vendredi 4 novembre 2016

Dans le mur

Les Américains sont prêts à se choisir comme président le plus dingue d'entre eux. Mais aussi le moins Américain. "Etre Américain, disait Robert Kennedy, c'est avoir été réprouvé et étranger, c'est avoir parcouru les chemins de l'exil et c'est savoir que celui qui rejette l'éprouvé, l'étranger, l'exilé, renie aussi l'Amérique." (1) Trump fera la guerre à tous, à la moitié des nations (au moins), aux femmes, aux latinos, aux musulmans, aux homos, aux gens de gauche, à tous ceux qui pensent. Les Russes, les Turcs, les Hongrois, les Philippins, les Israéliens et tant d'autres à travers la planète se sont déjà choisi des dirigeants qui ne resteront pas dans l'Histoire comme des colombes, mais comme des nationalistes bornés et brutaux. 
A l'heure où s'ouvre à Marrakech la COP22, il faut bien constater que la lutte contre le réchauffement climatique est le cadet des soucis des (ir)responsables politiques. Qui ne font que refléter le sentiment de ceux qui les ont élus. En France, ils sont nombreux à s'obstiner à vouloir créer dans la région nantaise un nouvel aéroport, dit Notre-D(r)ame-des-Landes. A Londres, certains réclament à cor et à cri l'agrandissement de l'aéroport d'Heathrow. "Tout le pays en a besoin", peut-on lire dans The Independent (2) Besoin de quoi? De plus de gaz à effet de serre? De perte de biodiversité? De fuite en avant? De folie collective? Le dernier rapport du WWF (3) indique un déclin de 58% des espèces vertébrées de 1970 à 2012. Il pourrait atteindre les 67% en 2020. En France, la consommation de pesticides ne cesse d'augmenter. Un peu partout dans les pays encore appelés développés, le béton ne cesse de s'étendre, les villes s'installent à la campagne. Le CETA et globalement le sacro-saint marché font semblant de penser que le monde se portera mieux si les productions agro-industrielles, céréales, viande, lait, le traversent dans tous les sens.
L'immense majorité des économistes, des journalistes, des citoyens continue à fonctionner avec des références des années '60. Business as usual. Surtout ne rien changer. Continuer à penser que la croissance est seule voie. Même si elle est sans issue autre qu'un précipice.
La lutte contre l'islamo-fascisme est, de l'avis (quasi) unanime, une priorité mondiale. Mais les Etats-Unis et l'Europe continuent à protéger l'Arabie saoudite, un de leurs meilleurs clients notamment pour les ventes d'armes. Qui représentent de l'argent et surtout des emplois. L'éthique pèse peu face à de tels arguments.
Les candidats aux élections, un peu partout, continent à nous emmener à grande vitesse dans un cul-de-sac. Ils ont bien compris que proposer un changement de cap radical, pourtant absolument indispensable, n'est pas rentable électoralement. Il faut continuer à vendre du rêve. Et nous, électeurs, ne demandons que cela, rêver. Alors, non seulement nous ne changeons rien à nos habitudes, mais, en plus, nous choisissons ceux qui n'ont aucune vision d'avenir, ceux qui font semblant de croire que tout ira mieux demain. Nous nous adressons à eux en sachant qu'ils sont les Docteur Coué de la politique, alors que nous devrions faire confiance à un oncologue. Mais ils nous affirment qu'en fermant les frontières, en bâtissant des murs, en nous regardant dans le rétroviseur, en produisant et en consommant plus que jamais, tout s'arrangera.
Visiblement, une bonne partie de l'humanité a décidé d'accélérer le processus, de fermer les yeux et de s'envoyer dans le mur, en ignorant les problèmes qui la menacent et en se donnant pour représentants les pires des siens.
"On ne peut laisser le monde dans un état moins bon que celui dans lequel on l'a trouvé", estime le producteur de cinéma Marin Karmitz (4). Il a raison. Mais l'état du monde ne fait qu'empirer et personne ne songe à le mettre en soins intensifs. Et de toute façon, à qui le laisserons-nous? Y aura-t-il encore des mouches après nous, à la fin de ce siècle?

(1) cité par André Glucksmann, dans "Voltaire contre-ataque", éd. Robert Laffont, 2014.
(2) 26.10.2016, in le Courrier international, 3 novembre 2016.
(3) http://www.wwf.fr/vous_informer/actualites/?10521/deux-tiers-des-populations-de-vertebres-pourraient-disparaitre-d-ici-2020
(4) France Inter, 4 novembre 2016, 8h40.

2 commentaires:

Grégoire a dit…

Par un curieux hasard, en n'ayant pas encore découvert ce nouvel article, je découvre ce week-end Paul Jorion. Un Belge vivant en France, anthropologue et économiste. Son dernier ouvrage "Le dernier qui s’en va éteint la lumière" est un essai sur l’extinction de l’humanité. Je me sentais un peu "orphelin" économiquement parlant depuis la disparition de Bernard Maris. J'apprécie souvent les discours de Frédéric Lordon que je trouve convaincants, mais je dois bien avouer que Paul Jorion m'a tout de suite emballé. Je n'ai pour l'instant pu écouter qu'une seule de ses conférences et une interview que je vous livre ci-dessous:
https://www.youtube.com/watch?v=A-oNWuWjCRA

Michel GUILBERT a dit…

Hasard (?) aussi: je viens de terminer il y a 20 minutes la lecture de l'ouvrage de Paul Jorion que vous citez. Lucide et guère optimiste, et il y a de quoi! Sauf à considérer, comme il le fait, que la société de robots que nous sommes en train de créer restera comme une réalisation et un prolongement de la société humaine qui touche à sa fin.
Paul Jorion a un excellent blog: www.pauljorion.com