samedi 6 janvier 2018

Tu t'es vu sans Cabu?

Je suis Charlie. Aujourd'hui comme il y a trois ans, comme il y a vingt ans. Etre Charlie, c'est se ranger du côté de la liberté d'expression, de la liberté de critique, de la laïcité. De l'humour aussi, même si on n'est pas obligé de rire de toutes les caricatures et si le sens de l'humour est forcément très  subjectif. Parlons-en des caricatures: aucune ne sera jamais aussi atroce que la réalité qu'elle dénonce. Un dessin n'est jamais que le résultat de l'usage d'un crayon. Pas d'une kalachnikov, d'explosifs ou d'une voiture-bélier. On peut trouver drôle ou non un dessin, jamais un assassinat qui sera toujours un acte ignoble et inhumain. Inacceptable et intolérable. Lâche et répugnant.
Charlie Hebdo, comme le rappelle son rédacteur en chef, n'a jamais abandonné un seul de ses combats: "la lutte contre tous les totalitarismes, la liberté d'expression et de conscience, l'égalité des droits, la laïcité, l'antiracisme et le féminisme universalistes, l'écologie et la protection animale, la liberté sexuelle, l'opposition à toutes les religions - y compris à celle du foot -, aux croyances et élucubrations de toutes sortes, aux manipulations des sectes et de leurs gourous, à tout ce qui relève de l'irrationnel" (1). Et ceux qui traitent Charlie Hebdo de raciste ou d'islamophobe, soit ne l'ont jamais lu, soit sont de mauvaise foi, soit n'y comprennent rien. Soit aussi sont dans ces trois catégories à la fois. 


Depuis trois ans, depuis l'ignoble massacre, l'équipe de Charlie vit contrainte et forcée dans un bunker. La liberté d'expression a ce prix en France, où certains organes de presse inconscients (?) et bien pensants (?) n'hésitent pas à affirmer que leurs confrères mènent une guerre aux musulmans parce qu'ils se battent contre l'obscurantisme (2). Le prix: outre la protection rapprochée par la police dont bénéficient certains membres de la rédaction, entre un million et un million et demi d'euros par an à la charge de l'hebdomadaire, pour payer les équipements et les agents de sécurité qui permettent aux journalistes, aux dessinateurs et autres collaborateurs de Charlie de se réunir et travailler sans risquer de se faire flinguer par de faibles d'esprit, apôtres violents de l'obscurantisme, qui veulent défendre leurs prophètes contre de petits dessins. "Est-il normal pour un journal d'un pays démocratique, demande Riss, directeur de Charlie Hebdo, que plus d'un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent? Quel autre média en France doit investir autant d'argent pour lui permettre d'user de cette liberté fondamentale qu'est la liberté d'expression?" (3)
"Si Charlie Hebdo est aujourd'hui sous protection policière, écrit Gérard Biard, c'est aussi en partie parce que, hier, des politiciens, des éditorialistes, des responsables religieux, des intellectuels, des militants et des experts de tout poil ont considéré - et pour beaucoup considèrent toujours - comme parfaitement logique  que l'équipe de ce journal soit physiquement en danger." (4)

La philosophe Elisabeth Badinter, elle, continue à soutenir Charlie Hebdo: "l'équipe de Charlie ne m'a jamais déçue", dit-elle. "Ce qui me lie à Charlie, c'est que ce journal n'a pas seulement été le premier, mais le seul à défendre jusqu'au bout les caricatures de Mahomet des dessinateurs danois. Ce fut pour moi une bouffée d'oxygène: enfin un journal qui défendait sans concession le droit de critiquer les religions y compris l'islam, alors que les hommes politiques restaient muets. On tuait des centaines de chrétiens au Pakistan, on attaquait des ambassades et Chirac a condamné Charlie. La caricature redevenait sacrilège et le blasphème, un crime. Oublié, le combat voltairien pour la liberté d'expression! C'était le grand saut en arrière, plus de deux siècles auparavant." (5)
Mais, à part Elisabeth Badinter, l'hebdo Marianne, le Printemps républicain, la Licra, le Comité Laïcité République et quelques autres, les soutiens déclarés à Charlie Hebdo sont peu nombreux. Aujourd'hui, les prudents sont légion. Ceux qui ne veulent surtout pas choquer, ceux qui comprennent qu'on se vexe d'un dessin, ceux qui sont "Charlie mais", ceux qui pensent qu'on peut rire de tout sauf de la religion des damnés de la terre (6), ceux qui dénoncent, tel le président Macron, une "radicalisation de la laïcité". Tous ceux-là préfèrent se ranger de facto du côté du totalitarisme islamique plutôt que de la liberté d'expression et de conscience. La laïcité serait-elle radicale? (7) Y a-t-il une seule personne qui ait tué des milliers d'innocents au nom de la laïcité? Y a-t-il une seule personne qui, en son nom, ait massacré une rédaction entière? Y a-t-il une seule personne qui se soit fait exploser dans le métro pour venger le dieu de la laïcité? Y a-t-il une seule personne qui, pour défendre les valeurs de la laïcité, ait tiré à la kalachnikov sur des spectateurs dans un concert ou des consommateurs en terrassse de bistrots?
"La laïcité n'est pas un glaive, écrit Renaud Dély, mais un bouclier, un principe émancipateur qui permet à tous, croyants et non croyants, de vivre en paix dans le respect de l'autre. La laïcité ne saurait pas non plus se réduire à la seule liberté religieuse: elle garantit la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire, et dresse une frontière infranchissable entre le spirituel et le temporel, entre ce qui relève de l'intime et de l'individuel et ce qui a trait au public et au collectif." (8)

(1) Gérard Biard, "25 ans en première ligne", Charlie Hebdo, 27.12.2017.
(2) (Re)lire sur ce blog "Non (encore une fois)!",  21.11.2017, et "Non!", 18.11.2017.
(3) Riss, "Liberté d'expression, combien ça coûte?", Charlie Hebdo, 3.1.2018.
(4) Gérard Biard, "Bindé ou plombé il faut choisir", Charlie Hebdo, 3.1.2018.
(5) "En France, Dieu ne gouverne pas la cité", Marianne, 5.1.2018.
(6) Tous les autocrates et théocrates en terres musulmanes (tels les ayatollahs corrompus iraniens - la fortune de Khamenei est évaluée à 95 milliards de dollars) sont-ils des damnés de la terre? Quelle blague! Et pourquoi donc les monarchies pétrolières n'accueillent-elles aucun réfugié musulman qui fuie guerre et oppression?
(7) "Comme l'on voudrait être assez radicalement laïque pour ne pas accorder foi aux représentants des religions!", écrit Guy Konopnicki ("Je n'aime plus les débuts d'année", Marianne, 5.1.2018).
(8) Renaud Dély, "Plus que jamais soyons Charlie", Marianne, 5.1.2018.
A lire: le numéro de Charlie Hebdo de ce 3 janvier 2018 où les journalistes de Charlie, anciens et nouveaux, racontent leurs "trois ans dans une boîte de conserve", leur vie la peur au ventre, les menaces imbéciles dont ils restent l'objet, et aussi, parfois, leurs rires.
Post-scriptum: à propos du rassemblement organisé samedi à Paris en soutien à Charlie Hebdo:
https://www.marianne.net/debattons/billets/toujours-charlie-ce-qui-s-est-vraiment-dit-aux-debats-des-folies-bergere

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