jeudi 23 janvier 2020

D'un ex-idiot

Apprend-on de ses erreurs? Avoir été idiot dans une vie antérieure rend-il plus intelligent dans la suivante? Voilà les questions  que je me pose depuis j'ai lu dans Charlie Hebdo (1) que selon les anthroposophes "les taches de rousseur seraient le signe que vous avez été un idiot dans votre vie antérieure". Voilà: je suis un ancien idiot. Mieux vaut l'avoir été que l'être. Mais quand même, ça fait un choc de l'apprendre. Surtout à mon âge.
C'est un ancien adepte de l'anthroposophie, ce mouvement de plus en plus dénoncé, qui rapporte là ce qu'il a entendu. Les anthroposophes estiment aussi que "les femmes ne doivent pas se couper les cheveux trop court, car cela développerait leur agressivité".

Tout en se défendant d'être une religion, l'anthroposophie, basée sur les écrits de Rudolf Steiner qui l'a créée, considère que "la force du je en l'homme est conférée par une entité: le Christ" (2).
Ses adeptes considèrent qu'elle peut être "une aide précieuse dans les différents domaines de la vie". Par exemple, pour "soigner les hommes". Elle les soigne en les invitant à se passer de médicaments. Pas officiellement, mais ils sont proscrits dans les faits, explique Antonio Fischetti (1). "Les médecins anthroposophes croient en effet aux forces de l'autoguérison, ce qui signifie qu'il ne faut pas se soigner au sens classique du terme, c'est-à-dire intervenir sur la maladie pour la faire disparaître. Dans l'anthroposophie, la maladie est vue comme un message divin lié au karma." Vous tombez malade? Réjouissez-vous: vous arriverez ainsi à vaincre vos péchés. La maladie doit vous élever.
Un ancien adepte dénonce des traitements ineptes qu'il a vu prescrire autour de lui: des oignons frits dans l'oreille d'un enfant pour lutter contre une otite, des salades broyées dans une machine à 500 euros importée d'Allemagne pour soigner une dépression ou encore un massage des mollets pour faire disparaître des problèmes de dents. Et enfin, des injections de gui fermenté sur des tumeurs cancéreuses. Parce que le gui serait un être à la fois végétal et animal et qu'il peut agir sur le "corps éthérique" et le "corps astral" de chacun.
Tout ce gloubi-boulga anthroposophique serait risible s'il ne séduisait certains patients qui s'en remettent à ses solutions de druide aliéné.
Et on ne rit plus quand on apprend, toujours via Charlie Hebdo, que l'université de Strasbourg dispense des formations de médecine anthroposophique. Voilà qui "contribue à brouiller les repères entre raison et pensée magique", écrit Antonio Fischetti. On n'a pas besoin de ça, surtout dans le contexte actuel, où la pensée rationnelle recule de plus en plus devant les délires obscurantistes".

L'émission "Vox Pop" d'Arte de dimanche dernier (3) attirait, elle aussi, notre attention sur les dangers de l'anthroposophie. Plus précisément sur la diffusion de ses pratiques et rituels dans les écoles Steiner-Waldorf.
200.000 écoliers européens, 1% des écoliers allemands sont scolarisés dans ces écoles  qui prodiguent un enseignement alternatif. Elles entendent être des communautés de vie dans lesquelles s'impliquent enseignants, élèves et parents. Les activités manuelles y ont beaucoup d'importance. L'être est mis en avant, bien plus que le savoir. Jusque là, on applaudit. Mais on cesse de le faire quand on apprend que  ces écoles s'inscrivent dans la vision anthroposophique de Steiner, qu'un poème méditatif du maître est récité chaque matin par les élèves, que des rituels ponctuent la vie des enfants, telle la spirale, dans "une ambiance obscure et de chants liturgiques". 
En Angleterre, les écoles Steiner ont été mises sur la sellette récemment. L'une d'elles a été fermée et, suite à des inspections, les trois quarts ont été jugées inadaptées en termes de qualité de l'éducation, d'accueil des élèves handicapés et de sécurité. Dans certaines, des maltraitances physiques ont été constatées. Les témoignages s'accumulent, des parents dénoncent des dérives sectaires.
Une mère française explique que son enfant de trois ans a été invité à ne plus l'aimer pour, dit-il, "m'aider tout seul". Elle a été accusée par l'école "d'endommager le karma de (son) enfant pour l'avoir fait vacciner".
Cette doctrine, en lien direct avec les écrits ésotériques de Rudolf Steiner, n'est pas explicitée aux parents, constate Laurence Peyron, de la Miviludes, la Mission intergouvernentale française contre les dérives sectaires. Les enseignants reçoivent des formations avec des cours sur les anges, les démons, le Christ et le mal, le karma et la réincarnation. Quand on pénètre en Suisse, comme l'a fait "Vox Pop", dans le Gœtheanum, centre de l'anthroposophie, on est d'emblée confronté à une ambiance et des représentations d'un ésotérisme désarçonnant. La chambre mortuaire de Steiner, dont le visage est représenté sur une urne, est devenue un lieu de recueillement.
"Le professeur est là pour sauver les âmes des élèves, pas pour leur enseigner quelque chose, leur transmettre des connaissances ni leur apprendre à réfléchir", affirme un ancien adepte qui dénonce un embrigadement insidieux des élèves.
Bien au-delà de tout ce magma ésotérique, le reportage de "Vox Pop" fait apparaître combien l'anthroposophie est au centre d'une nébuleuse qui mêle écoles, fermes en biodynamie, cliniques, laboratoires pharmaceutiques et institutions financières.

Finalement, peut-être vaut-il mieux avoir été idiot dans une vie antérieure et ne pas se retrouver aujourd'hui dans "la race des bons". Il est vrai qu'on est alors dans "la race des méchants". Reste à assumer d'avoir été un idiot hier et d'être un méchant aujourd'hui.

(1) Antonio Fischetti, "Médecine anthroposophique - Esotérisme à la fac", Charlie Hebdo, 22.1.2020.
(2) https://anthroposophie.fr/anthroposophie/
(3) https://www.arte.tv/fr/videos/091151-002-A/vox-pop/




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