samedi 25 juin 2022

Ukraine : comment sortir de la guerre ?

La candidature de l'Ukraine à l'adhésion à l'Union européenne vient d'être acceptée par celle-ci. La procédure sera longue. L'UE exige des réformes sur sept points : réforme de la Cour constitutionnelle, poursuite de la réforme judiciaire, lutte contre la corruption, lutte contre le blanchiment d'argent, mise en œuvre de la loi anti-oligarchie, harmonisation de la législation audiovisuelle avec la législation européenne, modification de la législation sur les minorités nationales. "Nous devons être conscients, écrit Evropeïska Pravda, que nous ne pourrons entamer des négociations avant la fin de la phase active de la guerre, ce qui était connu. (...) La chose la plus importante, c'est que le processus est lancé." (1)

Quand et comment cette guerre pourra-t-elle prendre fin ? A Bruxelles, le Groupe du 24 février (constitué de chercheurs, journalistes, traducteurs, fonctionnaires nationaux et européens, militants des droits humains, citoyens engagés dans des coopérations avec l’Ukraine) constate que "ces derniers temps, les idées qu’il faudrait se résigner à une guerre longue et à des concessions territoriales de la part de l’Ukraine pour mettre fin au conflit circulent largement — provoquant des réactions indignées de la part des Ukrainiens, qui s’y opposent dans leur très large majorité". Le groupe salue la décision de Messieurs Macron, Draghi, Scholz et Iohannis de se rendre en Ukraine. "Comme ceux qui les y avaient précédés, ils ont pu constater de leurs yeux ce que vit l’Ukraine aujourd’hui."
Les membres du groupe affirment que "une occupation n’est pas qu’un fait géopolitique abstrait. C’est aussi et surtout une réalité humaine tragique. Nous avons tous en tête les meurtres, les tortures, les viols, détentions arbitraires, disparitions forcées, déportations et pillages infligés aux populations civiles dans les zones libérées de l’occupation russe (...). Des preuves ont déjà été collectées, des rapports sérieux publiés, et un travail titanesque est en cours pour continuer de vérifier, documenter, recenser ces crimes de façon aussi exhaustive que possible. Certaines informations sur les zones actuellement occupées depuis l’invasion du 24 février nous parviennent, comme l’existence de points de filtration, interrogatoires et disparitions."

Le Groupe du 24 février fait état des violences, des tortures, des privations de droit, des humiliations, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des restrictions à la liberté d’association, d’expression, de religion et de mouvement, des enrôlements sous contrainte, des confiscations de biens, des transferts forcés de personnes vers la Russie subis par les Ukrainiens, même les enfants. "Certaines pratiques à l'œuvre en Ukraine rappellent celles mises en œuvre lors des deux guerres de Tchétchénie menées par la Russie : bombardements massifs, opérations dites de « nettoyage », usage systématique de la torture dans les camps de filtration, exécutions extra-judiciaires. Elles ont été documentées de façon très précise dans de nombreux rapports d'organisations de défense des droits humains. (...) On assiste en Ukraine à la transposition d'un système bien rodé." Tout cela se produit "dans un contexte où le pouvoir russe nie l’existence de l’Ukraine en tant que Nation et tente de mettre en œuvre sa destruction."

Pourrait-on sortir de ce conflit grâce à des concessions territoriales, s'interroge le groupe ? "Par le biais de mensonges et de manipulations des faits, le pouvoir russe justifie l’agression de l’Ukraine en invoquant des arguments territoriaux, ethniques, linguistiques, historiques. La réalité est qu’il poursuit une politique d’agression dont il n’a pas fixé les limites, tandis que ni les discours ni les faits ne permettent de penser qu’il en fixera. Avoir laissé la Russie annexer la Crimée et amputer des états souverains (Ukraine, Géorgie, Moldavie) de territoires comme le Donbass, l’Ossétie du Sud ou la Transnistrie n’a en rien mis fin à sa politique agressive dans son voisinage. Au contraire, dans la vision du Kremlin, l’inaction de la communauté internationale vis-à-vis de chaque conquête territoriale est endossée comme un succès transitoire, un encouragement à préparer de nouvelles prédations. Dans ce contexte, toute concession territoriale offrirait à la Russie un tremplin pour la poursuite de la conquête de l’Ukraine. La Crimée a servi de base pour occuper Kherson et prendre Marioupol, et les « Républiques » auto-proclamées sont un avant-poste pour la prise du reste du Donbass."

Pour le groupe du 24 février, "seuls les Ukrainiens ont la légitimité pour décider de l’avenir de leur pays. Mais l’Union européenne et ses dirigeants seront inévitablement impliqués dans la définition des conditions de la paix, ne serait-ce que sur les questions des sanctions et des garanties de sécurité." Le groupe appelle dès lors les dirigeants européens "à toujours mesurer les conséquences humaines et sécuritaires de l’occupation russe dans les propositions qu’ils formulent et les décisions qu’ils prennent" et invite Emmanuel Macron, Mario Draghi, Olaf Scholz et Klaus Iohannis à tenir les promesses qu'ils ont formulées. "L’aveuglement et l’ambivalence des deux dernières décennies n’ont pas servi la paix. "

(1) "Tout reste à faire", Le Courrier international, 23.6.2022.
(2) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/06/22/pour-retrouver-la-paix-lukraine-devrait-elle-ceder-des-territoires-a-la-russie-ALHYS22FMNE4FK54OHEH4ECCJE/

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Merci pour ce relais bienvenu, Michel. J'avoue (en tant que membre du Groupe du 24 février) que l'avenir me fait peur, car je ne vois pas d'autre issue qu'une défaite de la Russie et un retour aux frontières d'avant 2014, ou alors une cession définitive du Donbass (entier) et de la Crimée à la Russie. Mais cette dernière "solution" est inacceptable pour les Ukrainiens, à la fois politiquement et militairement (les territoires conquis étant un tremplin pour une nouvelle invasion, comme l'explique notre carte blanche). Et la première inacceptable pour Poutine. Combien de temps les Ukrainiens vont-ils tenir ? Un de nos membres, qui fait une thèse sur la société civile et connaît très bien l'Ukraine, revient d'un voyage dans l'ouest du pays. Elle a fait un long exposé sur ce qu'elle a vu, entendu, compris. Sa crainte est le découragement de cette extraordinaire vitalité "horizontale" de la société en Ukraine. L'accès au statut de candidat est un "booster" pour eux, mais comment en sortir, en effet. Combien de temps vont-ils tenir dans ce pays à moitié ravagé ? Sans oublier que Poutine dispose d'autres tremplins, comme la Transnistrie et l'enclave de Kaliningrad (bourrée d'armement) pour menacer les Baltes. Et la Biélorussie, bien entendu... En attendant, c'est toute une génération d'Ukrainiens et d'Ukrainiennes qui est laminée.