mardi 28 novembre 2017

Un monde en noir et blanc

Créer une forme d'apartheid pour lutter contre le racisme. C'est la lumineuse idée d'un syndicat d'enseignants, Sud Education 93: travailler en ateliers non mixtes dans le cadre d'un stage d'antiracisme qui vise à déconstruire les discriminations raciales à l'école à travers une "analyse du racisme d'Etat" censé gangréner l'Education nationale (1). Et c'est elle, cette Education nationale raciste, qui paie ce stage organisé par des "identaristes racialisants". Au programme: des ateliers et "des conférences données par des tenants du communautarisme anti-républicain". 
Si plusieurs ateliers sont communs, quelques-uns sont en non-mixité. Les enseignants racisés vont partager des "outils pour déconstruire les préjugés de race, de genre et de classe". Faut-il entendre par là que ceux qui ont été contruits et pratiqués - y compris donc en matière de genre et de classe - par des enseignants blancs n'ont aucun intérêt? Et pourquoi aborder ces questions de genre et de classe en fonction d'un critère de race (notion que tout le monde semble d'ailleurs laisser à la seule vieille extrême droite qui n'a toujours pas compris qu'il n'y a qu'une seule race: la race humaine)? Dans la même logique, les ateliers devraient alors être non-mixtes, mais les critères de séparation étant alors ceux du sexe et des classes sociales et non de la couleur de la peau.
Que se passera-t-il si des enseignants classés dans un des deux groupes veulent participer aux travaux de l'autre? Les organisateurs s'opposeront-ils au dialogue, appeleront-ils la police?
Un autre jour, les enseignants racisés partageront leurs expériences dans un atelier intitulé "quelle vie professionnelle pour les enseignant-e-s racisé-e-s?" Pendant ce temps, les "enseignant-e-s blanc-he-s" vont "interroger nos représentations et nos postures dominantes". Etant entendu que tout blanc est forcément dans une posture dominante. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa!, voilà ce que nous sommes censés, nous, salauds de blancs, dire chaque fois que nous assistons non pas seulement à un acte raciste mais à toute différence basée sur une prétendue race.
Le racisme existe, c'est une réalité que personne ne peut nier et qu'il faut combattre chaque instant. Mais recréer une forme d'apartheid, faire croire qu'il y a d'un côté de pauvres victimes et de l'autre de sombres coupables qui doivent se battre la coulpe n'apportera aucune solution et aucune nuance dans un monde qui en manque de plus en plus. Le Ministre de l'Education a, évidemment, condamné l'organisation d'un tel stage, qu'il considère comme "inconstitutionnel et inacceptable", estimant qu'on y "trie les membres sur base de leurs origines" (2).

Le syndicat va-t-il distribuer des certificats de racisés et de blancs? Comment définit-on un racisé? En fonction de son nom, de la couleur de sa peau? Met-on les blancs d'un côté, les autres de l'autre? Mais comment définir un "blanc"? Quelqu'un qui a des ascendants européens et africains, ou asiatiques et européens, ou antillais et européens est-il racisé ou blanc? Il y a dans les couleurs de peau tant de nuances. Un de mes amis, aux origines siciliennes, passe facilement pour un Arabe. Un autre, belgo-belge, passe aussi bien pour un Belge que pour un Arabe, un Iranien ou un Juif. Et je connais des personnes d'origine syrienne, iranienne ou marocaine qui ont l'air aussi "blanches" qu'un blanc. Mais je suppose qu'il s'agit là de questions et de réflexions de blanc qui prouvent simplement que je le suis.

Au programme du stage figure une critique des programmes d'histoire qui "servent le roman national", l'islamophobie, la romophobie, la négrophobie et un exposé sur la blanchité (3). Se pencheront-ils, les racisés, sur les racistes parmi eux? Parleront-ils de l'esclavagisme pratiqué aujourd'hui par des Arabes en Libye où des noirs qui fuient guerre et misère sont vendus comme du bétail? (4) Dénonceront-ils ces pratiques qui se poursuivent depuis toujours en Mauritanie (5) et dans les monarchies pétrolières? Rappeleront-ils le rôle de tribus arabes dans l'histoire de l'esclavage?
On est toujours le raciste d'un autre. Notre monde n'est pas en noir et blanc, en pauvres victimes et en méchants coupables. 

Il existe des stages permanents pour combattre le communautarisme, la séparation entre les citoyens et la bêtise. Ça s'appelle l'école de la République.
Qui peut croire qu'on peut progresser en réfléchissant chacun de son côté?
C'est moi qui ne comprends plus ou ce monde devient totalement fou?

(1) "Stage raciste", Marianne, 24.11.2017.
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/11/20/jean-michel-blanquer-condamne-le-stage-antiracisme-non-mixte-dun-syndicat_a_23283106/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) "Des réunions de SUD séparent les profs blancs et les racisés", Le Figaro, 20.11.2017.
(4) http://www.lemonde.fr/international/article/2017/11/19/libye-cinq-questions-sur-les-centres-de-detention-de-migrants-et-les-conditions-de-vie-qui-y-regnent_5217123_3210.htm
(5) "Bien que l’esclavage ait été officiellement aboli en 1981 et qu’il soit reconnu comme un crime dans le droit national, des organisations de défense des droits humains, dont SOS Esclaves et l’IRA, ont régulièrement dénoncé la persistance de cette pratique." (Rapport d'Amnesty International sur la Mauritanie - https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/mauritania/report-mauritania/

Post-scriptum:
- lire "Cultiver son racisme", Gérard Biard, Charlie Hebdo, ce mercredi 29 novembre.
- et les réflexions de Jean-François Kahn sur les dérives d'une certaine gauche: http://www.huffingtonpost.fr/jeanfrancois-kahn/sur-l-emergence-d-une-gauche-neo-reactionnaire-et-neoraciste_a_23296523/?utm_hp_ref=fr-homepage


6 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Les évènements récents en Libye et au Maroc montrent à suffisance que le racisme et la traite des noirs ne sont pas l'apanage des "blancs". A vrai dire, la “sociologie critique” et le discours pénitentiel ont passé complètement sous silence (notamment !) la traite millénaire des noirs par les Arabes (et des noirs par les noirs, des blancs par les arabes, etc.), au point de censurer les historiens qui ont publié sur le sujet. Voir l’introduction du livre de l’historien (Sorbonne) Jacques Heers, “Les négriers en terre d’islam. VIIe-XVIe siècles”, Perrin 2003. On ne parlait que de la traite triangulaire - totalement odieuse, faut-il le dire ? - des blancs ontologiquement méchants . Mais le problème de ces arrangements avec les faits et des pratiques induites par ce “monde en noir et blanc” (excellent billet) est beaucoup plus vaste et risque de nous jouer un très mauvais tour. Comme le dit très joliment Gauchet, “La post-vérité est le rejeton adultérin du politiquement correct”.

Voir le dossier “La sociologie au risque du dévoiement” dans le dernier numéro de la revue Le Débat : http://le-debat.gallimard.fr/

Bernard De Backer a dit…

Complément : cette interview d'André Versaille, titrée «Les intellectuels de gauche se sont compromis dans le déni» (et il sait de quoi il parle !). Cela dit bien les choses, même si l'expression "le regretté Lénine" est ambigue. Serait-ce de l'ironie ?

C'est ici : https://www.causeur.fr/andre-versaille-intellectuels-gauche-phoques-148004

Michel GUILBERT a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Michel GUILBERT a dit…

Merci, Bernard De Backer, pour ces références. Je n'ai pas encore lu (mais je ne manquerai pas de le faire) le dossier sur la sociologie, mais j'ai lu l'interview d'André Versaille (que je ne connaissais pas) et je partage totalement ses propos. Je retiens aussi ce que dit Boualem Sansal: "nous sommes dans une société qui murmure, avec une incapacité à dire les choses". J'apprécie aussi la citation de Marcel Gauchet que vous citez dans votre premier commentaire.

Anonyme a dit…

Mon Cher Sénateur,
Le « Canard » du 22/11 s’est fait l’écho de ces conférences organisées par SUD (page 8). A force d’ « être pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour » (Pierre Dac), il était inéluctable qu’une singerie pareille arrive.
Dans la nomenclature zoologique, comme dans toutes les classifications actuelles, les races n’existent pas. Il s’agit juste d’une notion propre aux éleveurs (bestiaux, chiens, chats, …) qui définit quelques caractères génétiques stabilisés. C’est donc très subjectif et surtout commercial.
L’école de la république – française, j’imagine – a certainement de bons côtés, mais tant qu’elle prônera dans son hymne « qu’un sang impur abreuve nos sillons », je m’en méfierai tout de même.
Et pour conclure, je revendique mon droit au sectarisme : je préférence le Bordeaux au Bourgogne… bio bien sûr ! A la bonne vôtre !
Jean

Didier L. a dit…

Présicons que dans ces stages (cf. Les célèbres camps "décoloniaux") les femmes blanches ont la possibilité de rejoindre le groupe des "racisés", si elles sont voilées. La constitution d'un groupe de racisés modernes est donc plus subtile que dans l'Afrique du Sud de l'apartheid. On voit par là que le progrès ne cesse de progresser.