lundi 12 décembre 2011

Tous frères?

On s'est déjà posé la question. On sait qu'on se la posera encore. L'islamisme, cette utilisation réactionnaire, conservatrice et souvent violente de l'islam, est-il compatible avec la démocratie? On pense connaître la réponse.
Jean-François Khan affirme que "demain, l'Internationale des Frères musulmans, ce socle de tous les islamismes politiques, dominera l'ensemble du monde arabe" (1). Il rappelle qu'ils ont remporté 40 % des suffrages en Tunisie, que leur section marocaine est devenu le premier parti du pays, qu'en Egypte, Frères musulmans et Salafistes dépassent les 60% des voix. Et d'autres pays suivront, pense-t-il: "en Palestine, le prochain scrutin, s'il a lieu, se soldera par un triomphe du Hamas, dont on oublie qu'il n'est, lui aussi, qu'une branche locale des Frères musulmans, et la Jordanie, si les élections y étaient vraiment libres, n'échapperait pas au phénomène". Il en ira de même en Libye. Et aussi en Syrie où "ce sont les islamistes sunnites les plus radicaux, aile immodérée cette fois des Frères musulmans, qui ont pris la tête de l'insurrection".

On peut espérer, comme Jean-François Khan, que l'islamisme connaisse la même évolution que celle qu'a vécue la religion catholique jusqu'à l'avènement de la démocratie chrétienne. Mais, à quel coût, en attendant, pour les citoyens - et surtout citoyennes - de tous ces pays?
Certains nous disent que l'islamisme modéré ne doit pas nous inquiéter, précisément parce qu'il est, ou en tous cas se déclare, modéré (2). En voici la preuve: "Les laïques veulent répandre le vice parmi ceux qui ont la foi. (...) Ils veulent que la perversion sexuelle se proclame publiquement. (...) Que celui qui porte en lui de telles immondices se cache, car s'il nous montre sa face, nous lui appliquerons les châtiments de Dieu." C'est Abdelilah Benkirane qui s'exprime ainsi modérément (3). Abdelilah Benkirane, leader du parti marocain Justice et Développement et futur premier ministre. C'est lui aussi qui pense que la monarchie parlementaire, réclamée par les jeunes Marocains, est "totalement inadaptée au royaume". Autre islamiste modéré: Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahda, premier parti tunisien. Il est d'extrême droite, estime Mohamed Sifaoui (4), "parce qu'il est d'abord de ceux qui rêvent de purifier une société. Il ne cesse par exemple de répéter que les Tunisiens sont musulmans. Tous? (...) Oser affirmer d'autorité qu'un peuple est musulman, c'est déjà mauvais signe". Sifaoui rappelle aussi que le même Ghannouchi affirmait, il y a quelques années, "que le monde allait être gouverné par l'islam". Le même pense que la loi de Dieu doit supplanter celle des hommes. Le même veut interdire le mariage avec "les dévergondées, les athées et en général les ennemis de l'islam". Le même Ghannouchi, nous dit encore Sifaoui, "expliquait, en 1991 déjà, qu'il fallait combattre l'athéisme".

Voilà donc les produits du Printemps arabe. Il n'est pas de rose sans épine, paraît-il. Mais y a-t-il des roses?
Jean-François Khan (1) pointe la responsabilité considérable des Occidentaux qui, après la colonisation, ont "diabolisé le nationalisme arabo-musulman (...), pour ensuite tenter de contrer le progressisme marxisant en soutenant un peu partout les réactions intégristes et fondamentalistes, comme le fit Ariel Sharon lui-même en jouant, dans un premier temps, le Hamas contre le Fatah". Et de regretter que ces démocraties occidentales, tout en soutenant des tyrannies corrompues, n'aient pas fait de la résolution du conflit israëlo-palestinien une priorité.
La devise des pays gagnés par le Printemps arabe et dirigés par les Frères musulmans risque d'être "Liberté - Egalité - Fraternité". Mais sans la liberté et l'égalité.

(1) Le Soir, 9 décembre 2011
(2) lire sur ce blog "Modérons-nous" (3 novembre) et "Encore un modèle qui s'effondre" (8 novembre)
(3) citations extraites de "L'islamisme nouveau est arrivé", Zineb El Rhazoui, in Charlie Hebdo, 30 novembre 2011
(4) "Ennahda, l'extrême droite modérée", Mohamed Sifaoui, in Charlie Hebdo, 16 novembre 2011

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Il y a aussi d'autres points de vue sur le sujet, plus optimistes.
Dans un article du Nouvel Obs (8-14 déc. 2011, p.65-67), intitulé "La galaxie islamiste", des chercheurs et professeurs sont interrogés sur les partis religieux qui ont gagné les élections en Tunisie, en Egypte, etc.
A la question de savoir si les islamistes sont solubles dans la démocratie, l'un des experts (Olivier Roy) estime que "le monde arabe est entré dans une phase post-islamiste. Quels qu'ils soient, les islamistes vont devoir changer leur logiciel et l'adapter à un cadre parlementaire. Plus personne n'est en mesure de revendiquer un monopole sur l'islam. Les salafistes ne peuvent plus, par exemple, délégitimer les Frères musulmans, sinon ils risquent d'être isolés au Parlement. Le champ politique est extrêmement diversifié et cela rend possible la démocratie."
Le journaliste ajoute "Pluriels, les islamistes se seraient convertis au pluralisme. Ils sont en effet morcelés en une multitude de groupes, de partis qui se livrent une concurrence farouche. Les Frères musulmans eux-mêmes, tout comme Ennahda, sont également traversés par de très fortes divisions."
Conclusion: pour gouverner, des alliances avec des groupes "situés hors du champ islamiste" seront préférées, selon un autre expert, Jean-Pierre Filiu.