samedi 20 novembre 2010

Pour faire le portrait d'un (drôle d') oiseau

Le Vif/l'Express de ce week--end s'essaie à cerner les ressemblances et les différences entre Flamands et francophones. Ce qui revient à se poser la question de savoir ce qu'est ou serait un Belge.
Dans "La Belgique - Le roman d'un pays" (1), Patrick Roegiers rappelle que Léopold Ier, prenant ses fonctions, sait que "les Belges turbulents, prêts à s'enflammer, dotés d'une réputation d'émeutiers, ne sont guère faciles à gouverner et qu'ils sont jaloux de leur liberté tout récemment conquise". Difficile aujourd'hui encore de qualifier les Belges d'émeutiers. Depuis 180 ans (la constitution et la monarchie ont été votées le 13 novembre 1830 par le Congrès, un anniversaire passé totalement inaperçu...), le Belge semble être plutôt devenu un citoyen résigné aux interminables négociations.
Selon Jean-Marie Klinkenberg (2), en Belgique, "la polémique (y) est un péché ou au moins une faute de gout. Ici, pas d'insolence, toujours grossière, pas d'irrespect, toujours incivil". C'est que le Belge a l'art de "dire les choses comme elles (ne) sont (pas)". Ainsi, dit-il, "il n'y a pas de foutoir: que des dysfonctionnements. Aucun responsable n'y échappe radicalement à ses responsabilités: il n'est sujet qu'à de fugaces estompements de la norme. Les entreprises n'y licencient pas: elles restructurent." Il dit aussi que "flotte sur la terre belge un air léger de tolérance", mais "cette tolérance-là fuit l'affrontement. Plus qu'un autre petit pays, celui-ci mériterait qu'on le nomme pays du matin calme. Un calme satisfait, convenant bien à l'expert en compromis et à l'amateur de witloof et de waterzooi".

Patrick Roegiers (1) cite Léopold Ier qui, en 1859, après vingt-huit ans de règne, a pu apprendre à connaître son pays. Il avait tout compris: "la Belgique n'a pas de nationalité et, vu le caractère de ses habitants, ne pourra jamais en avoir".
Plus loin, Patrick Roegiers évoque "un pays qui n'a aucun sens de la gloire". Ce qui reste vrai. Moins sans doute que cette affirmation: "le Belge, naturellement crédule, croit aux miracles". Qui croit encore à un miracle aujourd'hui concernant l'avenir du pays? Au bon sens peut-être.
Rogiers décrit le Belge de la manière suivante: "Jovial, bon enfant et bonne fourchette, le Belge a le goût des kermesses et agapes publiques. Il est fidèle à ses traditions mais jaloux de sa liberté. Souffre d'un complexe d'infériorité dû à l'exiguïté du territoire et au climat pluvieux ("Quatre saisons en une journée", soupirait Baudelaire). Mais il est ravi de son accent (3). Il le distingue du français qui reste une langue adoptive. Joyeux drille, égrillard, roublard et débrouillard, le Belge a la peau dure. C'est un dur à cuire qui a une brique dans le ventre (...). Ses défauts sont le déni de l'Histoire, la mauvaise foi, l'absence de mémoire, plus ou moins volontaire, et le repli sur soi. La déglingue générale des institutions accroît son identité flottante. (...) Le Belge est perçu à l'étranger comme hospitalier (4), honnête, franc, amusant et gai. Les bonnes blagues, la joie de vivre, la bonhomie, la maladresse caractérisent cette contrée (...). Le Belge, dit Patrick Roegiers, est un conformiste original et inclassable."
"Un conformiste original", voilà qui résume bien le Belge. Ou encore: un homme (ou une femme) simple qui adore la complexité.

Dans son dossier de la semaine, le Vif (5) constate que ce qui réunit Flamands et francophones, "c'est un certain levenstijl", un style de vie. Beaucoup de ses interlocuteurs relèvent que nous avons en commun "un état d'esprit, un ensemble de coutumes, une atmosphère. Un climat, au sens propre comme au figuré". Qu'est-ce qui nous réunit, selon le Vif? Bruxelles, même s'il nous divise; une histoire commune qui remonte bien avant 1830; la Mer du Nord et les Ardennes où nous nous sentons tous chez nous, la monarchie, Eddy Merckx, Jacques Brel et le Père Damien; la bière ou plutôt les bières; la brique que nous avons tous dans le ventre (les Belges ont les plus vastes maisons d'Europe); la sécurité sociale, mais aussi la dette de l'Etat; la particratie (les Belges sont champions d'Europe avec les Italiens); la méfiance vis-à-vis de l'autorité.

Tout ceci n'enlève rien aux inquiétudes, aux agacements, au fatalisme manifestés à l'égard de l'avenir du pays des Belges. Mais cet avenir est-il si important? "C'est le pays où rien n'est grave, dit J.M. Klinkenberg. Sérieux, mais pas grave."

(1) Patrick Roegiers, Découvertes Gallimard n° 466, 2005
(2) Jean-Marie Klinkenberg, Petites mythologies belges, Les Impressions nouvelles, 2009
(3) Ce qui reste vrai aujourd'hui. Hélas! Il suffit d'écouter - de subir - les publicités en radio ou le Jeu des Dictionnaires qui utilisent jusqu'à l'indigestion les accents bruxellois et wallons.
(4) Dans le Vif du 19.11.2010, le président du Parlement flamand, Jan Peumans, en convient, mais il trouve le Wallon plus hospitalier que le Flamand, plus tolérant aussi.
(5) Le Vif/L'Express, 19.11.2010

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