samedi 21 octobre 2017

Les hommes vampires

Le mutisme encore. Le silence. Dans la société bavarde qui est la nôtre, où chacun ne cesse de s'exprimer sur tout et sur rien urbi et orbi, il est pourtant des sujets que l'on tait (voir aussi le billet précédent).
Que tant de femmes n'aient pas osé parler, on peut le comprendre, à cause d'un sentiment de honte, par peur de perdre leur emploi ou de ne pas décrocher le poste espéré, parce qu'il est si difficile en matière de harcèlement et de viol d'apporter les preuves de ce qu'on avance par rapport à des faits qui se passent quasi toujours en tête-à-tête, parce que tant de policiers un peu partout dans le monde se montrent goguenards face à une plaignante. Mais pourquoi tant de témoins, femmes ou hommes, ont-ils laissé faire? Comme l'écrit Gérard Biard (1), "les affaires de harcèlement sexuel et de viol, c'est généralement le contraire des affaires de terrorisme. Là, personne ne semble étonné". Parce que tout le monde savait ou s'en doutait ou avait relevé des attitudes, des propos, des actes au moins troubles, équivoques, glauques, malsains. "Et tout le monde la fermait. Par peur, par habitude, par complicité passive, par je-m'en-foutisme, par respect des traditions ou des conventions."
Aujourd'hui, à partir du cas du producteur Harvey Weinstein, les tabous tombent, des femmes, nombreuses, osent enfin parler, dénoncer leurs harceleurs, pire, leurs violeurs. Et on en trouve dans tous les milieux: culture, entreprises, sports, politique, religions, familles. On s'y est tellement habitué que les Américains, pourtant si pudibonds, ont même élu comme président un harceleur sexuel en toute connaissance de cause.
Quelle société y échappe? Ça se passe à Hollywood, ça se passe à Washington, en Belgique, en France, en Allemagne, en Iran (2), au Maroc, en Egypte. Ça se passe partout, quelles que soient les cultures. L'homme harceleur est sûr de son droit, le confondant souvent avec son pouvoir, de père, de patron ou d'employeur potentiel, de prédicateur, de ministre, de vedette.
Quelles que soient les cultures ou les religions, la femme ne s'appartient pas, elle est objet pour l'homme. Objet qu'on met à genoux, qu'on couche, qu'on cache, qu'on voile, qu'on dévoile au gré de ses humeurs et de ses pulsions de mâle. Qu'on jette ensuite avec mépris.

On se le demande: comment et pourquoi dans une société aussi avancée que la société française les femmes mariées perdent-elles leur nom de naissance pour adopter, pour accepter d'adopter, de se laisser imposer celui de leur mari? S'appartenir, plutôt qu'appartenir à l'homme, commence par conserver son nom. Exister par soi-même face aux crocodiles (3).

Vierge aux abois
Va et viens
Défais-moi donc ce lit à baldaquin
Qu'en deux temps trois mouvements
L'on badine

Sonnez l'hallali
Sonnez ma mise à mort 
Sonnez l'hallali
Sonnez ma mort 
Claire Diterzi, "Tableau de chasse"

(1) "Silence, on viole", Charlie Hebdo, 18 octobre 2017.
(2) A lire: le (faux) roman, glaçant, de Chadortt Djavann "Les putes voilées n'iront jamais au paradis", Le Livre de poche 34637.
(3) (Re)lire sur ce blog "Des larmes de crocodile", 26 novembre 2014.
Post-scriptum: à lire, cette chronique de Vincent Engel:
http://www.lesoir.be/120343/article/2017-10-21/affaire-weinstein-la-loi-des-porcs-garder-les-yeux-grands-fermes
Post-scriptum bis: ce billet de Caroline Fourest,"Ni porc, ni dinde", 24 octobre 2017: https://carolinefourest.wordpress.com
Post-scriptum bis, excellent billet de Nicolas Bedos sur la chasse au croustillant ouverte par l'affaire Weinstein: http://www.huffingtonpost.fr/nicolas-bedos/un-seul-nom-me-suffira-quand-la-liberation-de-la-parole-vire-a-la-guerre-des-sexes_a_23262930/?utm_hp_ref=fr-homepage

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