lundi 12 octobre 2015

Représentants du peuple

Malgré la loi, ils cumulent les postes de ministre et de bourgmestre, mais croyez les sur parole: ils n'aiment pas cela. Ils n'en peuvent rien: c'est plus fort qu'eux, ils aiment se rendre utiles partout où on a besoin d'eux et ils aiment tellement leur commune qu'ils ne pourraient la laisser dirigée par un autre.  Et surtout, ils ont une vraie et grande vision stratégique pour leur ville.
Ils sont quelques-uns dans ce cas en Wallonie, Demotte, Magnette, Di Antonio, Prévot, Furlan, de cette génération qui allait renouveler les mœurs politiques et améliorer la gouvernance. En fait de renouvellement, on les a parfois vus revenir en arrière. Ainsi, dans ce qu'il faut désormais appeler la Wallonie picarde, le Parti socialiste a corrigé ses règles internes, n'interdisant plus à ses élus de choisir entre un mandat de parlementaire et celui de membre d'un collège communal dans une ville de plus de cinquante mille habitants. La règle freinait les appétits de certains.
Ceux-ci ont beau être ministres, ils entendent rester bourgmestres, bien que la loi le leur interdise. Ils ont inventé l'appellation de "bourgmestre en titre" pour remplacer celle de "bourgmestre empêché". On les voit partout dans leur ville, empêchés de rien et pêcheurs de voix, ils inaugurent le moindre pot de fleurs, la moindre fête de quartier, reçoivent les personnalités étrangères, interviennent dans les débats publics, ont un avis sur tout, laissant les basses besognes au bourgmestre faisant fonction, qu'ils ont parfois rebaptisé "échevin délégué à la fonction maïorale", histoire de bien faire comprendre qu'il n'y a qu'un seul chef et que la fonction ne se partage pas. Elle ne doit effectivement pas être partagée et tout ministre est formellement prié de s'effacer de la "fonction maïorale" le temps de son mandat. Mais les règles sont-elles vraiment claires?, demandent certains de ces insatiables élus qui affirment qu'on peut être au four et au moulin.
Le chef de groupe socialiste au Parlement wallon, Christophe Collignon, a appelé les ministres à se concentrer exclusivement sur cette fonction (1), mais les ministres-bourgmestres se défendent: la population locale, leur population, les a élus, ils ne peuvent décevoir leurs chers électeurs. Récemment, c'est le ministre socialiste Jean-Claude Marcourt qui déplorait "un déficit de transparence" à ce sujet, estimant que "un jour, il faudra se pencher là-dessus" (2). Son ministre-président, Paul Magnette, également "bourgmestre empêché" de Charleroi, estime que les règles ne sont pas toujours très claires et aimerait qu'elles précisent qu'il peut continuer à présider le conseil comunal, porter les insignes de la fonction, participer aux cérémonies officielles de sa commune. Le député Ecolo Stéphane Hazée dénonce là "une volonté de légaliser les arrangements pris avec la législation". L'interdiction pour un ministre d'être bourgmestre est déjà très claire, il rappelle que l'objectif du décret est d'éviter les conflits d'intérêt et d'amener les ministres à se consacrer à 100% à leur fonction.

Si le Parlement wallon se penche à nouveau sur les interdictions de cumuls, peut-être pourrait-il en profiter pour réfléchir à la limitation dans le temps de l'exercice de mandats politiques.
"J'ai été ministre à trente-deux ans, il y a seize ans, déclarait récemment (3) l'ancien Président du Conseil italien Enrico Letta. Seize ans, ça use les gens. J'ai dit stop, parce que je pense que c'est terminé les longues carrières politiques de quarante ans dans laquelle vous laissez le poste de premier ministre pour devenir ministre des Affaires étrangères, etc. Je me suis dit que la seule façon de parler aux gens, c'est l'authenticité. Et un politicien qui n'a pas de travail, pas de métier, c'est quelqu'un qui ne connaît pas la vie réelle. (...) Si vous n'êtes pas sur le terrain, les gens ne vous écouteront plus." Combien de mandataires ont le courage d'avoir une telle réflexion, et surtout de l'appliquer?
Ils sont nombreux dans nos pays celles et ceux qui n'ont jamais eu d'autre activité que des fonctions politiques, qui sont entrés en politique dès leur sortie de l'université et tremblent à l'idée de perdre leurs mandats et de devoir chercher un travail comme un citoyen lambda. 
Ils sont nombreux en Belgique, exemples parmi d'autres: une Onkelinx qui est parlementaire depuis belle lurette: vingt-sept ans exactement et qui a été ministre durant dix-neuf ans sans interruption; un Demotte qui est parlementaire depuis vingt ans et ministre non stop depuis seize ans; un Reynders qui est parlementaire depuis 1992 et ministre depuis 1999. Quel lien ont encore ces représentants du peuple avec celui-ci? Quelle activité professionelle et/ou associative et bénévole ont-ils ou ont-ils jamais eues? Quelle crédibilité ont-ils encore quand ils se retrouvent dans l'opposition?
Ils ont réponse à tout, ils vous répondent que c'est précisément le fait d'être en même temps parlementaire ou ministre et bourgmestre qui leur permet de connaître la vraie vie des vraies gens. L'unique moyen pour eux de connaître les gens, c'est de les représenter.

(1) http://www.lalibre.be/actu/belgique/quand-quelqu-un-est-ministre-ca-doit-etre-sa-seule-activite-estime-collignon-5579c7b935709a87ac8f73b6
(2) "La guerre des cumuls relancée", L'Avenir, 19 août 2015.
(3) Emission "28 minutes", Arte, 23 septembre 2015.

A (re)lire sur ce blog:
- "Nouvel aristo", 2 mai 2014;
- "Bourgmestres même pas empêchs de titre", 17 janvier 2013;
- "Abonnés à Cumul+", 28 àctobre 2011;
- et de nombreux autres billets à ce sujet.


2 commentaires:

Grégoire a dit…

Pendant ce temps-là, le citoyen lambda qui travail dans le privé n'a pratiquement jamais le temps de faire autre chose, un peu de politique par exemple. Alors en période électorale, s'il veut se faire élire... Et il existe certainement des catégories de fonctionnaires qui n'ont pas le droit d'exercer un autre métier. Et je serai curieux de connaître le nombre d'années nécessaires, comme député par exemple, pour avoir droit à une pension...

Michel GUILBERT a dit…

En réponse à Grégoire:
Une pension parlementaire complète, c'est vingt ans de mandats. Elle doit être très élevée...
Personnellement, sans avoir jamais eu le statut de fonctionnaire (j'étais contractuel), j'ai été forcé , parce que j'étais candidat au Parlement wallon en 1999, de prendre un congé sans solde à la RTBF, le temps de la campagne électorale. Alors que je n'étais même plus présentateur à l'époque. De mémoire, ça devait faire à peu près trois mois sans revenus.
Ceci dit, je pense que les fonctionnaires sont encore ceux qui sont le plus protégés pour envisager un mandat politique, parce qu'ils peuvent prendre un congé politique. Et donc retrouver leur emploi après leur mandat. C'est autre chose évidemment pour les indépendants. Et dans le privé, les pressions sont fortes pour qu'un employé ne soit pas candidat...
Reste l'option "tirage au sort de citoyens" que défend par exemple David Van Reybrouck (dans "Contre les élections"). J'y reviendrai.