lundi 28 mars 2016

Répugnante manifestation et saine colère

Face à la violence aveugle, ils sont venus cracher leur haine. Hier après-midi à Bruxelles, plutôt que le recueillement à la mémoire des victimes innocentes, ce fut - un moment - la haine pour dire non à la haine, la bêtise pour s'opposer à la bêtise, des fachos pour contrer des fachos. L'extrême droite djihadiste gagne si l'extrême droite blanche tente de s'en prendre à la démocratie. Bart De Wever, jamais avare de commentaires et de critiques, s'est tu dans toutes les langues, contrairement à ses collègues présidents de partis démocratiques. Il ne veut pas "faire de la publicité aux hooligans". Si le contexte n'était pas aussi dramatique, on rirait d'une excuse aussi hypocrite.
Il y a cependant largement de quoi être en colère contre ces nihilistes qui assassinent sans scrupules et il faut cesser de trouver des justifications à ces enfants perdus de la république ou du royaume qui n'auraient pas été assez intégrés par nos sociétés. Leurs confrères en dieu qui ont tué hier au Pakistan septante-deux personnes, dont la moitié d'enfants, dans un attentat suicide, ceux qui ont tué quarante-sept personnes au sud de Bagdad au début du mois, tous ceux qui assassinent un peu partout à travers la planète, qu'ils se réclament de Daesh, de Boko Haram ou des talibans, s'en prennent à l'autre, qu'il soit chiite, sunnite, chrétien, juif, athée, européen, africain, asiatique ou américain. Ce n'est pas d'intégration à la société européenne qu'ils manquent, mais de réflexion, d'intelligence, d'ouverture. En un mot, d'humanité. C'est l'autonomie qui leur fait défaut, eux qui tombent si facilement sous la coupe de prédicateurs qui leur disent que "c'était nous les radicaux extrémistes, parce que nous prenions les lois démocratiques trop au sérieux. Pour qui c'était la souveraineté d'Allah qui devait régner, pas la démocratie" (1). C'est ce que rapporte la journaliste Hind Fraihi dans son livre "En immersion à Molenbeek", sorti en néerlandais en 2006 et tout récemment seulement en français. On y lit, me dit un correspondant (2), que des Belges musulmans non salafistes en arrivent à voter pour le Vlaams Belang, jugeant l'attitude des autorités belges trop "timorée face au phénomène" djihadiste. Fatima, habitante de Molenbeek, fustige "la discrimination et le racisme trop hâtivement invoqués comme excuses. Et par-dessus le marché, les jeunes fainéants comme ceux-là sont encouragés par une kyrielle d'organisations multiculturelles et de mécanismes d'intégration".
Hamadi, qui est l'auteur et avec son fils Soufian l'un des deux acteurs du remarquable spectacle "Sans racines et sans ailes" (3), n'utilise pas la langue de bois avec ces "jeunes fainéants" devenus assassins. Dans sa "Lettre ouverte à tous les connards - Dégage, terroriste!", il les traite de "lâches", de "traitres", de "tas de cloportes". Et cette colère-là fait du bien. A lire sur
 http://www.lesoir.be/1160584/article/culture/2016-03-23/hamadi-degage-terroriste-lettre-ouverte-tous-ces-connards


Post-scriptum: intéressant article de Libé sur la manif des hooligans:
http://www.liberation.fr/france/2016/03/29/comment-les-identitaires-belges-instrumentalisent-le-milieu-du-foot_1442622

(1)
http://www.marianne.net/hind-fraihi-nous-avons-collectivement-nie-ce-qu-il-se-passait-quelques-minutes-du-centre-ville
(2) lire les commentaires de mon billet "Padam Padam Algam", 25 mars 2016.
(3) https://www.youtube.com/watch?v=lUf78ZGQATQ

4 commentaires:

Berbnard De Backer a dit…

A tort ou à raison, je ferais attention à l'utilisation de notre terminologie politique européenne pour qualifier des mouvements qui lui sont étrangers, parce qu'ils appartiennent à une autre univers linguistique, culturel et religieux, mais aussi à une autre dynamique politique. Ainsi, qualifier le djihadisme islamiste d'"extrême droite" me semble peu éclairant. Dans notre univers, extrême droite renvoie à des mouvements ou partis souvent détachés du religieux, parfois "païens", avec une connotation paramilitaire ou pour le moins brutale et musclée, et surtout nationalistes. On pourrait affiner beaucoup plus l'analyse, mais ce n'est pas le lieu ici.

Le djihadisme islamiste quiétiste ou violent est-il d'extrtême droite ? Je n'en suis pas convaincu, car la mouvance est internationaliste, religieuse et révolutionnaire (au sens descriptif de renversement du régime établi). Par ailleurs, de nombreux mouvements d'extrême gauche (comme le NPA en France) ont fait alliance avec l'islamisme (imaginant que le "religieux" allait fondre comme neige au soleil une fois la "révolution" advenue), autant en Europe qu'en Iran, par exemple. Ainsi, en Iran, des groupes marxistes sont passés avec armes et bagages du côté de la révolution après 1979. L'égérie du PTB, Nadine Rosa Rosa, est devenue (je ne sais où elle en est aujourd'hui) sympathisante du Hezbollah ("Le parti de Dieu") au Liban et en Syrie. On n'a, que je sache, assez rarement vu des aliances entre extrême droite et islamistes.

Michel GUILBERT a dit…

Effectivement, il n'y a aucune alliance entre extrême droite et islamisme, pour des raisons sans doute racistes et nationalistes.
Cependant, et même si la comparaison est peut-être "grossière", je trouve qu'on retrouve chez les djihadistes une logique d'extrême droite: fonctionner en organisation militaire (Daesh, Boko Haram, talibans, etc.); vouloir à toute force, par la violence, imposer ses idées, ses "valeurs", sa manière de vivre; cibler les juifs; pratiquer des attentats aveugles, de masse (vieille pratique de l'extrême droite, comme, par ex., l'attentat de Bologne, en 1980, si je me souviens bien). L'extrême gauche, elle, a plutôt eu l'habitude d'assassiner de manière ciblée, en s'en prenant à des personnalités des monde politique et économique (Aldo Moro, Hans-Martin Schleyer, etc.).
Les rapprochements entre extrême gauche européenne et djihadisme partent d'un postulat assez court, me semble-t-il: pour dire les choses rapidement, l'islam est, pour ses militants, la religion des pauvres, et la colonisation et le néo-colonialisme sont à la base du maiaise "entendable" des musulmans. Peut-être effectivement les terminologies européennes ne sont-elles pas pertinentes en l'occurrence. Mais je trouve qu'il faudrait pouvoir plus démontrer à la fois le caractère nauséabond (et les contradictions, du moins théoriques) des liens entre extrême gauche et islamisme et les logiques semblables qu'on retrouve entre celui-ci et l'extrême droite.

Michel GUILBERT a dit…

Suite de mon commentaire d'hier.
Dans son dernier billet sur son blog (1) (https://carolinefourest.wordpress.com) (désolé, je ne sais pas pourquoi les adresses ne sont pas actives dans les commentaires - ?), Caroline Fourest revient sur des conférences qu'elle a données à l'ULB.
En 2007, elle était venue parler du "Choc des préjugés". Elle fut régulièrement interrompue et insultée par "des étudiants proches de Dieudonné, de l'extrême droite turque et de Tariq Ramadan". Ce qui démontre, me semble-t-il, ces alliances troubles entre islamisme et extrême droite. Dieudonné est d'ailleurs un exemple de la confusion entre extrême gauche et extrême droite. Après avoir présenté à Dreux une liste anti-FN, le voilà copain comme cochon avec le père Le Pen, et son antisémitisme maladif est un des pires symptômes de l'extrême droite.
La seconde conférence de Caroline Fourest à l'ULB ne put avoir lieu à cause "de militants gauchistes et islamistes surexcités".
Etranges "gauchistes" qui empêchent qu'on débatte de l'extrême droite!

Au-delà de ces questions de définition de l'islamisme et de ses troubles soutiens, ces tentatives de censure mettent quand même à mal l'image de cette gentille Belgique, si tolérante, si accueillante, quand on voit que dans l'université de la libre pensée, on ne peut développer des réflexions démocratiques... Il est vrai que, on y revient, la censure est une des pratiques favorites des régimes totalitaires, d'extrême droite comme d'extrême gauche.

(1) "Le kamikaze, l'ULB et quelques souvenirs...", 27 mars 2016.

Bernard De Backer a dit…

Un petit complément en espérant ne pas abuser.

Je pense que ce qui réunit islamisme, extrême droite et extrême gauche, c'est le refus de l'autogouvernement des sociétés par elle-même, c'est-à-dire la démocratie. Et ses différents corollaires (égalité, autonomie, libertés individuelles, etc.). C'est assez clair pour l'islamisme et l'extrême droite, mais souvenons nous du mépris de toute une gauche de la gauche pour la "démocratie bourgeoise". Je ne suis pas du tout certain que le PTB soit un parti démocratique, ni dans son fonctionnement ni dans son logiciel. Le livre de Pascal Delwit me semble assez clair sur le sujet, et il ne faut pas remonter très loin pour voir le PTB discrètement en réunion avec le Parti des Travailleurs de Corée du nord...

Mais ces mouvementes ne se situent pas sur le même axe temporel et géopolitique que l'islamisme. Ce dernier (et ses variantes...) est le fruit de sociétés encore profondément imprégnées par la religion dont il manifeste une réactivation fondamentaliste face aux dangers de la modernité exogène (venue d'Europe, l'ancien colonisateur - le second après l'Empire ottoman). C'est une tentative désespérée d'échapper à la modernité politique extérieure en voulant imposer la loi d’un Dieu autochtone. Les "extrêmes" européens appartiennent à une autre couche historique. Ils sont les enfants de la "sortie de la religion" qui ne font plus référence à la transcendance divine mais bien à une transcendance immanente (Sens de l'Histoire, Nature du Peuple...) qui leur tient lieu de point d’appui Absolu.

La démocratie est un régime qui est fondamentalement celui de l’incertitude, du compromis, du manque d’appui, du bricolage, de la mélancolie (au sens du deuil jamais achevé de la perte du fondement). Ce n’est pas très sexy, d’où la force d’attraction de la « radicalité », glorieuse pour certains, mais qu’ils finissent par faire payer très cher aux autres et à eux-mêmes. Je pense que nous en sommes progressivement sortis, et que la radicalité islamiste est un produit d’importation