lundi 28 septembre 2015

Le beau et la bête

Deux articles presque en vis-vis, par hasard, et comme en recto-verso, dans le dernier numéro de Charlie Hebdo. L'un en haut de la page 13, intitulé "Archétype" et signé par Marie Darrieussecq. L'autre en page 12, intitulé "La vie des autres", chroniquant le dvd du fim "Une belle fin" d'Umberto Pasoloni et signé par Gérard Biard. 
Dans "Archétype", Marie Darrieussecq revient sur cette vidéo qui a tant choqué: on y voit cette cadreuse (camerawoman) faisant un croche-pied à un candidat réfugié qui court avec son fils dans les bras. Tous deux tombent au sol, l'enfant pleure. Ensuite, c'est à une petite fille, aussi candidate réfugiée, qu'elle donne un coup de pied dans la jambe. La femme, qui travaillait pour une télévision hongroise proche de l'extrême droite, a été licenciée. "C'est une mauvaise décision, prise dans un moment de panique", a-t-elle tenté d'expliquer. Des gestes réflexes en quelque sorte. On la voit un peu bousculée par la petite fille qui court en même temps que beaucoup d'autres personnes. Mais on voit aussi que c'est très consciemment et volontairement qu'elle fait tomber ce père et son enfant. Marie Darrieussecq s'interroge: "est-ce que j'ai ça en moi? Dans mon ADN humain? Est-ce que je serais capable de ça? Un croche-patte à un homme affolé, un coup de pied à une petite fille? Il y a des questions qu'on se pose sur le lâche et le héros en soi... mais ça?".
Le film "Une belle fin" nous amène à suivre un petit fonctionnaire londonien qui a "pour tâche de retrouver les proches éventuels de personnes décédées sans famille ni amis connus". A partir de ce qu'il trouve à leur domicile, il écrit des éloges funèbres qu'il sera seul à entendre. Ne pas laisser qui que ce soit s'en aller seul, l'accompagner, le faire exister jusqu'au bout, c'est le rôle qu'il s'est donné. "L'empathie, écrit Gérard Biard. C'est le premier mot qui vient à l'esprit pour définir l'étrange et attachant personnage de ce film à la mélancolie contagieuse. (...) Empathie qui va de soi, enfin, comme une évidence. (...) Ou l'histoire d'un petit bonhomme qui, parce qu'il est un petit bonhomme, justement, se conduit comme un grand monsieur."
Il y a cette femme qui a pour réflexe de faire tomber ceux qui essaient de sauver leur vie. Et il y a cet homme qui refuse de laisser les morts dans l'oubli. L'une est bien réelle, l'autre est un personnage de fiction. 
Les leaders d'extrême droite et des partis populistes et ceux qui les suivent  ignorent le sentiment d'empathie et ont des gestes réflexes agressifs à l'égard de ceux qui ne sont pas comme eux. Et il y a, heureusement, ceux pour qui ouvrir sa porte aux autres est une évidence. Ces derniers sont grands, souvent modestement. Les premiers l'ignorent du haut de leur suffisance, mais ils sont très petits. 

1 commentaire:

Grégoire a dit…

André Comte-Sponville, dans son livre "présentation de la philosophie", curieusement absent de sa bibliographie sur son site officiel, explique ce qu'est selon lui la morale. Fortement résumée, c'est un choix que l'on fait sans calcul, mû par sa conscience. Dans le cas de la cadreuse hongroise, elle a réagi sans se préoccuper des conséquences, et sans but initial. Elle l'a fait parce qu'elle en avait envie, et elle a fait un geste immoral au yeux de la Société. Eut-il été intentionnel, ce geste n'en serait pas moins ignoble. Néanmoins, c'est l'absence évidente de raisons et son côté "réflexe" qui le rend aussi inquiétant. Quant au héros "d'une belle fin", il agi également sans contrainte également, alors qu'il sait qu'il va perdre son travail, il va prendre de son temps pour aider quelqu'un qui ne pourra même pas le remercier. Donc, sans calcul...