mardi 21 juin 2022

Quel bazar !

Arno aurait pu le dire : la France, c'est un sacré bazar !
Le président Macron se retrouve sans majorité. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même : croyant que l'histoire se répète inévitablement, il a parié que les électeurs accorderaient leur confiance à son parti puisqu'ils venaient de le réélire comme président. Il n'a pas compris que les temps changent, que l'opinion publique ne lui est pas aussi favorable qu'il le pensait et que les extrêmes sont à la mode. Absorbé par ses fonctions de président de l'Union européenne et de chef de guerre, il pensait qu'elles suffisaient à rendre indispensable ses troupes et il n'a pas fait campagne. Résultat : le voici coincé  entre extrême droite et extrême gauche.

Jamais, dans le plus fou de ses rêves, la fille à papa Le Pen n'avait imaginé avoir quatre-vingt-neuf députés, près de dix fois plus qu'en 2017. Elle a visiblement compris que son pire ennemi, c'est elle, que s'exposer dans des débats, c'est faire la démonstration de ses limites intellectuelles et de son incompétence. Dès lors, elle se contente de sourire, de serrer des mains, de se faire photographier aux côtés de ses aficionados et de promettre que demain, avec elle, on rasera gratis. Et voilà le parti des grognons, des rétifs au changement, des tenants de l'identité française sacré premier parti d'opposition.

"Alors, au lendemain de cette élection gueule de bois, que va donc donner l’arrivée massive du RN à l’Assemblée nationale ?, s'interroge Natacha Devanda dans Charlie Hebdo (1) Que vont faire ces nouveaux élus du peuple ? Sans doute, ce qu’ils savent faire de mieux. Éructer et imposer les thèmes politiques. Hier dans les médias, demain dans l’Hémicycle. C’est aussi pour le parti de Marine Le Pen, sacrément mal géré et complètement endetté, un souffle d’air et une arrivée massive de pognon sous forme de subventions publiques. Et encore des collaborateurs, des bureaux et des salles de réunion. Voilà pour l’aspect matériel. Pour le reste, c’est pire. C’est le pouvoir de nuisance qui va être décuplé par la force de nos règles constitutionnelles." (...) "Il y a plus sûrement un risque de voir l’extrême droite s’emparer d’un poste de vice-président de l’Assemblée nationale, ce qui semblait inimaginable jusqu’alors en France. Les commissions spéciales ou d’enquêtes vont aussi leur être ouvertes. Leur temps de parole, donc de bourrage de crânes sur leurs sujets de prédilection, va exploser et, une fois par mois, ils pourront carrément donner le « la » à l’Assemblée nationale en fixant les sujets à l’ordre du jour, qu’il s’agisse d’un débat ou d’une proposition de loi."

Merci qui ? Merci, Macron qui avait promis de réduire les extrêmes lors de son premier mandat et de renouveler la démocratie, mais a gouverné en monarque. Merci à la droite dont certains élus ont banalisé l'extrême droite en la trouvant parfaitement fréquentable. Merci à la gauche qui semble avoir définitivement abandonné les classes populaires pour se perdre dans des combats communautaristes et obscurantistes qui font le jeu de cette extrême droite. Merci, les médias qui ont eux aussi banalisé les idées de l'extrême droite quand ils ne se transforment pas carrément en porte-voix de cette dernière. Il serait bon pour l'avenir de la démocratie que chacun s'interroge sur le rôle qu'il a joué dans cette ascension pas aussi inattendue qu'on veut le croire. (2)

En attendant, comment Macron II pourra-t-il gouverner la France ? "Les Français ne sont d’accord entre eux que pour dire non à Emmanuel Macron, pas pour dire oui à une alternative. Alors comment on fait ?, demande l'éditorialiste de France Inter Thomas Legrand (3). Dans une démocratie parlementaire, ailleurs en Europe, au vu de ces résultats, les forces politiques qui pensent pouvoir partager l'essentiel se réuniraient pour former une majorité après de longues semaines de négociations." Oui, mais la France n'est pas un pays où l'on a l'habitude de négocier, le mot coalition y est inconnu. "Forgés par des décennies d'affrontement, de tout ou rien, nos partis confondent toujours deux mots étymologiquement proches, mais en fait si éloignés : compromis et compromission. Un compromis, de toute façon, ne peut procéder honnêtement que d'une assemblée élue à la proportionnelle dans laquelle chacun sait que ce qu'il pèse dans l'hémicycle correspond à son poids réel dans le pays. Notre système électoral montre ses limites."

Certains observateurs font remarquer que le résultat des élections de dimanche place enfin le parlement au centre. Les élus vont devoir sortir d'un jeu stérile qui opposait jusqu'à présent majorité toute-puissante et méprisante et opposition coincée dans le rejet systématique. Il va falloir construire ensemble, au cas par cas. Les députés en seront-ils capables ? Certains annoncent déjà qu'ils n'aideront en rien le gouvernement, n'attendant qu'une chose : le voir tomber et revenir à de nouvelles élections. Avec une abstention encore plus forte ? 

(1) https://charliehebdo.fr/2022/06/politique/rn-ne-rien-faire-rien-dire-mais-simplanter-bien-profond/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_20062022_-_ABONNES&utm_medium=email
(2) Lire à ce propos la tribune de Dominique Sopo, président de SOS Racisme :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/20/politique-a-vouloir-surfer-sur-les-coleres-et-en-esperant-les-recuperer-sur-un-malentendu-on-contribue-a-banaliser-toutes-les-coleres_6131264_3232.html
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-lundi-20-juin-2022-1808509

Post-scriptum : https://www.huffingtonpost.fr/entry/macron-sans-majorite-a-lassemblee-peut-il-sinspirer-de-nos-voisins-europeens_fr_62b073ade4b06169ca9c1ffa

3 commentaires:

Anne-Marie Decoster a dit…

En 2017, Macron a créé un parti du ni ni, s'engouffrant dans une faille entre une droite et une gauche modérées sur le déclin. Il y a vu l'occasion de prendre le pouvoir car je pense qu'il est vaniteux. Il s'est approprié des électeurs traditionnels du PS et des LR qui ont vu en lui une alternative du style "si ça ne fait pas de bien, ça ne fera pas de mal non plus, votons au centre, il a l'air jeune et dynamique", et du coup, les deux partis se sont ratatinés. Résultat, les mécontents de son quinquennat n'ont plus eu d'autre choix que de voter aux extrêmes, vu qu'il n'y a plus que ça. Et voilà. Merci Manu, et bonne chance!

Michel GUILBERT a dit…

C'est vrai. Et comme en plus les écolos, les socialistes et les communistes se sont ralliés à Jean-Gourou Méluche, le choix était très restreint... Vive la diversité !

Anne-Marie Decoster a dit…

Mais oui, c'est ça! Un vote à l'extrémité, ou l'abstention