dimanche 22 janvier 2017

Je cherche un homme

Triste week-end pour l'humanité. On la cherche.

On la trouve chez Cédric Herrou, agriculteur français à la frontière italienne, qui a le grand tort d'aider des gens qui demandent l'asile (1). Il a été, pour la troisième fois, placé en garde en vue, après l'irruption en force d'une vingtaine de gendarmes, casqués et armés, dans son habitation où une infirmière était en train de soigner un jeune Soudanais (2). Des méthodes de terreur dignes du régime de Vichy, mais sous un régime social-démocrate. Que se passera-t-il demain sous une droite dure filloniste? Ou, pire, sous la botte du parti des Le Pen ?

Pendant ce temps-là, Ubu Trump était investi président des Etats-Unis. Jusqu'à la dernière minute, on espérait un revirement de sa part. On rêvait qu'il nous dise que tout cela n'était qu'une grosse farce qui a mal tourné. Que s'il a été aussi grossier et insultant pendant la campagne c'était précisément pour détourner de lui les électeurs. Mais non, même si elle est inacceptable et inquiétante, il va falloir se faire à l'idée qu'une des premières puissances mondiales est dirigée par un homme qui souffre visiblement de graves problèmes psychiatriques et va passer son temps à envoyer des tweets dès qu'il est l'objet de la moindre critique. Un homme dont les principaux projets sont de casser ce qu'a fait son prédécesseur (dès le premier jour il a signé un décret abrogeant l'Obamacare), de conspuer les journalistes, qui passe son temps à compter les manifestants venus le soutenir et à affirmer, comme un enfant, que "eh-ben-moi-j'en-ai-eu-autant-qu'Obama-euh".
Pour son intronisaton, il a donné, nous disent les observateurs, un discours indigent (et indigeste), populiste et nationaliste, prônant "l'Amérique d'abord" (3). Un slogan qui rappelle, notamment, celui du parti d'extrême droite flamand Vlaams Blok: "Eigen volk eerst", notre propre peuple d'abord.

Pendant ce temps, les cavaliers de l'Apocalypse se réunissaient en Allemagne. Les partis d'extrême droite, populistes, nationalistes et europhobes nous décrivent une situation catastrophique (4). Nous ne le savions pas, mais notre vie est épouvantable à cause de l'Union européenne et des vagues de réfugiés qui nous submergent. Pauvres de nous! Ils nous annoncent le pire, sauf si nous votons pour eux, les mensongers prêcheurs de haine.

Pendant ce temps, en Turquie, Erdogan devient sultan. Le parlement n'aura plus grand chose à dire, tout le pouvoir sera entre les mains du président (4). Et les députés d'applaudir.

Erdogan, Trump et les partis populistes et nationalistes européens jouent le peuple contre les institutions. Ils sont le peuple, ils l'incarnent, ils pensent et agissent à sa place, veulent mettre hors jeu les assemblées parlementaires, les syndicats, les associations, crachent sur la presse qui a le culot d'être critique.
Mais "Le peuple" n'existe pas. Il y a des citoyens qui pensent comme eux. Et heureusement beaucoup d'autres qui résistent, qui descendent dans la rue, qui accueillent des candidats réfugiés, qui réfléchissent, qui montent des projets, qui regardent vers l'avant plutôt que dans un rétroviseur, qui pensent qu'il vaut mieux marcher et tendre la main que pleurnicher et cracher.
"Nous devons être d'abord des hommes et ensuite seulement des sujets", écrivait Henry David Thoreau (5).


Post-scriptum: la lettre de Cédric Herrou au procureur.

APRÈS 36 H DE GARDE À VUE, LA LETTRE DE CÉDRIC HERROU AU PROCUREUR
ÉCRIT PAR STÉPHANE ROBINSON LE 21 JANVIER 2017
Suite à l’arrestation de Morgan, Lucille et Cédric, ce dernier écrit au procureur qui après une intervention musclée a libéré tout les prévenus sans aucune poursuite judiciaire malgré plus de 36h de garde à vue et d’énormes moyens mobilisés : près de 30 policiers casqués et armés, une mobilisation des militaires du dispositif « sentinelle », des lunettes infrarouges, des enquêteurs en civil ainsi qu’un drone. Le bilan de cette opération se réduirait à l’arrestation de ces 3 mineurs que Cédric avait pris en charge depuis plus d’un mois et pour qui il demandait aux pouvoirs publics une prise en charge. Ce bilan inclut aussi le traumatisme de l’infirmière de Médecins du Monde sur qui un policier a pointé son arme en hurlant, l’agression du journaliste de Libération plaqué au sol ayant subit par 2 fois une clé au bras et bien sur le choc vécu par ces enfants soudanais.

Monsieur le procureur,
Vous avez fait pleurer ma mère, mon père.
Vous avez arrêté mon frère, mon amie.
Vous nous avez mis sous les verrous, traités comme des chiens, des malfrats.
Vous avez ordonné à une trentaine de gardes mobiles, armes aux poings, d’entrer sur mes terres, prendre ces trois enfants sans parents, qui attendent chez moi, depuis plus d’un mois d’être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
Ces enfants ont connu la guerre, la torture, l’esclavagisme.
Ces enfants que je protège
Ces enfants qui m’ont donné leur confiance.
Vous avez au nom de votre France, violé les droits de l’Enfant!
Ils attendaient sécurité de la part de notre pays!
Vous me savez sensible aux personnes que j’aide, aux personnes que j’aime.
Vous savez que ma liberté ne s’arrêtera pas aux barreaux de vos prisons et vous tapez là où ça fait mal !!!
Sachez Monsieur le Procureur que je resterai fidèle à mes convictions, que ma France, que notre France, continuera à défendre les droits des hommes, des femmes, des enfants présents sur le sol français au nom de nos valeurs qui fondent la République Française.
Ne pensez pas que je suis seul, nous sommes des milliers, des millions!
Chacun son métier, le mien c’est agriculteur, le vôtre c’est de faire respecter la Loi. Loi qui protège et fait que le vivre ensemble soit la règle primordiale de notre démocratie.
Vive notre France
et …..celle que tu représentes. (6)

(1) (re)lire sur ce blog "L'accueil des déracinés", 4 janvier 2017.
(2) http://www.liberation.fr/france/2017/01/20/perquisition-musclee-chez-cedric-herrou-l-homme-qui-aide-les-migrants_1542821
(3) http://www.lalibre.be/actu/international/protectionnisme-et-populisme-le-discours-bref-et-indigent-de-trump-analyse-588279eacd70e747fb4ea1bb
(4) Arte, Journal, 21 janvier 2017, 19h45 et
http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/01/21/marine-le-pen-et-l-international-un-pari-a-double-tranchant_5066499_823448.html
(5) La Désobéissance civile, 1849.
(6) http://www.marianne.net/cedric-herrou-agriculteur-qui-aide-les-migrants-je-resterai-fidele-mes-convictions-100249395.html

3 commentaires:

Berbnard De Backer a dit…

Je suis tout aussi inquiet que vous de la montée en puissance de ce que l'on nomme "populisme" (je préfère le terme "ethno-nationalisme" et qui ne concerne d'ailleurs pas que la droite ou l'extrême droite), et particulièrement de l'élection de Trump qui est une catastrophe nationale (mais c'est leur problème) et internationale, en particulier le climat (et ça, c'est aussi le nôtre).

Cependant, je pense qu'il faut réagir autrement que par la seule "posture de superiorité morale" des élites "de gauche" que dénonçait à juste titre, selon moi, le géographe Christophe Guilluy :

"Il faut insister sur le fait que sur ces sujets, il n’y a pas d’un côté ceux qui seraient dans l’ouverture et de l’autre ceux qui seraient dans le rejet. Si les catégories supérieures et éduquées ne basculent pas dans le populisme, c’est parce qu’elles ont les moyens de la frontière invisible avec l’Autre. Ce sont d’ailleurs elles qui pratiquent le plus l’évitement scolaire et résidentiel. La question du rapport à l’autre n’est donc pas seulement posée pour les catégories populaires.

Poser cette question comme universelle – et qui touche toutes les catégories sociales – est un préalable si l’on souhaite faire baisser les tensions. Cela implique de sortir de la posture de supériorité morale que les gens ne supportent plus. J’avais justement conçu la notion d’insécurité culturelle pour montrer que, notamment en milieu populaire, ce n’est pas tant le rapport à l’autre qui pose problème qu’une instabilité démographique qui induit la peur de devenir minoritaire et de perdre un capital social et culturel très important. Une peur qui concerne tous les milieux populaires, quelles que soient leurs origines. C’est en partant de cette réalité qu’il convient de penser la question du multiculturalisme." (dans Le Monde du 5 janvier 2017)

Il faut donc se poser la question des causes structurelles de ce qui arrive, autant en Europe, aux USA, en Turquie et en Russie. J'avais écrit le dernier édito de la Revue nouvelle intitulé "Vladimir l'Européen"; je pourrais récidiver avec un "Trump l'Européen". J'y examine certaines de ces causes :
http://www.revuenouvelle.be/Vladimir-l-Europeen

Je viens par ailleurs de lire "Dans la tête de Marine Le Pen" de Michel Eltchaninoff (déjà auteur d'un "Dans la tête de Vladimir Poutine") et il est frappant de voir combin Marine s'inspire de certains auteurs de la gauche anti-libérale (comme Jean-Claude Michéa ou Dany Robert-Dufour).

Michel GUILBERT a dit…

Je vous lis, j'entends bien, mais je reste assez sceptique par rapport à cette idée de supériorité morale. Différentes études indiquent que les votes populistes sont surtout importants dans les campagnes et dans les petites et moyennes villes. New York, Washington et d'autres grandes villes américaines ont voté très majoritairement pour H. Clinton. Le succès de Le Pen est important dans les campagnes françaises. Bref, là où les "natifs" ne sont pas (ou alors très peu) confrontés à d'autres et où ils ne sont pas, me semble-t-il, menacés de devenir minoritaires. La peur (si peur il y a) n'est pas liée à un vécu, mais à un sentiment entretenu sans doute par la télé et plus encore par Internet qui diffuse rumeurs et fausses informations.
Ceci dit, quelles que soient les causes, il y a urgence à (ré)investir dans l'éducation permanente et à changer le fonctionnement de nos démocraties.
Je vais lire votre article dans la R.N.

Bernard De Backer a dit…

La sociologie électorale du vote dit populiste est en effet très semblable dans les pays occidentaux (Pologne, Autriche, Royaume-Uni, France...) et aux USA.

Il s'agit majoritairement d'un corps électoral qui est impacté négativement - économiquement et/ou culturellement - par la mondialisation (les états désindustrialisés du "Rust Belt" - la "ceinture de rouille" - ont fait pencher la balance en faveur de Trump aux USA). Le Monde, entre autres, a publié des reportages très éclairants sur la "Rust Belt" à ce sujet, mais aussi auprès de la population "de souche" dans les quartiers populaires de Vienne.

Dominique Reynié a forgé le concept de "populisme patrimonial" pour désigner "un mouvement politique contemporain né d’une inquiétude (ndlr : des populations périphériques) de voir simultanément remis en cause leur patrimoine matériel, ou leur niveau de vie, et leur patrimoine culturel, ou leur mode de vie, par les effets de la globalisation économique et du vieillissement démographique."

Ce sont dès lors les couches sociales "de souche" - populaires urbaines et populations rurales ou provinciales plus traditionnelles - qui se sentent le plus menacées par l’insécurité culturelle, liée notamment aux migrations, et la globalisation économique (qui touche évidemment aussi les agriculteurs). Ceci d’autant que la caisse de résonance médiatique rapproche le bruit du monde de n’importe quelle ferme du Vorarlberg ou d'Angleterere.

J’ajouterais que la tendance à vouloir "relocaliser" et se réapproprier la maîtrise de son espace économique et de son mode de vie se rencontre aussi chez les écologistes largo sensu, avec toute la mouvance de l’économie circulaire, des circuits courts, de la monnaie locale ... qu’illustre superbement le film Demain.

Enfin (et sans développer la question ici),le rejet de de la mondialisation comme occidentalisation culturelle et politique du monde par les pays non-occidentaux (Russie, Inde, Chine, monde musulman...) génère des pouvoirs nationalistes, religieux ou impériaux qui s’éloignent de plus en plus du paradigme démocratique occidental. Ceci n’est sans doute pas sans rapport avec les appréhensions de "nos" populistes.

En tout état de cause, si les partis de la gauche radicale et ceux de la droite populiste sont tous deux des adversaires de la globalisation économique et financière, c'est le traitement de la problématique migratoire qui les différencie et qui explique le plus grand succès électoral populaire de la droite populiste. C'est d'ailleurs ce qu'ont commencé de comprendre Corbyn en Angleterre et Melanchon en France.