samedi 12 novembre 2016

L'année du paon

Comment un personnage aussi repoussant que Trump peut-il séduire? Quel crédit, quelle légitimité peut avoir un président qui a passé sa campagne électorale à injurier la moitié de ses concitoyens? Trois jours après, ces questions restent entières et les réponses multiples. On l'a dit, il est trop simple d'opposer élites et milieux populaires. Comme le disait encore Bernard Guetta hier matin (1), "il n'y a pas que des laissés-pour-compte qui aient voté pour lui, mais également beaucoup de gens riches ou très riches, immensément séduits par sa volonté de réduire leurs impôts". Le vote Trump est ici comparable au vote Le Pen (2): le sud-est de la France contaminé par le virus FN est aussi peuplé de braves bourgeois, voire de personnes aux très hauts revenus, qui plébiscitent l'extrême droite pour sa volonté d'ériger des murs et de rejeter l'étranger. C'est le vote de l'égoïsme sous toutes ses formes.
Et le sort des couches populaires est bien le cadet des soucis du milliardaire. "Ce n'est pas se soucier des plus démunis que de leur vendre de faux espoirs, de fausses solutions et de fausses explications de leur appauvrissement, par ailleurs bien réel. Quand Donald Trump met tous les malheurs du monde sur le libre-échangisme, il oublie bien trop vite qu'ils tiennent avant tout au recul de l'Etat et à la dérèglementation qu'il ne veut pas combattre mais encore accentuer et qu'un retour au protectionnisme n'arrangerait rien, mais aggraverait tout", dit Bernard Guetta.

Les électeurs trumpés affirment rejeter en un seul bloc toute la classe politique qui serait corrompue et coupée des réalités de monsieur et madame tout le monde. Ce qui est insultant et méprisant pour  les élus qui, parfois en ne comptant pas leur temps, s'efforcent de mener une politique cohérente en répondant aux problèmes de terrain. Et, de toute façon, pourquoi alors faire confiance à un personnage aussi répugnant, vulgaire, agressif, menteur, arrogant, sexiste, raciste, accusé à de multiples reprises d'agressions sexuelles, sans programme sérieux et crédible et sans aucune expérience politique? Pourquoi ne pas avoir choisi alors la candidate écologiste ou le candidat libertarien?
Trump peut être comparé à Berlusconi. La réussite financière de ces hommes fascine et beaucoup de naïfs aux analyses simplistes se disent convaincus que ce qu'ils ont réussi dans les affaires ils doivent pouvoir le réussir pour le bien de leur pays. Même si un Berlusconi a profité de son statut de président du Conseil pour faire plus d'affaires encore et a laissé l'Italie dans un état lamentable. Même si Trump sait comment éviter le fisc. "Ce milliardaire héritier d'une immense fortune et tellement habile à se soustraire au fisc n'est ni l'incarnation de la vertu ni celle des couches populaires", estime encore Bernard Guetta.

Son agressivité est en phase avec les propos violents, orduriers et mensongers qui s'expriment aujourd'hui par torrents sur Internet. Facebook s'est d'ailleurs vu reprocher d'être devenu une énorme caisse de résonance de mensonges et de fausses informations (3).
Trump a lui-même basé sa campagne, d'une agressivité inouïe, sur les mensonges, les menaces, les promesses les plus folles, les plus absurdes et - on l'espère - pour une bonne part intenables. Mais l'essentiel n'était-il pas de se faire élire, quitte à cocufier aussitôt après ses électeurs (4)? Il affirme qu'il ne lui faudra qu'un mois pour vaincre Daech. Son arrogance et sa suffisance sont sans limites. Il annonce un investissement de mille milliards de dollars dans les travaux publics, mais aussi une sensible baisse des impôts des entreprises et des citoyens. L'Etat va donc augmenter ses dépenses tout en diminuant ses recettes. Quel homme d'affaires sérieux gèrerait de la sorte son entreprise?
Difficile de savoir ce que sera la présidence de Trump tant l'homme a multiplié les déclarations idiotes et les promesses impossibles à tenir. Tant il change d'avis rapidement. Voilà qu'il annonce qu'il n'abrogera pas l'Obamacare, pourtant une des plus fermes promesses de sa campagne. Il allait le faire dès le premier jour de sa présidence. Il se contentera de l'améliorer, vient-il de déclarer. C'est que, lors de leur brève entrevue, Barak Obama lui en a expliqué tout l'intérêt. Dommage que le candidat Trump ne se soit pas un minimum informé avant de faire des promesses qui prennent ses électeurs pour des demeurés. Peter Wehner, ancien collaborateur de Ronald Reagan et des Bush, père et fils, dénonçait en janvier (5) "(l')ignorance (de Trump) sur des questions élémentaires d'intérêt national", son absence de "désir de s'informer sur la plupart de ces sujets, et encore moins de les maîtriser. Aucun autre candidat à la présidence n'a été aussi dédaigneux de la connaissance, indifférent aux faits, insensible à sa propre ignorance." L'homme, disait-il, est fantasque, incohérent et sans scrupule. Il a un côté vulgaire et cruel." Peter Wehner dénonçait son narcissisme, son "mélange détonant d'ignorance, d'instabilité émotionnelle, de démagogie, d'égocentrisme et d'esprit rancunier".

Cet opportuniste sans foi ni loi sera un danger pour son pays comme pour le monde, surtout avec une Cour suprême demain dominée par une majorité d'ultra conservateurs et un vice-président qui a tout d'un fanatique religieux (6). Trump ne croit pas plus aux méfaits du tabac qu'au réchauffement climatique. Entouré de climato-sceptiques et de créationnistes (dont certains pourraient occuper des postes importants dans son gouvernement), il se présente comme sceptique par rapport à la science. Surtout si des théories scientifiques s'avèrent gênantes pour faire des affaires. Il se pose en défenseur des producteurs de charbon et de toutes les énergies carbonées, s'oppose à l'avortement, défend la peine de mort. Il va jeter de l'huile sur le feu en Israël s'il déménage, comme il l'a promis, l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Et les Syriens, les Ukrainiens et bien d'autres peuples peuvent craindre le pire selon les positions les plus inattendues et incohérentes que pourra prendre ce président qui ne connaît pas la différence entre un cessez-le-feu et un traité de paix. 

Certains analystes font remarquer que quasiment toute la presse américaine a soutenu Hillary Clinton. Et que ce soutien de l'establishment a finalement profité à Trump. C'est oublier un peu vite le soutien de Fox News à Trump et qu'il y a six mois encore une bonne partie des médias américains, les télévisions surtout, se faisait plaisir et surtout de l'audience en invitant ce candidat outrancier aux déclarations provocatrices. Certains journalistes ont d'ailleurs reconnu n'avoir pas fait leur travail en le laissant se pavaner et en négligeant de le contredire ou de confronter ses déclarations à l'emporte-pièce aux chiffres et aux réalités.
Un journaliste a vu clair avant les autres: Michaël Moore annonçait dès la fin juillet la victoire de Trump: "des millions de personnes, écrivait-il alors, seront tentés de devenir marionnettistes et de choisir Trump dans le seul but de brouiller les cartes et voir ce qui arrivera." (7)
Ce qui arrivera? Peut-être le pire pour nombre d'électeurs de Trump. Et pour tous les autres, à l'exception sans doute des plus fortunés.

Résumons-nous: la démocratie ne mène pas toujours à la démocratie.

Les manifestations, les mots de haine, les agressions sous couvert de défense, les menaces de ceux qui se prétendent menacés, le couteau affirmant qu'on cherche à le poignarder, le poing accusant le menton de l'avoir attaqué, tout cela devint familier, la grande hypocrisie malveillante de l'époque. Même le précheur sorti de nulle part n'étonnait plus personne. De tels saints hommes bien peu saints surgissent tout le temps, issus d'une sorte de parthénogénèse pathologique, un bizarre tour de passe-passe qui transforme des nullités en sommités.
Salman Rushdie, "Deux ans, huit mois et vingt-huit jours",
trad.: Gérard Meudal, Actes Sud, 2016.

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-11-novembre-2016
(2) (re)lire sur ce blog "Frère et sœur", 6 juillet 2016.
(3) http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/11/11/accuse-d-avoir-influence-l-election-americaine-facebook-se-defend_5029769_4408996.html
(4) http://www.lalibre.be/debats/chronique-redaction/les-electeurs-de-trump-cocus-des-le-premier-soir-58244e2fcd70fb896a67cda1
(5) "Pourquoi je ne voterai jamais pour lui", New York Times, 14 janvier 2016.
(6) http://www.marianne.net/sexiste-homophobe-si-vice-president-mike-pence-etait-pire-que-trump-100247723.html
(7) http://www.huffingtonpost.fr/michael-moore/cinq-raisons-pour-lesquelles-trump-va-gagner/

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