lundi 14 mai 2018

Occasion manquée

L'appel, publié récemment dans Le Parisien et signé par quelque trois cents intellectuels, dénonçant la montée d'un nouvel antisémitisme, a été beaucoup commenté. Il désignait un responsable: le Coran et ses passages appelant à tuer des Juifs et invité à se mettre à jour. Etait-il excessif? L'antisémitisme est à nouveau en augmentation dans nos pays, c'est une réalité violente qui rappelle des heures trop sombres et qui ne peut nous laisser indifférents.
De nombreux responsables musulmans se sont indignés. Il est hors de question de toucher une seule virgule du texte du Coran, qui est sacré et révélé, a déclaré Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman. D'autres parlent d'ineptie ou de blasphème (1).
"C'est sans appel et sans surprise, écrit Riss: le Coran, livre saint entre les livres saints puisqu'il a été dicté par Dieu Lui-même, excusez du peu, ne saurait tolérer la moindre critique, le moindre commentaire déplaisant, la plus petite remise en question. Il porte une parole immuable, intouchable, éternelle. Preuve que cette tribune, quoi qu'on en pense, a mis le doigt sur le problème."
Un spécialiste (dont j'ai oublié le nom) affirmait sur un site d'informations (désolé..., j'ai oublié) que ce sont les diverses versions du Coran qui posent problème. Qu'il faut se baser sur telle traduction dans laquelle on ne trouvera aucun appel de cette sorte. Mais pourquoi alors circulent d'autres versions et pourquoi sont-elles toutes utilisées quasi indifféremment, comme si chacune était sacrée? Le problème de ces textes sacrés résiderait donc dans leurs versions, traductions et interprétations multiples. Mais aussi, comme le souligne Riss, dans la lecture politique du Coran: "ceux qui s'y réfèrent ne le lisent pas comme une fiction fantastique, mais comme un livre politique. Dans le meilleur des cas, ils y voient une béquille existentielle, dans le pire, un mode d'emploi pour ordonner la vie collective". Comme tous les livres politiques, poursuit-il, il doit pouvoir être critiqué. "Son propos et ses implications doivent pouvoir être confrontés aux aspirations - et aux connaissances scientifiques - des sociétés contemporaines, qui ont le droit de l'ignorer, de le trouver inepte, d'un autre temps, aberrant, et même dangereux quand c'est le cas".
Philippe Lançon, lui, estime qu'il faut s'écarter de la lettre des textes et éduquer à la lecture critique: "les versets meurtriers du Coran ne sont pas plus le problème que les versets meurtriers de la Bible ou que certaines paroles de La Marseillaise: il y a beaucoup de fondamentalisme inconscient chez ces aimables pétitionnaires; comme chez ceux qu'ils dénoncent, ils accordent trop de valeur à la lettre des textes. Le seul problème est d'éduquer ceux qui les lisent, de leur faire sentir qu'ils appartiennent à la communauté démocratique, pour qu'en les lisant ils acquièrent le sens de l'Histoire, la distance critique et la conscience de la relativité des choses, plutôt que de devenir des tueurs antisémites" (2). Le problème, c'est qu'on a entendu bien peu de commentateurs musulmans précisément appeler à cette distance. La plupart ont préféré s'indigner de voir le Coran montré du doigt, sans inviter à une lecture interprétée et actualisée du (des?) texte. Et sans condamner l'antisémitisme.

Post-scriptum: euh, les imams, faudrait arrêter de vous indigner de ces accusations d'antisémitisme...
http://www.lalibre.be/actu/belgique/des-dizaines-d-imams-ont-ete-formes-avec-les-manuels-antisemites-5afc74b8cd70c60ea7063ab0

(1) "Le Coran révélé dans le marbre", Charlie Hebdo, 2 mai 2018.
(2) "Je ne signe pas", Charlie Hebdo, 2 mai 2018.
A (re)lire sur ce blog: "Antisémitisme, territoires et intelligence", 30.3.2018.

1 commentaire:

Grégoire a dit…

Je me souviens de m'être, au hasard d'une errance cathodique, un dimanche matin hivernal, sans doute, attardé sur l'émission « Source de Vie », présentée depuis 1962 par le rabbin Josy Eisenberg, disparu le 8 décembre dernier à l’âge de 83 ans. Ce jour-là, on y parlait de la genèse et de la création de l'homme au sixième jour. Oui, mais... que faire de l'australopithèque, par exemple? Les deux interlocuteurs envisagèrent une solution à ce "problème" : Il ne fallait pas comprendre l'apparition de l'homme préhistorique comme étant une création de Dieu finie, "prête à l'emploi", pourrait-on dire, mais envisager que Dieu a créé les conditions pour qu'une évolution d'un tel hominidé se fasse et qu'un jour, arrivé au degré d'humanité suffisant, et donc d'intelligence, celui-ci soit en mesure de recevoir Dieu comme son créateur. Cela pourrait paraître naif, mais j'ai trouvé cette interprétation "réjouissante" dans sa simplicité, toutes proportions gardées. On peut donc interprêter la Bible sur une chaîne de télévision publique et d'audience nationale sans que cela ne déclenche de manifestations violentes ou pire. Pour en revenir à cette occasion manquée, que de nombreux responsables musulmans se soient indignés qu'on puisse faire remarquer que dans leur livre sacré il y ait des appels au meutres, combien y en a-t-il qui s'indignent tout autant qu'on puisse tuer au nom de leur dieu miséricordieux...? Beaucoup l'oublie, mais le mot Islam signifie "soumis" et "résigné"...