vendredi 13 octobre 2017

Question(s) catalane(s)

Pourquoi une importante partie des Catalans (40% au moins, peut-être plus de 50%) veulent-ils que leur région devienne indépendante de l'Espagne? C'est une question qui reste, pour moi, sans réponse. La région jouit déjà d'une autonomie politique importante par rapport à l'Etat. Alors, pourquoi le quitter? Pourquoi ajouter de nouvelles frontières au sein d'un monde qui n'en connaît que trop? Comme l'écrit Riss, "l'indépendance, mais par rapport à quoi? L'indépendance, elle est légitime quand on veut s'affranchir de la tyrannie ou de l'oppression. De quel destin tragique les Catalans veulent-ils donc se libérer aujourd'hui?" (1) Et l'indépendance pour faire quoi? Pour construire un nouveau pays écologique, solidaire, ouvert aux autres? On ne l'entend pas. Et si c'était le cas, on ne comprendrait pas pourquoi ce projet politique n'a pas déjà été mis en œuvre dans le cadre de l'autonomie. Et pourrait-il l'être demain quand on voit quel rassemblement hétéroclite s'est formé autour de la revendication indépendantiste?
Un journal relevait récemment (2) que dans les quartiers populaires de Barcelone on voit peu de drapeaux catalans, comme si la revendication indépendantiste était un luxe de gens aisés. Les plus pauvres ne voient sans doute pas d'intérêt à se séparer du reste de l'Espagne. "L'indépendance permet de ne pas parler d'autres problèmes, comme celui du chômage", affirme l'économiste Carlos Mandianes, président du Centre galicien de Barcelone (3).
La valse-hésitation de Puigdemont déclarant l'indépendance pour aussitôt annoncer sa suspension me fait penser au Brexit. Ici comme là, j'ai le sentiment qu'il s'agit de rompre dans l'urgence sans avoir pris en compte les conséquences de la rupture, l'impression qu'il s'agit d'abord de se faire plaisir sans vouloir réfléchir aux suites. Et ces suites seront peut-être telles que les imagine Riss: une fois la fête finie, "tout le monde rentrera chez soi se caler devant sa télé pour voir La Roue de la fortune et le Barça en quart de finale de la Coupe de la Ligue". Tout ça pour ça? Et sinon, pour quoi?

(1) "La connerie ou la mort!" Charlie Hebdo, 11.10.2017.
(2) Revue de presse de France Inter, il y a quelques jours.
(3) Beatriz Pérez, "Catalans, mais aussi espagnols", La Voz de Galicia, 8.6.2017, in Le Courrier international, 28.9.2017.

5 commentaires:

Grégoire a dit…

Pourquoi? L'argent, bien sûr. Une Catalogne indépendante serait le 7ème état de l'Union Européenne, si tant est qu'on l'y accepte, en termes de richesses produites par habitant. On pourrait appeler cela le syndrome "Tatcher" et son "I want my money back" de 1979. La Catalogne, enfin une partie de ses habitants, pensent qu'ils paient trop d'impôts au profit des autres Espagnols (non catalans). La Belgique francophone a bien eu droit à la symbolique du camion rempli de faux billets, symbolisant les transferts financiers du nord du pays vers le sud. Un proverbe africain, que j'apprécie beaucoup : "plus le diable en a, plus le diable en veut.". Puigdemont veut peut-être aussi laisser une trace dans l'histoire... L'orgueil est souvent fort répandu dans le milieu politique.
Le besoin d'indépendance tel que je le ressens de la part des indépendantistes catalans ressemble plus à un caprice de riches (même s'il ont évidemment des problèmes de chômage, comme le fait remarquer l'économiste galicien).
Avant le constat des violences policières, la première erreur, selon moi, de l'Etat espagnol a été de ne pas autoriser le référendum. Une fois celui-ci fait dans les règles, le résultat aurait eu le mérite de mesurer clairement la proportion d'indépendantistes parmi la population catalane. Alors que, là, on a eu une élection où la majorité des votants était motivée par le même but et la réaction policière n'a certainement fait que persuader les indécis qu'un droit aussi évident que la liberté de s'exprimer dans les urnes pouvait se heurter au bout d'une matraque sans avoir besoin d'aller au milieu de l'Afrique (par ex.). Cela eut été un coup de poker de l'Etat espagnol, mais la peur n'évite pas le danger...

Michel GUILBERT a dit…

L'indépendance ressemble à un caprice d'enfant gâté. Ceux qui rêvent d'une Flandre indépendante dénoncent en effet les transferts d'argent du nord vers le sud du pays. Ils ne veulent pas (plus?) assumer de solidarité. Mais entendent bien que l'Etat indépendant dont ils rêvent reste membre de l'U.E. Autrement dit, la solidarité, ils continueront forcément à en faire preuve, mais à travers l'Europe cette fois. Cherchez l'erreur. Ou l'absurdité.

Grégoire a dit…

Croyez-moi, si vous voulez, mais je n'avais pas encore acheté, et lu, le Charlie lorsque j'ai écrit cet avis. En découvrant l'hebdo lundi, j'ai été surpris d'y retrouver certains de mes arguments, comme la citation de Tatcher. Je lis Charlie depuis l'été 1993 et j'ai appris, il y a peu, que Cavana était atteint de parkinson vers la fin de sa vie, lui qui écrivait encore tout à la main, mais aussi que lorsqu'il appelait son éditeur, Albin Michel, celui-ci ne prenait même plus la "peine" de lui répondre (http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20150615.OBS0816/la-pleiade-pour-cavanna.html). Et puis après quelques clics, je découvris comment il a vécu au sein de la rédaction de l'hebdo (http://www.telerama.fr/cinema/delfeil-de-ton-ancien-de-charlie-cavanna-c-est-l-envers-complet-de-philippe-val,127967.php), et sans être plus naïf que la moyenne, j'en fus étonné et très triste pour lui. C'est le seul écrivain qui ait réussi à m'arracher une larme, c'était dans les Russkofs, lorsqu'il racontait que la survivante d'expériences médicales de camps de concentration avec laquelle il projetait de se marier, et espérait quand même fonder une famille, en était morte.
Cela me donne envie de le relire, ses coups de coeur, ses coup de gueule...

Philippe Dutilleul a dit…

Cher Michel, pour une fois je serai en total désaccord avec ta chronique sur la Catalogne ainsi qu'avec Grégoire. Plus con qu'un Corse ou un Catalan, c'est assurément l'auteur du dessin de couverture de Charlie... Je te renvoie à ma dernière chronique que j'estime modérée et équilibrée sur le sujet. Je ne peux accepter l'argumentaire simpliste et réducteur qui consiste à dire que les riches veulent abandonner les pauvres. Le problème, ce sont les peuples et nations sans Etat à qui les partis traditionnels et jacobins dénient tout droit. Voir par exemple sur un autre continent les Kurdes avec la Turquie, l'Irak ou la Syrie qui se comportent trop souvent en bourreau. Concernant la Catalogne, j'ai été invité à plusieurs reprises après BBB par les indépendantistes de toute tendance. Il y a chez eux un attachement passionnel, réel à leur terre, un nationalisme (de nation) pacifique, non agressif que refusent de voir les Etats de l'Union Européenne, l'Espagne en particulier. C'est une erreur qui pourrait se révéler tragique. Pour ma part, je milite plus pour une Europe des Régions que celle qu'on nous propose aujourd'hui, tellement décevante et réductrice.
Amitiés. Ph. Dutilleul. Blogandcrocs. blogspot.com

Michel GUILBERT a dit…

Bonsoir, Philippe.
Je savais que (pour une fois) nous sommes pas d'accord, pour avoir lu ton blog (sur lequel je n'ai pas pris le temps de laisser un commentaire). Mais je n'ai toujours pas trouvé de réponse aux questions que je pose. Je veux bien entendre que nombre de Catalans ne sont pas dans une perspective de riches qui refuseraient de partager leurs biens. Mais je ne comprends pas que tu dises qu'on leur dénie tout droit. J'avoue ne pas bien connaître le fonctionnement de l'Espagne mais il m'apparaît quand même que la Catalogne bénéficie d'une autonomie importante. Alors que veulent de plus les indépendantistes? Un régime fédéraliste ne pourrait-il régler la question? Et, je le répète, ajouter des frontières dans un monde où il y en a trop me laisse, comment dire?, désolé.
Amicalement.
Michel