mercredi 23 septembre 2015

Cachez ce dessin que je ne saurais voir

En ce début d'automne, l'homme s'interroge: comment se portent la bêtise et la haine? Mieux que jamais. Internet les aide à se faire entendre. Les réseaux pseudo-sociaux relaient les indignations, les coups de colère, les appels au meurtre des uns et des autres.
Voilà que Charlie Hebdo se sent obligé d'expliquer ses dessins tant ils ont choqué des âmes sensibles. Certains citoyens, depuis le 7 janvier, s'affirmaient Charlie. Devenus lecteurs, ils ne le sont plus, découvrant, à travers cet hebdo et ses dessins qui nous montrent la réalité par un autre bout de la lorgnette, combien le monde est cruel.
"Tout a commencé, nous dit Riss, directeur de Charlie Hebdo (1), par un dessin de la silhouette échouée du petit Aylan avec sur son dos un cartable, intitulé C'est la rentrée. Attribué à tort à Charlie Hebdo, ce dessin déclencha une première vague de protestations sur ces réseaux que l'on dit sociaux." Puis, poursuit-il, ce fut un dessin dont Riss lui-même est l'auteur: une représentation (pas une caricature) du petit Aylan tel que nous l'a montré cette photo devenu buzz, et derrière lui un panneau publicitaire sur lequel le clown Mc Donald annonce "2 menus enfants pour le prix d'un". Au-dessus du dessin, ces mots: si près du but... "Charlie fut aussitôt inondé de mails injurieux et même de menaces de mort, dit encore Riss, des trucs du genre: Dommage que les frères Kouachi n'aient pas fini le boulot". 
En page 2, c'est Luz qui donne une leçon d'analyse aux analphabètes de l'image: Le dessin satirique expliqué aux cons (et en particulier aux médias). Les mêmes médias qui se sont interpellés les uns les autres, pointant du doigt ceux d'entre eux qui n'avaient pas voulu ou pas osé montrer la photo, hélas depuis tristement célèbre. "Un rédacteur ou un photographe aurait le droit de témoigner de l'atrocité, mais pas un dessinateur?", interroge Luz qui avoue s'être senti jaloux du talent de son confrère: "il avait fait LE dessin, pointant du pinceau cette Europe riche, surconsommatrice, qui aura attendu d'avoir la médiatisation de la mort d'un enfant sur la conscience pour réfléchir enfin au sort des migrants".
Combien parmi les indignés, les Tartuffe scandalisés par le dessin de Riss pensent que les frontières doivent être fermées, que la France, la Belgique, la Hongrie, la Grande-Bretagne, l'Europe "ne peuvent accueillir toute la misère du monde", combien pensent que ce n'est pas leur problème ? (2) Combien prennent le temps de réfléchir avant de s'enflammer et d'aller jusqu'à appeler au meurtre? Oui, la haine se porte bien.
"L'humour noir des dessins de Charlie sur le petit Aylan n'est qu'une mise à distance, explique Riss, une manière d'ironiser sur nos indignations faciles et souvent sélectives." Les trop nombreuses photos, images et dessins de migrants morts diffusées dans la presse et les JT, parfois ad nauseam, ne nous ont pas ébranlés. Jusqu'à une image aussitôt sacralisée. "Mais ces cadavres avaient un défaut, dit Riss: c'étaient ceux de migrants africains, noirs et adultes", pas celle d'un enfant.  
Il nous apprend aussi qu'une association anglaise envisage de déposer plainte pour incitation à la haine raciale pour un autre de ses dessins: intitulé La preuve que l'Europe est chrétienne, il montre Jésus marchant sur l'eau (les chrétiens marchent sur les eaux) à côté d'un enfant qui se noie (les enfants musulmans coulent). Visiblement, le premier degré et les références à l'Europe chrétienne échappent aux membres de cette association. Oui, la bêtise se porte bien. 

(1) La peine de mort participative, Charlie Hebdo, 23 septembre 2015.
(2) Magnifique (?) dessin de Luz en une de Charlie cette semaine: Le Front national peut-il haïr toute la misère du monde? Et cette réponse de la présidente aux dents longues: chiche!

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