dimanche 13 novembre 2016

Une voix lumineuse

C'est un esprit brillant qui s'est éteint hier. Un de ceux qui participent à plus d'intelligence, à plus de tolérance, à plus de fraternité. Là où les fous de Dieu et leurs dérives violentes font les beaux jours des Trump, des Le Pen ou des Wilders, des penseurs comme Malek Chebel apportent de la lumière. Il est d'alleurs décrit comme "un adepte d'un islam des Lumières".

Anthropologue des religions, philosophe, psychanalyste, traducteur du Coran, auteur notamment de "Le Coran pour les nuls", "L'islam et la raison", "L'érotisme arabe" ou encore "L'islam en 100 questions", il rappelait à propos des caricatures de Mahomet que, contrairement à ce qu'affirment en vitupérant - ou, bien pire, ne tuant - certains radicaux, "pas une ligne, dans le Coran n'interdit de représenter le Prophète" (1).
C'est lui aussi qui, dans le numéro de Charlie Hebdo qui marqua le redémarrage de l'équpe après le massacre d'une part importante des siens (2), déclarait que "l'islam ne progressera pas tant qu'il n'aura pas fait sa place à l'individu à part entière, c'est-à-dire l'individu qui outrage, l'individu qui est outragé, l'individu qui blasphème, l'individu qui veut être agnostique, ou athée... Le jour où il reconnaîtra l'individu à part entière, créatif, inventif, désobéissant, l'islam aura fait un grand progrès dans la modernité. Ce qui l'en empêche, ce sont les religieux qui ont décidé de l'orientation doctrinale, philosophique, morale, spirituelle, de l'ensemble de la planète musulmane: ils ont peur de l'individu, car il représente un contre-pouvoir, qui pourrait entraîner la dissolution de leur pouvoir obscur." 
Déjà, réagissant à l'incendie perpétré contre les locaux de Charlie Hebdo début novembre 2011, le philosophe y avait vu "un acte de guerre, une sorte de terrorisme". Avec ce genre d'action, disait-il, "on s'empêche de penser. Même de vivre" (3).

Malek Chebel plaidait donc pour un Islam des Lumières et des plaisirs: "Je milite pour une utopie, c'est vrai, pour un Islam de demain qui n'est pas encore vraiment là. Je parle d'un Islam des Lumières et non plus d'un Islam arrêté au VIIe siècle ou d'un Islam qui ne bouge plus et qui exige que tout le reste du monde s'adapte à lui", disait-il (4). "90% des musulmans aspirent à un Islam ouvert et seuls 1% amènent le feu, mais ce sont eux qui font la une des JT", ajoutait-t-il. "Les musulmans doivent accepter de vivre en Europe selon un contrat social différent. La gouvernance humaine appartient aux hommes. Et l'Islam doit rester du domaine de la foi sans piétiner sur cette gouvernance." (...) "Il faut stigmatiser ceux qui justifient la burqa ou la polygamie au nom de l'Islam. Je suis un militant des droits de l'homme, en particulier dans l'Islam. (...) Nous devons élargir nos champs de représentation mutuels. Dire aux Occidentaux de ne pas enterrer trop vite l'Islam sous prétexte qu'il a de mauvais côtés. Et dire aux musulmans que l'aspiration à la beauté et à la sexualité est un combat aussi politique qu'esthétique."

Malek Chebel est mort à la veille de la commémoration des ignobles attentats de Paris. Sa voix va nous manquer. Elle était porteuse de lumière dans l'obscurantisme qui gagne le monde.

(1) "Paris est une cible", Arte, 5 janvier 2016.
(2) Charlie Hebdo, 25 février 2015.
(3) France Inter, journal, 2 novembre 2011.
(4) LLB, 12 novembre 2010.

(Re)lire sur ce blog
- "Aujourd'hui comme hier et comme demain", 7 janvier 2016.
- "Charlie le retour", 25 février 2015.
- "Renvoi de censeurs", 2 novembre 2011.
- "Mauvaise foi", 15 novembre 2010.

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