dimanche 7 octobre 2018

La peste soit des pesticides

La campagne "Nous voulons des coquelicots" (1) a pris corps ce vendredi soir un peu partout en France. Des citoyens se sont réunis pour dire non aux pesticides. Ici, pour cette première, nous étions onze à nous retrouver sur la place du village pour envisager ce que nous pouvons faire pour arriver à nous débarrasser de ces poisons qui nous menacent tous.

Dans "Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu'est devenue l'agriculture" (2), le journaliste Fabrice Nicolino, à l'origine de cette campagne, s'adresse à Raymond, un paysan imaginaire, victime comme tant d'autres de la machine agro-industrielle qui a broyé les agriculteurs, asséché les sols, pompé les nappes phréatiques, vidé les campagnes, empoisonné les terres, l'eau et l'air. Il parle du "grand projet de maîtrise totale (de la Terre, cette rebelle à mater) par l'industrie humaine". Dans ce grand projet, les pesticides sont un outil parmi d'autres. Aux conséquences incalculées et incalculables.

Les paysans eux-mêmes sont les premières victimes de ces poisons dont ils ont abusé pour leurs champs. Cas parmi tant d'autres: Yannick Chenet est mort d'une leucémie en 2011, reconnue maladie professionnelle sept ans auparavant. Après sa mort, Caroline Chenet-Lis, sa veuve, s'est rendu compte qu'il avait utilisé 300 pesticides différents pendant sa carrière. Il avait 46 ans. "Personne ne se posait la question autour de nous. Et les coopératives et les marchands qui nous livraient à la ferme ont bien sûr complètement oublié de nous dire que leurs produits étaient dangereux." Ses confrères sont nombreux à être dans le déni: "Yannick était un homme en colère. Cela ne l'a pas empêché de très vite chercher à convaincre les agriculteurs qui autour de nous utilisaient des pesticides sans se protéger suffisamment. Il s'est alors heurté au refus de certains de reconnaître que ces produits étaient la cause de son cancer et en a été blessé." (3) Mais il a rencontré d'autres agriculteurs, eux aussi gravement malades. Ensemble, ils ont créé l'association Phyto-Victimes (4).
Et puis, il y a les autres, tous les autres, les familles, les voisins, les enfants des écoles, tous ceux qui respirent cet air empoisonné par ce qui est nous cyniquement présenté comme indispensable à notre nourriture. Ce qui nourrit nous tue.
Le nombre d'enfants nés sans mains ou sans bras dans l'Ain, en Bretagne et en Loire-Atlantique interpelle. Des "malformations congénitales graves" qui ne sont probablement pas dues au hasard, selon l'Agence Santé publique France. Toutes ces naissances ont eu lieu en milieu rural, là où on pourrait naïvement penser que notre santé ne peut qu'être préservée. L'enquête menée par l'Agence n'a identifié aucune cause et a été stoppée. L'épidémiologiste Emmanuelle Amar évoque, elle, "l'hypothèse, plausible à son sens, d'une exposition des mères à des pesticides ou des produits phytosanitaires, les sept cas recensés dans le département (de l'Ain) correspondant à des mères vivant dans un rayon de 17 kilomètres d'une zone agricole avec des champs de maïs ou de tournesols". (5)

Il y a urgence à en finir avec ce monde-là, avec cette industrialisation de la terre, de l'air, de l'eau, de la nature. Urgence à aider les agriculteurs à sortir du piège dans lequel ils se sont laissés enfermer par l'agro-industrie et son bras armé qu'est la FNSEA, le seul syndicat (à ma connaissance) à envoyer consciemment ses affiliés au cimetière.
L'agro-industrie, du haut de sa prétention, affirme être la seule à être capable de nourrir la planète. Elle parvient juste à la tuer. 
Alors qu'une solution existe - et existait bien avant l'agro-industrie: l'agroécologie. "Les preuves scientifiques actuelles, affirme Olivier De Schutter, qui fut rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l'alimentation (6), démontrent que les méthodes agroécologiques sont plus efficaces que le recours au engrais chimiques pour stimuler la production alimentaire dans les régions difficiles où se concentre la faim." L'agroécologie peut doubler la production alimentaire mondiale en dix ans. "A ce jour, les projets agroécologiques menés dans 57 pays en développement ont entraîné une augmentation de rendement moyenne de 80 % pour les récoltes, avec un gain moyen de 116 % pour tous les projets menés en Afrique." 
Fabrice Nicolino cite le rapport d'un colloque de la FAO en 2007 sur le thème "Agriculture biologique et sécurité alimentaire". Il en ressort, écrit-il, que cette agriculture est bonne pour la sécurité alimentaire, l'eau, les sols, la biodiversité. "Une conversion planétaire à l'agriculture biologique, dit le rapport, sans défrichement de zones sauvages à des fins agricoles et sans utilisation d'engrais azotés, déboucherait sur une offre de produits agricoles de l'ordre de 2 640 à 4 380 kilocalories par personne et par jour." Largement de quoi nourrir la planète et même au-delà, en conclut Nicolino. Alors, qu'est-ce qu'on attend?

En attendant, précisément, on peut signer l'appel "Nous voulons des coquelicots" sur https://nousvoulonsdescoquelicots.org
Nous sommes à ce jour 264 000 à l'avoir fait. Si chacun d'entre nous convainc cinq de ses connaissances d'en faire autant, qui elles-mêmes en feront autant, l'objectif de 5 millions de signatures sera vite atteint. Ce faisant, nous rendrons chacun conscient et responsable de ses actes et nous changerons tous nos pratiques. Parce qu'il y a urgence. Parce que notre vie et celles de nos enfants nous appartiennent.

(1) Lire sur ce blog "Nous voulons des coquelicots", 15.9.2018, et voir le site https://nousvoulonsdescoquelicots.org
(2) éditions Les Echappés, 2015.
(3) https://reporterre.net/Danger-des-pesticides-la-veuve-d
(4) www.phyto-victimes.fr
(5) http://www.francesoir.fr/societe-environnement/bebes-sans-bras-la-piste-des-pesticides-est-elle-credible
https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/le-mystere-des-enfants-sans-main-1538631911
(6) cité par Fabrice Nicolino dans (2).

P.S.: https://www.huffingtonpost.fr/2018/10/08/bebes-nes-sans-mains-yannick-jadot-accuse-les-pesticides-et-denonce-la-complaisance-des-autorites_a_23553991/?utm_hp_ref=fr-homepage
P.S.2: dans des vins du Bordelais, on a retrouvé jusqu'à 15 molécules différentes de pesticides par bouteille. La viticulture, qui représente 3% des terres cultivées en France, consomme 20 % des pesticides utilisés dans le pays (France 3, Journal, 8.10.2018, 19h30).

(Re)lire sur ce blog:
- "Ma terre dolorosa", 13.2.2018;
- "Perseverare diabolicum", 2.3.2016;
- "Adieu, veaux, vaches, cochons", 21.9.2015.





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