mercredi 24 octobre 2018

Un ministre analphabète

La France n'a visiblement pas gagné au change avec son nouveau Ministre de l'Agriculture. Didier Guillaume estime que "c'est aux scientifiques de faire la preuve ou non qu'il y a des conséquences à l'usage des pesticides ou pas". Apparemment, il n'a pas encore découvert son nouveau domaine d'activité et ignore que des dizaines d'études ont déjà été effectuées à ce sujet et qu'elles s'accordent à affirmer le lien entre exposition aux pesticides d'une part et maladies humaines et perturbation de la bodiversité de l'autre.

Et certaines de ces études remontent à plus de cinquante ans. Dans Silent Spring, la biologiste américaine Rachel Carson dénonçait l'impact des pesticides. C'était en 1962. "Pour la première fois dans l'histoire du monde, l'homme vit au contact de produits toxiques, depuis sa conception jusqu'à sa mort." Avant de publier ce livre, elle l'avait fait relire par des sommités scientifiques, ce qui lui permettait d'affirmer que les pesticides de synthèse, au premier rang desquels le DDT, s'attaquent au vivant: insectes, oiseaux, humains. Et que le DDT est sans le moindre doute cancérogène. Il faudra attendre neuf ans pour qu'il soit interdit en France. Et aujourd'hui encore on en trouve des traces dans nos corps.
En 1963, l'ingénieur chimiste français Roger Heim - alors directeur du Muséum d'Histoire naturelle et un des fondateurs de l'Union internationale pour la Conservation de la Nature - s'indignait: "on arrête les gangsters, on tire sur les auteurs de hold-up, on guillotine les assassins, on fusille les despotes - ou prétendus tels -, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leur profit et à leurs imprudences?"
A moins d'être sourd et aveugle ou de se mettre la tête dans le sable, on connaît donc depuis des décennies le danger des pesticides de synthèse.
Ce qui n'empêchera pas l'industrie chimique de continuer à mettre sur le marché de plus en plus de produits extrêmement toxiques que les syndicats et les chambres d'agriculture présenteront comme autant de produits miracles pour la production agricole et sur lesquels se jetteront les agriculteurs comme la faim sur le monde. Certains d'entre eux mourront de ces miracles assassins.
Dans un rapport de 2010, l'Inra (Institut national de la Recherche agronomique), qui a longtemps soutenu divers pesticides, s'étonne: "L'autorisation d'utilisation du Curlone (note: un des noms commerciaux du chlordécone, insecticide mis au point en 1951) est surprenante. Comment la Commission des toxiques a-t-elle pu ignorer les signaux d'alerte  mentionnés précédemment: les données sur les risques avérés publiées dans de nombreux rapports aux Etats-Unis, le classement du chlordécone dans le groupe des cancérogènes potentiels, les données sur l'accumulation de cette molécule dans l'environnement aux Antilles françaises?"
Le chlordécone avait été interdit en France dès le début des années '90, mais avec des dérogations successives qui ont chaque fois prolongé les autorisations d'utilisation. Et donc de pollution. Ce qui amène Fabrice Nicolino à dire que "les bananeraies des Antilles et bien au-delà sont pourries pour des centaines d'années. Ce poison mettra en effet des siècles à se dégrader, tant est grande sa stabilité. Les Antillais détiennent le record mondial du cancer de la prostate - effet documenté de l'exposition au chlordécone -, et la région connaît des formes atypiques de la maladie de Parkinson." (1)

En 2003, le rapport de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) constatait que les pesticides favorisent les leucémies, les tumeurs cérébrales, la maladie de Parkinson, celle d'Alzheimer et d'autres encore. Ils affectent aussi la santé mentale (troubles anxieux et dépressifs), ce qui (c'est le rapport qui l'affirme) "pourrait, dans une certaine mesure, contribuer à expliquer les excès de suicides en milieu agricole observés dans de nombreux pays".
De son côté, Santé publique France mène actuellement une étude "sur l'imprégnation par les pesticides sur 2000 adultes et 1000 enfants". Les résultats ne sont pas encore connus, mais "nous avons déjà constaté, dit le directeur du département Santé environnement, une surexposition des femmes enceintes  par rapport à d'autres pays, notamment par les pyréthrinoïdes, qui sont des insecticides domestiques" (2).
Le journal Le Monde, dans son édition du 17 septembre 2018, a publié une enquête effrayante de Nathaniel Herzberg qui nous apprend que nous faisons face à une poussée sans précédent de champignons dangereux. Certains diminuent les récoltes de blé de 20% et en profitent pour tuer autant d'humains que la tuberculose. "L'industrie des pesticides fait des fortunes depuis des lustres, écrit Fabrice Nicolino, en vendant des antifongiques à tout-va. En provoquant au passage des phénomènes de résistance inouïs: les champigons finissent par muter et deviennent indestructibles. La faute à des traitements pesticides de plus en plus fous. Cet été, dans les vignes du sud, on a traité de 15 à 17 fois successives, contre 11 fois en moyenne. Le pesticide n'est pas la solution, mais le problème." (3) Les pesticides sont censés lutter contre la peste. Ils l'apportent et la développent.

Mais le nouveau ministre français de l'agriculture a des doutes. Il attend, les yeux fermés et les mains sur les oreilles, des preuves scientifiques. Combien de rapports lui faudra-t-il encore? Combien de malades, combien de morts? 
En attendant, signez et appelez à signer - si ce n'est déjà fait - l'appel "Nous voulons des coquelicots": 

(1) Toutes ces informations sont tirées de "Nous voulons des coquelicots", Fabrice Nicolino et François Veillerette, éd. Les Liens qui libèrent, 2018.
(2) Antonio Fischetti, "Les pesticides, la vraie peste", Charlie Hebdo, 19.9.2018.
(2) Fabrice Nicolino, "Le glyphosate - Il attaque aussi les abeilles", Charlie Hebdo, 3.10.2018.

(Re)lire sur ce blog:
- "Nous voulons des coquelicots", 15.9.2018;
- "La peste soit des pesticides", 7.10.2018;
- "Ma terre dolorosa", 13.2.2018.

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