mercredi 31 octobre 2018

L'évangile selon Bolsonaro

Si d'aventure un évangéliste lisait ce billet, peut-être pourrait-il éclairer notre lanterne. On voit les évangélistes soutenir passionnément des prêcheurs de haine comme Trump ou Bolsonaro. On les voit, aux Etats-Unis, au Brésil, ces grands pays de migration, prôner l'usage des armes et le rejet de ceux qui fuient guerre et misère, des étrangers, des homosexuels, des juifs, de tous ceux qui ne sont pas comme eux. On a bien du mal à comprendre en quoi leur dieu les guide et en qui ou en quoi ils croient. On a longtemps entendu dire que Dieu était amour. 
Tous les évangélistes pensent-ils de même? On a beaucoup demandé aux musulmans de se distancier publiquement de ceux d'entre eux qui utilisent la violence au nom de leur religion, on aimerait entendre les évangélistes à ce sujet. 

Jésus, nous dit-on, est né dans une crèche, parce que ses étrangers de parents n'ont trouvé personne pour les accueillir. On avait déjà là une parabole: celle des migrants à qui on ferme la porte quel que soit leur état de détresse et la nécessité dans laquelle ils sont de trouver un abri. Plus tard, le même fils de Dieu a tenu des discours très clairs rejetant la violence et l'usage des armes.
Bon, d'accord, le principal message christique est excessif et inapplicable: y a-t-il une seule personne au monde capable d'aimer son prochain comme elle-même? On peut sans doute aimer une, deux, trois personnes (à peu près) pleinement. Mais tous les autres, même celles et ceux qu'on ne connaît pas, même les crapules les plus immondes, comment le pourrait-on? "Dans l'évangile selon Matthieu, rappellent Gérard Mordillat et Jérôme Prieur (1), Jésus enseigne: 'Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien! moi je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs' (Mt 5,45). Ce commandement paradoxal est présenté comme l'essence même du message de Jésus, son expression la plus haute, peut-être la plus sublime. Mais qui (...) peut aimer son prochain comme lui-même? Qui peut aimer son ennemi ou tendre la joue gauche lorsqu'il a reçu un soufflet sur la joue droite? Ce commandement d'amour est un commandement inapplicable. En aucun cas, il ne peut fonder l'éthique durable d'une société. Dès lors, les chrétiens vont se trouver écartelés entre leur volonté d'exalter leur idéal et le fait de s'y dérober sans cesse. Pour se libérer de l'insupportable tension créée par cette situation, ils ne trouveront d'autre échappatoire que la force. Comme pour se venger sur d'autres de ne pouvoir l'appliquer eux-mêmes, ils persécuteront, tortureront, extermineront ceux qui refusent le commandement d'amour ou veulent l'ignorer."

Les prêcheurs de haine, les claqueurs de portes, les briseurs de valeurs humanistes sont aujourd'hui portés par une vague politique dans trop de pays dans le monde et font beaucoup de vacarme, répercuté par les médias. Mais il est heureusement d'autres, beaucoup d'autres personnes par le monde, croyants ou non, qui, sans faire de bruit, sont capables d'accueillir ce prochain, sans se tenir tenu de l'aimer autant que soi. "L'hospitalité, explique l'anthropologue Michel Agier, est une forme sociale qui a pour fonction la médiation entre moi et l'autre, et, plus largement, entre la structure en place et les gens qui arrivent. Elle est ce geste qui dit à l'autre: tu n'es pas mon ennemi, qui fait de l'étranger un hôte dans une relation d'accueil et non un ennemi dans une relation guerrière." (2) Emmanuel Kant, souligne Michel Agier, considérait que l'hospitalité est indispensable si on veut la paix. Même si, c'est vrai, elle ne va pas de soi: "c'est une épreuve, reconnaît Agier. Oui, l'étranger qui arrive est un intrus, puisqu'il n'était pas là auparavant. Ce n'est pas un jugement de valeur, c'est un fait! Et, oui, c'est difficile d'accueillir chez soi une personne différente, dans son apparence parfois, dans son langage, sa culture, ses habitudes." Mais, affirme encore l'anthropologue, "on peut supposer que si le monde fonctionne à peu près, c'est grâce à l'hospitalité, cette forme sociale reconnaissant que nous sommes tous organiquement, objectivement, et qu'on le veuille ou non, solidaires les uns des autres". 
L'été dernier, le Conseil constitutionnel français a reconnu le principe de fraternité. Le philosophe Etienne Balibar appelle à un droit international de l'hospitalité. Michel Agier, de son côté, réfléchit avec une juriste à un principe juridique d'hospitalité, espérant qu'il soit reconnu lors de la Conférence intergouvernementale des Nations Unies sur les migrations qui se tiendra bientôt au Maroc.
Les vociférants, les Le Pen, les Salvini, les Trump, les Bolsonaro, les Orban, les Duterte, les Poutine, les Ben Salmane, les Erdogan, les Xi Jinping s'y opposeront et s'en moqueront d'autant plus qu'ils sont de plus en plus nombreux. "C'est la revanche de Hobbes sur Kant, écrit Anthony Samrani dans L'Orient-Le Jour (3). Le retour à un système international où les normes sont sans cesse remises en question et où seule compte la loi du plus fort."
Nous restera à nous citoyens à continuer, malgré leurs hurlements, à mettre en œuvre l'hospitalité. Ne serait-ce que par dignité. Et parce que les incroyants que nous sommes continuent à croire en l'humanité. Malgré les brutes.

(1) Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, "Jésus contre Jésus", Essai Points n° 610, éd. 2008, pp. 367-368.
(2) Télérama, 10.10.2018.
(3) "Un monde sans limites", L'Orient-Le Jour (Beyrouth), 24.10.2018, in Le Courrier international, 1.11.2018 (dans le dossier "Un monde de brutes - Trump, Bolsonaro, Salvini... Plus rien ne les arrête.)


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