jeudi 2 juin 2022

L'urgence (à partir en vacances)

La planète va mal ? Ben, nous aussi.
Dans un dossier intitulé "Une saison en enfer", le Courrier international de ce jour explique que les tempêtes de sable étouffent les pays du Moyen-Orient, que les Pakistanais meurent de chaleur, que la Sibérie est dévorée par les flammes, que les Etats-Unis connaissent la pire sécheresse depuis douze siècles, que la famine guette la Corne de l'Afrique

Partout, les agriculteurs s'inquiètent des sécheresses qui se répètent. Les nappes d'eau sont beaucoup trop basses pour la saison. Les niveaux des rivières aussi. Vingt-quatre départements de France métropolitaine sont déjà soumis à des restrictions d'eau.
En Belgique (1), un agriculteur dit conventionnel estime que plusieurs de ses cultures sont en péril : haricots, épinards, carottes. Ses céréales s'en sortent, mais avec moins de rendement. Les betteraves poussent mieux. Mais il est obligé de faire des choix dans les arrosages et pense essayer des cultures plus méridionales. Un agriculteur bio dit s'adapter en choisissant des variétés résistantes aux sécheresses et en effectuant des rotations longues pour éviter l'épuisement des sols et casser le cycle des maladies et des mauvaises herbes.

Les sécheresses, les incendies, les tempêtes de sable, les famines, on en connaît la cause : le réchauffement climatique qui progresse sans cesse et sans que nous ne y opposions vraiment. Au contraire.
En France, le secteur du tourisme s'en est réjoui : dix millions de Français se sont offert des vacances durant le week-end de l'Ascension. Les autoroutes étaient bondées. Les compagnies aériennes ont rajouté des vols en urgence tant la demande était importante. Que du bonheur !
Dans Le Monde Guillemette Faure (2) se moque de celles et ceux qui sont bien conscients de la nécessité de changer nos habitudes, qui "ont été parmi les premiers à s’inquiéter du réchauffement climatique, à hurler contre les 4 × 4 en ville, à acheter leurs légumes dans une AMAP, à être capables d’effectuer un détour de 500 mètres pour aller jeter leurs épluchures dans le composteur du quartier", mais qui doivent continuer à prendre l'avion. "Les voyages, c’est leur « petit plaisir », disent-ils comme des végétariens reconnaîtraient craquer occasionnellement pour un burger. Après tout, est-ce si grave de prendre l’avion pour un week-end de trois jours dans une capitale européenne quand on apporte ses sacs en papier et ses bocaux au marché pour éviter les emballages ? " Ils ont bien sûr quantité d'explications et d'excuses : "on va faire autrement bientôt, mais en attendant on s’arrange comme on peut. Il faut que tout le modèle change. On prendrait bien le train, mais les TGV sont trop chers/trop pleins."

"Le mode de temporalité qui domine à l’intérieur de nos sociétés contredit le souci écologique non seulement parce que le temps y détient le monopole de la contrainte psychique légitime, mais aussi parce qu’en parlant d’urgence écologique, on pense en homologie avec ce que l’on condamne. L’urgence met sous pression. On agit en urgence devant la violence et la mort. L’urgence s’adapte donc parfaitement à la destructivité soft du consumérisme. Elle nous grise, mais ne rend pas le monde habitable." Voilà ce qu'écrit dans Libération Hélène L’Heuillet, psychanalyste et professeure de philosophie à l’université Paris-Sorbonne (3) L’idéologie fonctionnelle nous prive aussi de notre horizon mental, en rendant attractif un mode de vie seulement machinal. Elle s’oppose à toute évaluation normative des attentes à l’égard de l’existence personnelle et collective. La seule norme comportementale devient, dans ce contexte, de «bien fonctionner». La marginalité n’est plus tant déviance que dysfonctionnement. Dans cette logique de problem solving, l’écologie n’est qu’un «problème à résoudre» ; et c’est précisément ce qui empêche sa résolution. Un monde habitable n’est pas un monde fonctionnel, mais un monde où la vie vaut la peine d’être vécue." Il faudrait parvenir à "sortir de la culture de la consommation, qui avale tout", dit-elle encore.

Et pendant ce temps, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, respecte une de ses promesses de campagne des élections régionales : il achète les anti-éoliens. La région a accordé 170.000 euros à l'association Stop Eoliennes Hauts-de-France (4). Cette somme sera utilisée pour acter en justice contre des projets éoliens. Autant en emporte le vent.  L’opposition de gauche dénonce le caractère opaque de l’association et ses accointances climatosceptiques. Le jour de la délibération, constate Le Monde, la page Facebook de Stop Eoliennes Hauts-de-France relayait une vidéo intitulée « Le GIEC vous ment ». Bertrand, lui, comme tant d'élus et tant de citoyens, se moque de la planète. Après lui les mouches. S'il en reste.

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