lundi 19 octobre 2015

De l'art ou du cochon?

"Dieu hait Renoir", "Renoir ne sait pas peindre", ses œuvres sont du "terrorisme esthétique". Voilà quelques-uns des griefs que des manifestants ont affichés devant le Musée des Beaux-Arts de Boston, exigeant le retrait des peintures d'Auguste Renoir (1). Bien sûr, en ces temps de renversement des valeurs et d'avancée triomphante des réactionnaires, tout est possible. Mais à voir l'âge et la tête de ces quelques manifestants, on a du mal à croire au sérieux de leurs attaques et on sourit des réactions outrées que l'on entend en France et ailleurs (2). Est-ce de l'art ou du cochon? "Dans la vraie vie, les arbres sont magnifiques", estime le porte-parole du groupe. Tandis que chez Renoir, ce ne sont que "collection de gribouillis verts". Que dire alors des œuvres de Van Gogh, de Klimt, de Picasso, de Munch, de Dix, de Pollock et de tant d'autres? Et que penser des photos en noir et blanc qui nous montrent des arbres gris ou noirs?
Et si ces pseudo manifestants ne faisaient que souligner la bêtise des discours du Tea Party, des intégristes catholiques, juifs ou islamistes pour qui quasiment toute forme d'art doit être contrôlée, censurée, si pas interdite ou même détruite? Pour les déclinistes, qui se disent convaincus que "c'était mieux avant", jusqu'à quand ou à qui la peinture fut-elle acceptable? Jusqu'à l'impressionnisme, ou avant? Avant l'apparition de la perspective? Et la musique? Est-elle acceptable jusqu'à l'arrivée de Stravinsky? Ou de celle du jazz?
Pour un imam de Brest, c'est toute musique qui est condamnable. "Un péché, c'est ce qu'on est gêné de faire", dit-il dans un long speech aux allures de sketch (3). "Accepterait-on qu'Allah nous surprenne en train d'écouter de la musique? Non!" Donc, CQFD: la musique est un péché. Elle est excitante, dit-il encore et le diable s'exprime en chansons. "Combien sont morts en train de chantonner? Il n'y a pas de place pour l'amour d'Allah si ton cœur est plein de musique." C'est le même imam autodidacte, Rachid Abou Houdeyfa (4), qui affirme que les femmes doivent être voilées, rester à la maison et "ne pas se prendre pour des savantes". Voilà pourquoi il enjoint à leurs maris de leur interdire l'accès à Internet (5). On nous dit que, tout en étant rigoriste et fondamentaliste, il est cependant opposé au djihad, qu'il a appelé au calme après le massacre de Charlie Hebdo, condamnant "avec la plus grande fermeté des actes terroristes et lâches" (4). On veut bien le croire, mais quand on apprend que la police française a arrêté il y a plusieurs semaines, un jeune islamiste qui voulait commettre un attentat dans une salle de concert, on se demande s'il n'aurait pas pris au pied de la lettre cet imam en s'attaquant à un des repaires du diable.
Donc, Dieu hait la musique, Dieu hait Renoir. Heureusement que Dieu est amour.

Enfer chrétien, du feu. Enfer païen, du feu. Enfer mahométan, du feu. Enfer hindou, des flammes.
A en croire les religions, Dieu est né rôtisseur.
Victor Hugo (dans "Choses vues")

(1) http://www.francetvinfo.fr/monde/usa/etats-unis-des-militants-anti-renoir-manifestent-devant-un-musee-contre-le-terrorisme-esthetique-de-l-impressionniste_1118415.html

1 commentaire:

Grégoire a dit…

Et que penser des photos en noir et blanc qui nous montrent des arbres gris ou noirs? Qu'elles ont d'abord existé parce qu'on avait pas encore inventer les pellicules couleurs, et qu'ensuite celles-ci n'étaient pas à la portée de toutes les bourses, et que finalement de nos jours cela relève d'un partis pris esthétique, parfois dans le souhait de rendre l'ambiance d'un environnement un peu dramatique. A titre personnel, l'impressionnisme me laisse en général indifférent, même si je reconnais volontiers avoir été ému devant "Le moulin de la galette" de Renoir lorsque je suis allé visiter le musée d'Orsay l'année dernière. Indépendamment de la subjectivité inhérente aux conflits relatifs aux différents courants artistiques, je constate que l'impressionnisme, persécuté jadis par les peintres académiques, a presque fini par effacer le souvenir de ces derniers. A part une biographie, récente, de W. Bouguereau, pas grand chose à se mettre sous les yeux dans la boutique du musée d'Orsay. Celle qui se revendiqua jadis comme la plus grande librairie du monde - le Furet de Nord - n'en a pas beaucoup plus. Quant à Amazon, pour ne citer que ce site, le premier peintre à figurer dans les résultats à la recherche "peinture académique", c'est Dali... Bouguereau avait une grosse clientèle américaine et c'est d'ailleurs pour cette raison que la grande majorité de ses peintures se trouvent aux USA. Je souhaiterais juste que le courant académique cesse, en tout cas en Europe, d'être ostracisé. Ces représentants, Bouguereau, Gérôme, Cabanel, Breton, etc. ne le méritent sans doute pas. Ils faisaient certes partie d'un système (atelier, Grand Prix de Rome...), mais ils avaient une rigueur et un savoir-faire, et pour certains très conscients de cela, leur modestie dût-elle en souffrir, sans qu'elle soit la seule. Je me suis rendu sur la tombe de Bouguereau. Une tombe sobre, discrète, oubliée... J'attends impatiemment un retour en grâce de l'académisme, et tant pis si cela part d'un effet de mode.