jeudi 20 avril 2017

Le Pen, le pire

Marine Le Pen a oublié son slogan de "France apaisée". Se tassant dans les sondages, elle revient, dans ces derniers jours de campagne, aux fondamentaux du F.N.: elle s'en prend ouvertement aux migrants, soutenue par ses affidés qui scandent "on est chez nous".
Ils pourraient être bien seuls demain à s'entendre crier "on est chez nous" quand leur région se sera, un peu plus encore, désertifée, quand les Britanniques, les Néerlandais, les Belges, d'autres ressortissants de l'Union européenne, les réfugiés qui ont fui la guerre ou la misère ne viendront plus s'y installer. Ils seront chez eux, oui, tout seuls enfin. A qui pourront-ils alors reprocher, une fois qu'ils n'auront plus l'U.E. et les étrangers comme boucs émissaires, leur abandon, sinon à eux-mêmes? Chez eux et oubliés de tous parce qu'ils l'auront voulu ainsi.

Marine Le Pen, si elle est élue, annonce qu'elle suspendra les accords de Schengen et donc rétablira les contrôles aux frontières. Cette femme ne voyage pas assez. Si elle le faisait, elle se rendrait compte que la disparition des frontières est devenue totalement naturelle pour celles et ceux qui vivent de part et d'autre.
J'ai vécu soixante ans à deux pas de la frontière franco-belge. Je me souviens des arrêts à la douane, des coffres ouverts, des bouteilles de vin ou de bière (selon le sens de passage) comptées. Je me souviens aussi des manifestants anti-nucléaires empêchés de passer la frontière à Givet un jour de manif à Chooz. Puis, j'ai vu les passages devenir de plus en plus aisés, avec des contrôles aléatoires. On se contentait de ralentir à hauteur du poste de douane, on apercevait de l'autre côté de la fenêtre du bureau la main du douanier qui nous faisait signe de passer sans même nous regarder. Puis, après les accords de Maastricht, la frontière a totalement disparu. Et chacun a pris ses habitudes, passant de l'autre côté pour aller acheter tel ou tel produit, travailler, étudier, habiter, boire un verre, aller danser ou faire la fête... Les commerçants de part et d'autre de la frontière apprécieront le retour des frontières. La fille à papa Le Pen imagine-t-elle réinstaller des postes de douane aux quelque trois cents points de passage qui existent entre la Belgique et la France? Voilà qui tombe mal: sur l'autoroute Tournai - Lille, les vieux postes de douane, totalement déglingués et inutilisés depuis plus de vingt ans, viennent enfin d'être supprimés, le passage est enfin propre. L'absence de frontières est un plaisir et doit le rester.
Il y a deux mois, le Parlement européen a voté un texte rendant obligatoires le contrôle et le recoupement des documents d'identité de tout citoyen européen et des étrangers souhaitant entrer ou sortir de l'espace Schengen. Il s'agit de s'assurer que des personnes n'entrent pas sur le territoire de l'U.E. avec des documents volés ou falsifiés. La Le Pen avait sûrement mieux à faire ce jour-là (par exemple, dire tout le mal qu'elle pense de cette passoire qu'est l'espace Schengen)  où elle a, une fois encore - c'est une habitude chez elle, brillé par son absence au Parlement européen. Ses petits camarades ou se sont abstenus ou ont voté contre le texte (1). La cohérence n'est le fort de l'extrême arrière.
De même qu'Asselineau, la candidate des Ets de démolition Le Pen et filles apparaît totalement has been. Son programme morbide comporte les mots "mort", "fin", "retour". C'est un programme de recul, de destruction des avancées. Sur le plan culturel, il se résume à la sauvegarde du patrimoine. C'est un peu court. Quand on sait qu'elle a sous-évalué le sien (ce qu'on comprend quand on sait qu'étymologiquement patrimoine signifie héritage du père), on peut être d'autant plus inquiet.

Son programme économique est décrié notamment par vingt-cinq prix Nobel d'économie qui ont publié hier, dans Le Monde, un texte dans lequel ils affirment notamment que
"– La construction européenne est capitale non seulement pour maintenir la paix sur le continent mais également pour le progrès économique des Etats membres et leur pouvoir politique dans le monde.
– Les évolutions proposées par les programmes antieuropéens déstabiliseraient la France et re­mettraient en cause la coopération entre pays européens, qui assure aujourd’hui une stabilité économique et politique en Europe.
– Les politiques isolationnistes et protectionnistes et les dévaluations compétitives, toutes menées au détriment des autres pays, sont de dangereux moyens d’essayer de générer de la croissance. Elles entraînent des mesures de représailles et des guerres commerciales. Au final, elles se révéleront préjudiciables à la France ainsi qu’à ses partenaires commerciaux.
– Quand ils sont bien intégrés au marché du travail, les migrants peuvent être une opportunité économique pour le pays d’accueil. Plusieurs des pays les plus prospères au monde ont su accueillir et intégrer les émigrés."
Ces économistes affirment que ce qu'il nous faut c'est "plus de solidarité, pas moins" et que "ces problèmes sont trop sérieux pour être confiés à des politiciens clivants" (2).
Le même jour sur France Inter, un patron expliquait pourquoi il a appelé ses huit mille salariés à ne surtout pas voter pour la Le Pen et son programme qui ruinerait leur entreprise (3).

La pauvre victime des médias qui ne veulent pas l'inviter à annulé sa venue à France Inter, le meilleur moyen sans doute d'éviter les questions qui pourraient fâcher la candidate de la France apaisée. Patrick Cohen lui a malgré tout adressé quelques-unes des questions qu'il comptait lui poser, en s'appuyant sur des archives récentes. On y apprend ainsi que celle qui reste bel et bien la fille de son père affirmait en octobre 2012 que la répression sanglante des Algériens du FLN à Paris le 17 octobre 1961 était "un bobard" (4). Bon sang ne peut mentir.


(1) http://www.huffingtonpost.fr/2017/02/18/marine-le-pen-critiquee-pour-avoir-seche-un-vote-sur-le-renforce/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/18/25-nobel-d-economie-denoncent-les-programmes-anti-europeens_5112711_3232.html?xtmc=stiglitz&xtcr=1
(3) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-19-avril-2017
(4) https://www.franceinter.fr/emissions/le-7h43/le-7h43-19-avril-2017

2 commentaires:

Philippe Dutilleul a dit…

Belle démonstration, cher Michel, mais je crains qu'elle ne porte pas ses fruits envers les électeurs "en colère" du FN qui votent à l'unisson pour "Marine" pour une raison principale : l'immigration et le regroupement familial. C'est ce que j'entends à chaque fois que j'interroge de "braves gens" acquis au vote FN ici dans le SE. " On donne aux immigrés toutes les facilités et allocations sociales pour s'installer alors qu'on les refuse aux français de souche dans la même situation précaire". Toujours la même argumentation à la virgule près avec une variante, celle des bourgeois qui estiment que " la droite traditionnelle n'a pas gouverné assez à droite ".... C'est donc l'immigration (ancienne et nouvelle) qui est la matrice du vote FN et responsable du "malheur "des Français (sic)... Et ces gens sont rétifs à toute argumentation raisonnée et sensée comme la tienne. Malheureusement.... Ils sont juste un peu ébranlés quand je leur dis que l'arrière-boutique influente du FN est composée de nazillons racistes, violents, heureux et fiers de l'être... Philippe Dutilleul.

Jean-Claude Dewinte a dit…

Oui, cher Michel, belle démonstration, étayée certes par le discours et l'analyse pertinente de journalistes éclairés. Mais qui lit Le Monde et qui prête l'oreille à France Inter ? Pas trop les anesthésiés-rêveurs en bleu Marine, j'imagine, ni ces "braves gens" que cite l'ami Philippe et qui constituent le fond de commerce de la fille à papa et de sa clique de gangsters endimanchés.
Pour autant, réduire le problème (le mot est faible) au seul FN serait une grossière erreur. Au Puy, le son des casseroles n'a pas tout à fait réussi à couvrir la voix de celui qui s'ingéniait à y rappeler toute la valeur de 'l'identité française'. A l'autre bout, "la France insoumise' est-elle vraiment porteuse de ces lendemains censés chanter ? Enfin, peut-on vraiment croire que pour que 'la France soit une chance pour tous', il suffit de faire en masse le grand écart entre les extrêmes ? L'exercice réclame de la souplesse. Et les jours restant pour s'entraîner sont devenus bien courts...
On dit de la tragédie grecque qu'elle a un rôle cathartique... Et en Hexagone, ça donne quoi ?
Jean-Claude Dewinte