lundi 9 mai 2011

Ce bon vieux temps

Nous vivons une époque superficielle. C'est le fond qui manque le plus. Contrairement à ce que pensait en son temps le laboureur de La Fontaine. Nous sommes mous, fatigués, sans consistance. Nous maîtrisons mal notre langue. Nous voulons tout. Et même n'importe quoi. Nos ancêtres avaient de la tenue, eux, un autre sens des valeurs. Il savaient s'assumer, tenir des positions fortes, même si elles devaient mener au duel, voire à la guerre. Ils ne courbaient pas l'échine. Ils savaient ce qu'est marcher, avait le sens de l'effort.
La lecture des oeuvres de Monsieur de Peyssonnel nous amène à relativiser les époques. A voir que l'histoire peut piétiner, que l'homme reste un homme, le prétentieux un pédant, que le courtisan reste courbé.
Dans un savoureux opuscule intitulé "Petite chronique du ridicule" sont rassemblés certains textes, écrits peu avant la Révolution française, dans lesquels le diplomate Charles de Peyssonnel fustigeait ces "ridicules qui nous environnent". La Petite Bibliothèque Payot qui a ressorti ces textes les a sous-titrés "Les Français ont-ils changé depuis 1782?". On imagine aisément que la réponse est négative. Elle l'est.

"L'unique préoccupation des grands est de plaire au maître, écrit-il: sa faveur est leur plus ardent désir, sa disgrâce leur plus grande crainte, l'éloignement de sa personne et des affaires, le supplice le plus cruel qu'ils puissent endurer. Ils flattent, ils caressent, ils encensent le favori; ils méprisent, ils insultent, ils accablent le disgracié avec une égale bassesse." On a en a vu aujourd'hui de ces grands qui soutenaient un jour le président tunisien ou ses collègues égyptien, voire libyen, pour le vilipender le lendemain. "Les grands n'affectent, les uns envers les autres, les dehors de l'amitié que lorsque des aménagements nécessaires et momentanés l'exigent. L'intérêt seul peut cimenter entre eux des liaisons passagères dans lesquels le sentiment n'entre jamais pour rien: ils ne se réunissent et ne se prêtent une assistance réciproque que lorsqu'ils ont besoin de secours mutuels", écrit de Peyssonnel. "Les grands, dit-il, jouent tout, et ne sentent rien."

Dans un autre chapitre, il s'en prend aux "outrages faits à la langue française" et sa cible n'est pas celle que l'on pourrait croire. "Les Parisiens, constate-t-il, depuis le bas peuple jusqu'aux grands, et même les savants et les gens de lettres, prononcent Baptisse pour Baptiste, rhumatisse pour rhumatisme, architèque pour architecte, etc. Ces barbarismes ne se commettent pas en province. Si l'accent et les fautes du langage du provincial fatiguent les oreilles du Parisien, le provincial n'est pas moins étonné de trouver dans la capitale des gens du bel air parler une langue inconnue." On connaît aujourd'hui des présidents de république et des présentateurs du Journal télévisé qui, même bruxellois, parlent une langue trop parisienne.

Monsieur de Peysonnel se penche ainsi sur "les usages nouveaux", sur "la paresse des Français à apprendre les langues étrangères", sur "la manie de renoncer à l'usage salutaire des jambes", sur "la consommation du café", sur "les désirs immodérés" et tant d'autres modes de vie. Une vie qui, avec le recul, nous paraît bien peu différente plus de deux siècles plus tard.

Charles de Peyssonnel: "Petite chronique du ridicule - Les Français ont-ils changé depuis 1782?", Petite Bibliothèque Payot, 2007

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