mercredi 25 février 2015

Charlie, le retour

Les mercredis ne sont plus ce qu'ils étaient. Celui-ci n'est cependant pas comme les autres: Charlie Hebdo paraît à nouveau. Mais avec l'absence de tous ceux qui ont été massacrés à cause de traits de crayon et d'humour inaccepté. Et la blessure de celles et ceux qui doivent vivre avec ce massacre et ce manque des camarades.
On sait que ces assassins, stupides comme seuls des assassins peuvent l'être, ont raté leur projet: non, Charlie n'a pas été tué et quatre millions de personnes en France et ailleurs dans le monde se sont levées pour défendre la liberté d'expression.
Mais les mêmes assassins ont aussi gagné: comment continuer à faire vivre un journal qui s'est donné pour rôle de se moquer de tous les pouvoirs si ses journalistes et dessinateurs doivent vivre en permanence sous haute protection policière?
"Malgré les flots d'encouragement et de soutiens, écrit Riss dans son édito, on est cependant en droit de se demander qui a réellement le courage de mener ce combat. Car, franchement, qui a réellement envie de se battre pour le blasphème, qui a envie de défier le religieux, si c'est pour finir protégé par dix policiers 24 heures sur 24? Personne! Tout le monde a soutenu Charlie: "allez-y les gars, on est derrière vous!" Mais combien oseront dessiner et publier un dessin blasphématoire? Si peu. La foule soutient Charlie comme elle soutient le taureau dans l'arène. Car qui sait, un jour peut-être Charlie mourra, épuisé par les banderilles, sous les applaudissements admiratifs de la foule."
Philippe Lançon écrit de sa chambre d'hôpital, où il vit depuis un mois et demi, sous protection policière lui aussi. Il parle des assassins: "Je n'ai pas vu leurs visages ce jour-là, je n'ai même pas senti les balles qui me touchaient. Ils sont entrés chez mes amis, chez moi, sans y être invités, et ils ont tout cassé en installant leur folie au cœur de nos discussions, de notre amitié, de nos rires".

Quel lien ont-ils avec l'humanité ces humains qui massacrent pour des dessins qu'ils n'ont sans doute jamais vus, sûrement pas compris ou voulu comprendre? "Ils vont chercher leurs idéaux du côté de la religion au lieu d'aller les chercher du côté de l'humain", estime le psychanalyste Gérard Bonnet.
"L'islam ne progressera pas tant qu'il n'aura pas fait sa place à l'individu à part entière", estime un autre psychanalyste, Malek Chebel, "c'est-à-dire l'individu qui outrage, l'individu qui est outragé, l'individu qui blasphème, l'individu qui veut être agnostique, ou athée... Le jour où il reconnaîtra l'individu à part entière, créatif, inventif, désobéissant, l'islam aura fait un grand progrès dans la modernité. Ce qui l'en empêche, ce sont les religieux qui ont décidé de l'orientation doctrinale, philosophique, morale, spirituelle, de l'ensemble de la planète musulmane: ils ont peur de l'individu, car il représente un contre-pouvoir, qui pourrait entraîner la dissolution de leur pouvoir obscur."
Pour y arriver, il faut "revenir à la réalité de luttes sociopolitiques et culturelles", écrit la sociologue et écrivaine Chahia Chafiq, "qui, ici et là, soulèvent le problème du rapport religieux-politique au regard des idéaux démocratiques. Fondée sur la reconnaissance de l'autonomie des individus égaux et libres, destinataires et auteurs des lois, la démocratie, loin de n'être qu'un appel aux urnes, est un projet politique dont l'approfondissement  nécessite une collectivité affranchie de tout pouvoir sacré, intouchable".

Voilà pourquoi il faut que Charlie Hebdo continue à vivre: pour nous aider à rire du monde dans lequel nous vivons, à rire de nous-mêmes, à réfléchir, à montrer qu'on peut penser librement, sans fusil sur la tempe. A être des individus à part entière.
Vivement mercredi prochain!

(note: toutes les citations sont extraites de Charlie Hebdo de ce 25 février 2015. L'appel à s'abonner vient du blog de Tom Goldschmidt: http://tom-goldschmidt.blogspot.fr/)

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