Il s'était redressé. ll avait même tenu à témoigner debout à la barre aux procès des tueurs de l'équipe de Charlie Hebdo dont il était membre. Le 7 janvier 2015, il avait pris une balle de kalachnikov dans la moelle épinière et les médecins étaient convaincus qu'il ne pourrait plus jamais marcher. Ils ne le connaissaient pas encore. Ils ne connaissaient pas sa volonté et son humour salvateur. Il ne serait jamais une victime. Mais un survivant. Simon Fieschi vient de mourir à quarante ans. Il aura survécu près de dix ans à l'agression de ces prétentieux agressifs qui pensaient devoir venger leur prophète. Le webmaster de Charlie aura vécu près de dix ans de plus qu'eux. Dans une douleur permanente, mais avec un sens de l'humour intact. Ce dont témoignent tous ses collègues du journal dans les huit premières pages du dernier numéro de Charlie. Il n'arrivait plus à faire de doigt d'honneur. La bande de Charlie lui a promis de les faire pour lui : "dix ans de doigt d'honneur au terrorisme".
"Son humour, sa concision, sa tendresse sont toujours là", écrit Philippe Lançon. "J'aimais ses échappées de rire, son regard malicieux", confie Natacha Devanda. Lorraine Redaud salue "sa facilité à manier les mots. A l'oral, à l'écrit, en visio, devant un café ou un clavier, Simon était imbattable". Comme d'autres, Guiduch raconte comment Simon avait, au tribunal récemment, obligé Peter Cherif à regarder les images du massacre qu'il avait commandité. "Cherif s'était défilé. Il avait refusé de regarder ses crimes en face. Le masque tombait. Cette lâcheté, pour Simon, c'était sa victoire. Son sentiment, c'est qu'il avait défié son assassin en duel singulier et qu'il l'avait vaincu."
"Charlie n'oublie pas Simon ni les autres, écrit Biche. Charlie n'oublie pas non plus ceux qui ont oublié, et qui continuent de manger dans la main de ceux qui arment les kalachnikovs. Ceux qui alimentent le terrorisme par leur silence, par leur paresse et par leur lâcheté intellectuelle."
Simon Fieschi se rendait dans les écoles, parlait, avec pédagogie et humour, aux jeunes de la liberté d'expression, de la laïcité, du terrorisme. "Tu gardais espoir en tes frères humains", écrit l'éditrice Cécile T. "Tu étais celui qui rassemblait. Grâce à toi, l'humanité était un peu plus fréquentable".
Grâce à l'humour, le monde l'est aussi. Il faudrait le dire aux terroristes de tous poils.
Charlie Hebdo, n°1683, 23.10.2024.
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