobilité, d’axes économiques. Chez nous, on est loin de la longueur d’avance dont se targuent certains ténors de la région. On est plutôt dans la longueur de retard.
Lors de l’inauguration de la Maison du Parc naturel des Plaines de l’Escaut à Bonsecours, il y a quelques années, le ministre Rudy Demotte plaidait pour que la politique impulsée par les parcs naturels s’étende à l’ensemble d’un territoire qu’il n’appelait pas encore Wallonie picarde. Aujourd’hui, on a l’impression d’assister à un effet inverse. Un projet aussi pharaonique qu’anachronique de centre de loisirs entend s’implanter au cœur même de ce parc et, à l’une ou l’autre rare exception près, on n’entend pas protester les forces porteuses de la Wallonie picarde. Aujourd’hui, on a l’impression que les surfaces agricoles n’ont plus pour vocation que d’accueillir de gigantesques centres commerciaux, des terrains de golfs, des lotissements d’habitations ou des zones d’activité économique toujours plus dévoreuses d’espace. Il est des signes qui ne trompent pas. On sent les politiques frileux, soucieux de ménager plus la chèvre que le chou, de ne pas s’opposer aux volontés des promoteurs et à la toute-puissance de l’économie de marché.
Alors qu’il y a urgence. Qu’il faut aujourd’hui affirmer haut et fort des choix clairs, fermes, tranchés. Cesser de vouloir plaire à tout le monde. Pouvoir dire oui à des projets, non à d’autres. C’est l’audace et non une autosatisfaction béate ou un plan de com’ qui fera de la Wallonie picarde une région à la visibilité forte. Aux actes, citoyens !

Un peu de tout ?
Le projet de territoire additionne les idées d’hier et celles de demain. Sans faire de choix. Et multiplie donc des projets intéressants et leur contraire.
En matière de mobilité, dans un monde qui à tous points de vue s’asphyxie, on ne peut plus aujourd’hui poursuivre une politique de construction de nouvelles routes et de nouveaux accès autoroutiers. On trouve cependant encore des propositions en la matière. Le soutien au transport fluvial est affirmé, très bien, mais – sauf lecture trop rapide de ma part – je ne trouve pas grand chose sur le désengorgement de nos villes, sur les transports en commun et sur la mobilité douce.
La maîtrise de "l’évolution des espaces ruraux et urbains" est abordée (p.23), mais sa conception reste floue et autorise toutes les interprétations. On ne peut se contenter de vouloir densifier le cœur des agglomérations, il s’agit aussi de prendre des mesures strictes en matière de construction : oser mettre fin à la pratique de construction de "quatre façades", "énergivore" et "espaçovore", oser imposer des normes strictes en matière d’isolation des bâtiments, oser aller plus loin que les règles établies pour l’ensemble de la Wallonie. Du moins, si l’on entend réellement donner à notre sous-région une longueur d’avance et pouvoir affirmer sans rire qu’ailleurs on la regarde « avec respect » (3).

L’agriculture oubliée ?
Qu’est devenu le pompeux projet d’Agro Food Valley ? Quelle est la place de l’agriculture dans ce projet de région ? Je n’en trouve pas trace. A l’heure de la crise laitière, au lendemain de celles des hormones, de la vache folle, du poulet à la dioxine, de la crise agricole tout court, notre région a une carte à jouer. Une carte indispensable pour sauver un secteur vital mais menacé. Rien que sur le territoire du Parc naturel des Plaines de l’Escaut, 17% des agriculteurs ont disparu entre 1996 et 2009 (4).
Où sont les projets de valorisation des produits agricoles, la mise en place de circuits courts entre producteurs et consommateurs, les soutiens à une agriculture biologique ou à tout le moins raisonnée ? Où est l’opposition au bradage de nos campagnes, souvent soutenu, voire porté par Ideta et la Ville de Mouscron?

La culture de qui, pour qui et avec qui ?
Le chapitre consacré à la culture, s’il comporte des propositions intéressantes, reste globalement faible. Quelle place pour l’éducation permanente, outil d’autonomisation, de construction, d’analyse critique et d’apprentissage collectifs ? Quelles réflexions par rapport à des politiques tant de démocratisation de la culture que de démocratie culturelle ? Les dernières études sur les pratiques culturelles l’indiquent : la culture reste l’apanage des cultivés…. Et les pratiques sont globalement en baisse (5). Comment réduire la fracture culturelle ? Comment mettre fin au désert culturel dans lequel vivent certaines de nos communes rurales ?
Que la région s’appuie sur les arts du cirque et de la rue, très bien, ils représentent quelques-uns de ses atouts majeurs. Qu’elle travaille à partir du patrimoine et du végétal, excellente idée ! Mais je me méfie des « événements » que certains entendent créer de toutes pièces. Quel est leur sens ? A quelles finalités répondent-ils ? Ils s’inscrivent le plus souvent dans une démarche de consommation et de promotion. Dans la « com ». En animation socioculturelle, on parle de projets, plutôt que d’événements qui semblent tomber du ciel, sans réflexion en aval et en amont, sans ancrage par rapport à un public. L’idée de créer un festival Bach, pourquoi pas ? Mais aussi pourquoi ? Pourquoi pas, tant qu’à faire, un festival axé sur le Moyen Age, ou sur la pierre, ou sur la danse contemporaine, ou sur la cuisine, ou sur la video… ?
Le travail sur l’endogène, axe défendu par ailleurs, consiste aussi à soutenir les artistes, les organisateurs et les associations de chez nous qui doivent bricoler tous les jours pour boucler leur budget, quand des artistes de cour disposent de moyens appréciables. Une des priorités devrait être celle-là. Dans une vraie démarche de démocratie culturelle, en évitant une instrumentalisation de la culture à des fins économiques ou à des missions de relations publiques.

Jusqu’où ira la solidarité ?
Reste la question de la forme officielle que prendra cette Wallonie picarde, qui ira de pair avec la suppression des provinces. La communauté de communes devra disposer d’un conseil composé d’élus directs, qui se fixera des lignes politiques claires et les fera appliquer par son administration, à savoir les équipes des actuelles intercommunales. Les faire gérer par un pilote légitimement et directement élu devrait mettre fin à la technocratie actuellement dominante.
Enfin, et c’est fondamental, une péréquation financière doit être organisée. On assiste aujourd’hui à des tiraillements entre communes autour de projets économiques : à moi les recettes fiscales, à toi les nuisances. Un "pot commun" des recettes devra désormais permettre de sortir d’une vision localiste des projets et non seulement de penser, mais d’agir véritablement en transcommunalité.

Wap doo wap !
Enfin, je ne peux m’empêcher d’aborder la question du nouveau nom de la région. Le diminutif qui lui a été donné est grotesque. La "Wapi" a un côté gentillet, ludique, voire enfantin. On peut lire dans la presse qu’une importante opération de propagande (1) – aujourd’hui on appelle cela pudiquement de la com ‘ - sera menée pour faire passer la pilule.
C’est sur le positionnement de la Wapi sur des dossiers comme le Cora de Mouscron, les projets de centre de glisse de Maubray et de Lessines ou les nouvelles zones d’activité économique qu’on verra si elle a réellement une longueur d’avance, si elle n’est pas, comme je le crains jusqu’ici (et j’espère sincèrement me tromper), qu’une grande entreprise de com’.
Si elle est capable de dire non à des projets d’un autre temps et, par ailleurs, d’avoir une vision d’avenir et d’imposer des normes qui permettront de l’atteindre, elle n’aura alors pas besoin d’organiser un « buzz » (1) . Il se fera de lui-même.
Dans une chanson, il y a une trentaine d’années, Yves Simon disait : "si d’un gouvernement à un autre gouvernement, nous n’avons pas changé notre façon de tendre la main, c’est qu’un autre gouvernement ne peut rien pour nous et qu’il n’était pas aussi important qu’il ait changé".
Pour le paraphraser, aujourd’hui, on pourrait dire : "si notre région a changé de nom, mais que nous n’avons pas changé radicalement de politique, c’est qu’il n’était pas aussi important qu’elle change de nom".

(1) LLB, 30.10.09
(2) Ainsi, la Norvège s'est fixé un objectif de CO2 neutre pour 2030. Même objectif pour la ville de Copenhague en 2025. Ici et là apparaissent des zones d'activité économique "carbone neutre", en Flandre comme au Québec. Volvo Trucks à Gand fonctionne en CO2 neutre.
(3) R. Demotte in "La Wapi parle d'une même voix", LLB, 30.10.09
(4) Parc naturel des Plaines de l'Escaut, Plan stratégique 2010, p. 20
(5) M. Guérin: "Pratiques et consommations culturelles en Communauté française", Crisp n° 2031 - 2032

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