lundi 10 octobre 2011

Laxisme libéral

Il est interdit d'interdire. C'était un des beaux slogans de mai 68. Et c'est en fait aussi un des plus beaux principes du capitalisme. Moins il y a d'interdits, plus on vend ce qu'on veut. Et qu'importent les modes de fabrication et les effets du produit vendu.
Le Danemark vient d'imposer une taxe sur les graisses dont on connaît les effets néfastes sur la santé. Elle sera de 16 couronnes, soit 2,15 €, par kilo de graisse saturée. La question d'une taxe similaire est posée en Belgique. Mais ne vaudrait-il pas mieux interdire tout simplement ces produits s'ils sont mauvais, voire dangereux? "Interdire totalement, cela n'a pas de sens, déclare le directeur général de la fédération de l'industrie alimentaire (1). Il ne faut pas dépasser certains niveaux qui mettent en danger la santé."
"Nos mentalités supportent mal un monde d'interdictions", rétorque en vis-à-vis le président du Conseil supérieur de la Santé, qui constate que, par ailleurs, " le plan sel de la ministre Onkelinx ne comprend aucune mesure coercitive pour diminuer la consommation de sel des Belges. Un objectif dans cinq ans a été fixé, mais librement consenti".
Bref, les responsables politiques peuvent faire des constats, formuler des suggestions, taxer des produits pour les rendre moins attractifs, mener des campagnes de prévention, mais ils ne supportent pas d'interdire. Business must go on. Et clientélisme aussi. Les politiques n'aiment pas interdire.
"Pourquoi le citoyen du XXIe siècle est-il devenu allergique aux solutions autoritaires?", demande François Brabant au directeur du CRISP (2). "Mon hypothèse, répond Vincent de Coorbyter, c'est que nous sommes tous devenus des libéraux. Nous sommes tous attachés à cette liberté d'aller et venir, de consommer, de choisir l'école que nous préférons pour nos enfants. La pensée libérale-libertaire est devenue notre idéologie à tous, le cadre mental implicite de nos existences." Il constate qu'aujourd'hui tout est possible, que les contraintes sont peu importantes, même s'il en coûte cher aux pouvoirs publics. Exemple: vouloir installer sa maison où bon nous semble entraîne une périurbanisation qui conduit à "de grandes difficultés" et des dépenses importantes pour les pouvoirs publics. Il rappelle que dans les années '30 de nombreux pays, dont la Belgique, "avaient obligé les banques à scinder leurs activités de crédit et d'investissement" pour protéger les citoyens et les entreprises. "Après le krach financier de 2008, ajoute Vincent de Coorbyter, cette idée a à peine été discutée. Comme si interdire était choquant par principe."
Les partis d'extrême droite se drapent volontiers de la liberté d'expression pour tenir des propos racistes, sexistes, négationnistes. Feignant de croire (et surtout de faire croire) que la liberté, toute liberté ne pouvait connaître aucune limite.
« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit», écrivait Lacordaire.
Si certains courageux avaient l'audace d'interdire certaines activités, on se permet une première suggestion: Secret Story pourrait disparaître des écrans de TF1 (et tant qu'à faire, pourquoi pas toute la chaîne?). On ne voit là qu'un invraisemblable instrument de crétinisation, avec des candidats qui concourent pour le prix de la vulgarité devant un public en délire.
Résumons-nous: la liberté peut être une notion très libérale.

(1) LLB, 4 octobre 2011
(2) Le Vif, 16 septembre 2011

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Supprimer les émissions stupides sur TF1 reviendrait à ne plus vendre à la pub "du temps de cerveau humain disponible" (selon les dires d'un ancien responsable de cette chaîne).
Des cerveaux de spectateurs risqueraient dès lors de réfléchir, discuter, critiquer, agir, d'être éduqués, ...
Vous imaginez un peu le danger d'une telle liberté de penser? :-)