dimanche 28 janvier 2018

La censure n'a pas d'âge

A quoi se forme-t-on quand on est étudiant? A l'intelligence d'abord. Une série d'étudiants sont déjà recalés (1). Ceux - du syndicat étudiant Solidaires (Solidaires avec qui?) - qui ont demandé à la direction de la faculté Paris Diderot d'annuler la représentation de la pièce de Gérald Dumont inspirée du texte de Charb Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes (2). La section locale de l'UNEF a l'intention, nous dit le Printemps républicain, d'envahir l'amphithéâtre pour empêcher la représentation. Censurer un spectacle fondamentalement laïc, antifasciste et antiraciste, voilà un projet de vieux réacs, mais ici menés par des étudiants. La censure n'a pas d'âge, pas plus que la bêtise.
Rappelons qu'il y a trois ans Charb, directeur de Charlie Hebdo, fut lâchement et sauvagement assassiné, comme nombre de ses camarades et collègues, par de jeunes obscurantistes convaincus que, en tirant à la kalachnikov sur des dessinateurs et des journalistes désarmés, ils avaient "vengé le Prophète". "C'est dur d'être aimé par des cons", avait fait dire Cabu à celui-ci, quelques années avant d'être assassiné. Et il aurait pu ajouter "et par d'immondes crapules".
Que dit Charb dans ce texte que certains esprits obscurs veulent faire taire? Il dit que le terme islamophobie est devenu un outil aux mains de ceux qui veulent empêcher toute critique d'une déviance politique intégriste et violente de l'islam. "Non, vraiment, le terme islamophobie est mal choisi s'il doit désigner la haine que certains tarés ont des musulmans. Il n'est pas seulement mal choisi, il est dangereux. (...) Lutter contre le racisme, c'est lutter contre tous les racismes, alors lutter contre l'islamophobie, c'est lutter contre quoi? Contre la critique d'une religion, ou contre la détestation des gens qui pratiquent cette religion parce qu'ils sont d'origine étrangère?".
Ceux qui sont prompts à dénoncer l'islamophobie ne supportent pas l'humour vis-à-vis de l'islam. "Si on laisse entendre qu'on peut rire de tout, sauf de certains aspects de l'islam parce que les musulmans sont beaucoup plus susceptibles que le reste de la population que fait-on sinon de la discrimination? , s'interrogeait Charb. La deuxième religion de France ne devrait pas être traitée comme la première? Il serait temps d'en finir avec ce paternalisme dégueulasse de l'intellectuel bourgeois blanc de gauche qui cherche à exister auprès de pauvres malheureux sous-éduqués."
Etudiants qui vous sentez solidaires des musulmans, n'assassinez pas Charb une seconde fois. Réfléchissez. Lisez attentivement le titre du texte de Charb, lisez le texte (89 pages en grands caractères, ça devrait aller...) (3). Et rappelez-vous, vous qui avez la chance d'étudier à l'Université Diderot, que ce dernier fut un des grands penseurs des Lumières. Pas de l'obscurantisme que vous soutenez par votre tentative de censure.

Post-scriptum: lire, à ce sujet, les pages 2 et 3 de Charlie Hebdo de ce 31 janvier: "Charb n'est plus là, mais ses livres sont encore de trop". Riss y souligne notamment que "demander l'interdiction de la lecture des textes de Charb est une insulte à la mémoire d'un homme qui a payé de sa vie le courage de dire une réalité qu'ils (les étudiants qui se croient antiracistes) fuient lâchement". Gérard Biard y rappelle notamment que "Charb considérait les musulmans et les musulmanes comme des adultes émancipés et des citoyens à part entière. Il combattait autant la haine qu'on leur porte à l'extrême droite que la condescendance méprisante qu'on leur porte à l'extrême gauche".

(1) Comme ceux de l'Université Libre de Bruxelles qui, avec des cris stupides et incompréhensibles, avaient en 2012 empêché un débat sur l'extrême droite. (Re)lire sur ce blog "Faiblesses d'esprit", 8.2.2012.
(2) Ce mercredi 31 janvier à 18h dans les locaux de l'université, amphi Buffon, 15 rue Hélène Brion, Paris 13e.
(3) Charb, Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes, éditions Les Echappés, 2015.

1 commentaire:

Grégoire a dit…

Auparavant, le suffixe "phobe" signifiait la peur, la crainte. Le néologisme "islamophobe", que le dictionnaire Littré en ligne ne (re)connaît pas, devrait signifier la peur de l'Islam. A côté de cette arnaque qui consiste à vouloir assimiler des croyants à une ethnie, il y a celle qui consiste à "criminaliser" tous ceux qui émettraient des craintes vis-à-vis d'une religion qui, dans certaines de ses variantes, ne brille franchement pas par sa tolérance. Je connais plusieurs personnes qui ont simplement peur de l'Islam, de ce qu'ils en voient dans les JT, qui constatent avec une certaine inquiétude que des quartiers de grandes villes européennes se peuplent progressivement de musulmans voulant rester entre eux et ces personnes n'en sont pas pour autant racistes. Peut-être est-ce parce que l'immobilier y est moins cher, mais est-il souhaitable de faire une étude socio-économique sur base de la religion?
Je suis allé il y a quelques années en Afrique du Nord, et je dois avouer que j'ai ressenti clairement une distance venant de mes interlocuteurs lors des quelques échanges commerciaux. Quant à mon épouse, en plus de leur être muette, elle était transparente, inexistante...
J'espère que tous les "Abdel Kader"* de France vont montrer qu'ils existent et qu'être musulman ne soit plus associé presque systématiquement aux mauvaises nouvelles (ce n'est pas le spectateur qui participe non plus aux choix éditoriaux)...
* Pierre Desproges, à l'approche de Noël en 1975, demande de l’aide aux gens dans Paris pour un couple d’immigrés israéliens dont la femme était prête à accoucher. Aucun ne fait le rapprochement avec les célèbres Marie et Joseph, car tous ne voient qu'une famille de juifs. Peur et/ou fuite et/ou gêne chez tous ceux qu'il questionne. C’est un musulman, Monsieur Abdel Kader, restaurateur, qui acceptera de les prendre en charge...