vendredi 25 mars 2016

Padam Padam Algam

Les ignobles attentats de Bruxelles, comme tous ceux qui les ont précédés ailleurs, sont imbéciles à plus d'un titre. D'abord et avant tout pour leurs conséquences directes sur des vies humaines innocentes, ensuite parce qu'ils attisent la haine contre les étrangers, musulmans en particulier, et enfin parce qu'ils continuent à susciter chez les gentils un malaise qui les amène à s'indigner parfois plus des propos révoltés que ces actes provoquent que des actes eux-mêmes. (1)
En Belgique, des déclarations de Bart De Wever font scandale. Il a la rage, dit-il parlant des assassins, "que de tels gens nés ici agissent de la sorte, des gens qu'on a choyés toute leur vie, bien plus qu'ils ne l'auraient été partout ailleurs dans le monde". Il est furieux de constater que les suspects "continuent souvent à bénéficier de soutien au sein de leur propre communauté" (2).
Qu'y a-t-il là d'inacceptable? N'est-il pas légitime de s'indigner de voir certains de nos jeunes, éduqués dans nos écoles, massacrer aveuglément les leurs sans même que qui que ce soit n'en comprenne la raison? N'est-il pas normal de se fâcher de les voir ainsi tomber dans une folie meurtrière? Que faut-il faire? Se flageller? Les excuser? En faire des victimes et s'en prendre aux morts et aux blessés coupables d'être ce qu'ils sont (c'est-à-dire des gens de toutes  nationalités, de toutes origines et de toutes confessions qui, on peut le penser, vivaient dans le respect des autres)?
Il y a quelques jours, peu après l'arrestation de Salah Abdeslam, j'entendais un expert (était-ce sur France Inter? Sur Arte?) affirmer que oui, il y a une certaine omerta qui règne, que c'est tout simplement humain, qu'on ne balance pas ceux de sa communauté. Et c'est vrai que c'est ainsi partout et pas seulement chez les Corses, c'est ainsi chez les bourgeois, chez les cathos (voir ce qui passe dans l'église catholique avec les faits de pédophilie), chez les Gitans, sans doute chez les expat dans n'importe quel pays, entre les membres d'un même parti politique ou d'une même entreprise. Est-ce une honte de dire qu'on a tendance si pas à protéger  les siens, du moins à ne pas les dénoncer?
Hier, Tahar Ben Jelloun, qui n'a pas grand-chose d'un nationaliste flamand, dénoncait la responsabilité des parents des jeunes djihadistes (3). Les responsabilités sont partagées, dit-il, entre les pays où sont nés ces enfants de la troisième génération et leurs parents qui n'ont pas pu ou pas su leur transmettre des valeurs et une culture qui auraient été le barrage contre la barbarie". Il ne leur jette pas la pierre, les plaint, mais fait un constat, dit-il. Trop de parents "laissent faire la rue" et il rappelle que les assassins sont souvent d'abord des délinquants, "de la mauvaise graine" qui s'est laissé séduire par les discours pervers du djihadisme. "Les musulmans devraient prendre les choses en mains et réagir plus", estime-t-il. Va-t-il, lui aussi, se faire traiter d'islamophobe? Il y a, dans une certaine gauche (et je suis fatigué de le dire) (4) une volonté d'omerta qui dessert en fin de compte les musulmans. A quoi et à qui servent ces silences gênés qui sous prétexte d'éviter tout amalgame trouvent des justifications à l'islamo-fascisme? Ils font le lit de l'autre extrême droite.
Tout le monde doit se mobiliser, dit encore Tahar Ben Jelloun. Il faut une prise de conscience générale. Il en appelle à un travail pédagogique dans les écoles: "il faut enseigner la haine de la violence, la haine de la haine, arrêter d'en vouloir à l'Europe et aux musulmans paisibles".

A lire: deux billets intéressants sur le même sujet:
http://www.lalibre.be/debats/opinions/il-est-temps-d-arreter-la-complaisance-aveugle-envers-la-communaute-musulmane-56f5496a35708ea2d3e794ce
http://www.lalibre.be/debats/opinions/hamid-benichou-nos-responsables-politiques-avertis-par-mes-cris-et-mes-coleres-n-ont-pas-reagi-56f5582235708ea2d3e7b848

Post-scriptum (qui n'a strictement rien à voir mais peut faire sourire en ces jours noirs):
"je l'avais choisi parce que je n'avais pas trop le choix". Un vrai et beau commentaire d'un joueur de foot français à propos du numéro de son maillot qui est le même que celui de Johan Cruyff. (France Inter, journal de 8h, ce matin)

(1) Et j'ajoute qu'ils sont aussi imbéciles parce qu'ils m'amènent à faire ce que je n'aurais jamais imaginé faire un jour: défendre des propos de Bart De Wever, que j'ai tellement critiqué ici.
(2) http://www.lalibre.be/actu/belgique/de-wever-furieux-que-des-jeunes-choyes-en-belgique-ont-pu-commettre-ces-attentats-56f2ab2f35708ea2d3d73239
(3) France Inter, Journal de 13h, 24 mars 2016: http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1259143
(4) voir tout le débat qu'ont suscité récemment les propos de Kamel Daoud; (re)lire sur ce blog "Les fils des Joseph", 24 février 2016, et "Les fils des Joseph (suite)", 29 février 2016, et leurs commentaires.

9 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Parmi les réactions qui, de manièrre insidieuse, accusent la Belgique d'être peu ou prou responsable de ce qui lui arrive, vous avez ce billet du co-directeur de la Revue nouvelle, Christophe Mincke, publié le 24 mars, repris dans Le Monde.

Dans la RN, ce billet s'intitule "Innocente Belgique ?" : http://www.revuenouvelle.be/Innocente-Belgique

Et dans Le Monde "La légende dorée de la petite Belgique cache un racisme rampant" : http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/23/la-legende-doree-de-la-petite-belgique-cache-un-racisme-rampant_4888744_3232.html

Aurait-on eu l'idée de titrer, après les attentats du Musée juif de Bruxelles : "Innocents Juifs ?" et "Le mythe de la communauté juive persécutée cache une islamophobie rampante" ?

Admirez aussi le timing : en plein deuil national, être le premier à tirer sur l'ambulance pour faire le buzz...

Grégoire a dit…

Dans Charlie Hebdo du 16 mars 2016, dans un entretien d'une page complète, Jean Birnbaum (Un silence religieux, la gauche face au djihadisme, ed. Seuil...)rappelle que ceux qui commettent des attentats se réclament sans cesse de Dieu. Pas celui de tous, bien-sûr. Il rappelle également que si l'on évacue la religion comme causalité spécifique, on manque un aspect essentiel. C'est le dénominateur commun. Tahar Ben Jelloun peut bien rappeler que les terroristes sont souvent des délinquants, j'ai du mal à voir un rapport entre un vol à l'étalage et un attentat dans le métro. Face à la violence de néo-libéralisme, auparavant, il y avait le socialisme, le vrai, avec un projet de société. Depuis que les Français (et belges) se sont rendus compte que les socialistes au pouvoir prenaient des décisions de droite, certains se sont réfugiés dans une religion qui véhicule des valeurs de "solidarité" entre membres. Dommage que ce ne soit pas le boudhisme (qui n'est pas qu'une philosophie). L'IRA catholique ne posait pas de bombes contre des protestants en tant que tels, mais parce que ces derniers étaient les descendants des colons anglais, protestants... Des sourates posent clairement problème (appel au massacre des infidèles, etc.), mais qui (Tahar Ben Jelloun?) oserait les enlever du Coran? Bon, je m'arrête là, je commence un peu à m'énerver...

Bernard De Backer a dit…

Je ne crois pas du tout que l'islamisme djihadiste et ses variantes trouve sa source dans une réaction au néo-libéralisme. La source est un conflit interne au monde de l'islam et remonte aux années 1920 en Egypte et au Pakistan (et avant en Arabie-Saoudite). Les opérateurs d'ici ne sont que le vivier opérationnel de ce qui trouve son origine et son principal terrain dans le monde musulman (et pas seulement arabe). Voir l'excellent livre de Bouhalem Sansal, "Gouverner au nom d'Allah" (12 euros). Un bouquin très pédagogique et écrit par quelqu'un qui vit les choses de l'intérieur.

Le livre de Jean Birnbaum est en effet excellent et plus que bienvenu. Mais il a deux défauts à mes yeux : 1) ne pas tenir compte du contexte spécifique du monde musulman face à la modernité européenne (il n'y a pas de mouvements fondamentalistes chrétiens ou juifs en Europe, un continent très largement "sorti de la religion"); 2) faire une comparaison un peu facile entre les brigades internationales et Daech. Orwell doit se retourner dans sa tombe.

Michel GUILBERT a dit…

Ce matin, sur France Inter, Patrick Cohen recevait l'anthropologue et économiste belge Paul Jorion. Il lui a demandé, en introduction, s'il y a eu une défaillance politique ou sécuritaire. Réponse de Paul Jorion: "Non. Il y a peut-être eu un effort d'intégration des populations immigrées plus fort en Belgique. Et on en voit peut-être certains inconvénients: que des gens se sont sentis très à l'aise pour faire des choses hostiles à la société qui est leur hôte. Mais je ne vois pas d'erreur fondamentale."
C'est vrai que depuis pas mal d'années des personnes issues de toutes origines sont présentes dans les assemblées politiques et dans les médias, la société multiculturelle qu'est la Belgique s'est adaptée à tous les niveaux. Mais il faut croire que ce pays reste très judéo-chrétien dans son ADN: certains ont un goût prononcé pour l'auto-flagellation. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa!

Michel GUILBERT a dit…

A lire aussi les intéressantes réflexions d'Hamid Benichou:
http://www.lalibre.be/debats/opinions/hamid-benichou-nos-responsables-politiques-avertis-par-mes-cris-et-mes-coleres-n-ont-pas-reagi-56f5582235708ea2d3e7b848

Jean-Claude Dewinte a dit…

Le terrorisme, cette barbarie qui nie jusqu'à la propre vie de ceux qui la prêche et la commette est bien sûr l'occasion de céder à tous les excès de langage et d'ouvrir la porte à tous les amalgames. Certains ne s'en prive pas, hein Donald... mais comme on ne peut rien attendre de mieux qu'eux, on peut encore faire semblant de ne pas se formaliser. Mais d'autres, du côté de Varsovie, par exemple et parmi d'autres, par la voix de la Première Ministre Beata Szydlone ne se prive pas de faire allègrement l'amalgame entre migrants et terroristes afin de justifier la fermeture de ses frontières. A travers ce type de réaction se dessine de plus en plus clairement une Europe à deux visages, à deux réalités politiques et sociales : voyons à quoi ressemblent, sur l'échiquier politique,les gouvernements de ces nouveaux arrivés dans "le grand marché" (et sans parler de la Turquie) et comparons-le à ce qui devient de plus en plus clairement "la vieille Europe", nos pays que sont la Belgique, la France, etc... Une des résultantes de la situation des migrants et du terrorisme c'est ce clivage entre des Etats dits "forts" et nos vieilles démocraties. Vous avez dit : effet collatéral...

Bernard De Backer a dit…

Encore un mot. Le Monde du 27 mars publie un dossier sur le "djihadisme belge" dans lequel il y a une interview de la journaliste flamande d'origine marocaine, Hind Fraihi, auteur de "En immersion à Molenbeek" (publié en 2006 en néerlandais et... 2016 en français). L'interview et le livre sont vraiment très éclairants. On apprend notramment dans le bouquin que certains musulmans marocains non salafistes votent désormais Vlaams Belang, jugeant l'attitude des autorités belges trop "timorées face au phénomène". On y trouve aussi des propos pas piqués des vers de femmes marocaines sur "la discrimination et le racisme trop hâtivement invoqués comme excuse. Et par dessus le marché, les jeunes fainéants comme ceux-là sont encouragés par une kyrielle d'organisations multiculturelles et de mécanismes d'intégration." Bon, c'est Fatima qui le dit (pages 217 et 218 du livre).

Bernard De Backer a dit…

Une précision nécessaire, suite à la publication de l'info dans le blog : Fatima, évoquée dans mon commentaire précédent, n'est pas originaire de Molenbeek. Elle est, comme l'auteur Hind Fraihi, originaire de Flandre (le pays de Waas, exactement). Ce n'est donc pas une femme belgo-marocaine de Molenbeek qui fait cette déclaration. Hind Fraihi consacre un petit chapitre titré ironiquement "Fatima Dewinter" au phénomène, car Fatima est loin d'être la seule belgo-marocaine à voter pour le Vlaams Belang par dépit.

Ce phénomène n'est pas unique. Victimes plus qu'à leur tour des islamistes dont elles sont les premières cibles (parfois consentantes ou impuissantes), certains jeunes ou moins jeunes issus de l'immigration musulmane votent pour des partis qui ont un programme plus restrictif à l'égard de l'islamisme, voire de l'immigration en général. Dans ce dernier cas (j'en ai rencontré plusieurs lorsque je travaillais dans ce secteur), il y a aussi le motif de "fermer la porte" après eux, notamment pour protéger leur emploi et contenir la pression communautariste, voire intégriste.

Hind Fraihi explique assez longuement dans cette partie du livre comment elle a elle-même échappé au destin "communautaire" des autres jeunes femmes marocaines. C'était la volonté de ses parents de s'installer en dehors des grandes villes afin de ne pas s'enfermer dans un quartier-ghetto comme "Molem" (nom donné à Molenbeek par les jeunes d'origine marocaine).

Michel GUILBERT a dit…

Merci pour ces précisions. Je vais me procurer le livre.