mercredi 2 mars 2016

Perseverare diabolicum

Les agriculteurs n'en peuvent plus. On peut comprendre leur désespoir, mais on ne peut s'empêcher de se demander comment ils ont pu en arriver là aujourd'hui. La FNSEA, leur syndicat productiviste, se plaint de la surproduction qui tue les marchés. Mais c'est lui qui pousse les paysans à s'endetter toujours plus pour produire toujours plus. Cherchez l'erreur. Qui n'a pas compris que depuis des décennies cette agriculture productiviste, encouragée par un des syndicats les plus cyniques et capitalistes qui soit, va dans le mur ? Cette agriculture devenue industrie qui produit des céréales, de la viande et du lait comme d'autres fabriquent des clous, des tuyaux en plastique ou des fers à repasser, cette agriculture s'est détachée de la terre pour partir en spirale dans le gigantisme. Des superficies toujours plus grandes, arrosées de pesticides et gérées par des engins monstrueux pour produire toujours plus (et même trop) de produits de faible valeur alimentaire et à moindre coût.
Comment comprendre que dans cette Europe en surproduction on voit encore aujourd'hui se créer des fermes des mille vaches, des mille veaux et autres délires industriels? (1)
Les paysans devraient traduire la FNSEA en justice, estiment le géographe Gilles Fumey et le philosophe Olivier Assouly (2) qui dénoncent ses reponsabilités et celles de son président (qui a ses intérêts à lui dans une agro-industrie mortifère) dans cet immense échec.
Qui est responsable en premier lieu de cette situation sinon le secteur agricole lui-même, embarqué dans une équipée suicidaire? "On est dans une crise structurelle, au bout du modèle productiviste", affirme Laurent Panitel, porte-parle de la Confédération paysanne (2). Il rappelle que les dix milliards d'euros alloués chaque année par la PAC vont en très grande majorité à l'agriculture productiviste. Celle-là même qui est en crise grave. Il faut "faire tomber cet argent sur une alimentation de qualité, dit-il, et que les consommateurs puissent y avoir accès sans dépenser plus (avec l'argent qu'ils paient déjà comme contribuables)". Il plaide pour des contrats tripartites qui lient les distributeurs, les transformateurs et les paysans qui doivent se structurer collectivement. Il faut en finir avec les monocultures, revenir à des fermes à taille humaine, cesser de consommer des terres agricoles, mettre la rémunération du paysan au centre du projet. La grande distribution impose ses lois impitoyables. Aux consommateurs de jouer, en achetant le plus possible directement aux producteurs, chez eux, sur les marchés, via les AMAP, les "paniers de pays", les coopératives. Et aux agriculteurs de changer leur fusil d'épaule en racourcissant les marchés. Quel sens y a-t-il à vouloir vendre "à tout prix" des produits alimentaires à l'autre bout de la planète? Quel sens y a-t-il à s'opposer à la vente dans son propre pays de produits venant de l'étranger tout en cherchant à vendre les siens à l'extérieur de ses frontières?
La solution ne viendra pas des politiques. Aucun parmi tous ceux qui viennent faire leur cirque affligeant au salon de l'agriculture ne remet en question ce système absurde et suicidaire. Nombre d'entre eux ne font qu'utiliser les agriculteurs et les éleveurs pour se pavaner. La fille à papa Le Pen, est venue, s'il le fallait encore, faire la démonstration de sa vulgarité, elle qui veut "avoir la peau" du commissaire européen à l'agriculture (3). Quand on est si peu assidu au Parlement européen, il serait juste décent d'être plus discret et de respecter un minimum de correction. Mais sans doute est-ce trop lui demander.
Bref, les agriculteurs, s'ils veulent s'en sortir, devraient prendre leurs distances avec la FNSEA et avec les politiques de droite, de la sociale-démocratie et de l'extrême droite. Tout en tentant d'échapper à la grande distribution. On voit par là que le secteur n'est pas sauvé.

(1) (re)lire sur ce blog "Adieu, veaux, vaches, cochons", 21 septembre 2015
(2) http://www.liberation.fr/debats/2016/02/28/crise-agricole-traduire-la-fnsea-en-justice_1436310
(3) http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20160301.AFP8479/marine-le-pen-fn-veut-la-peau-du-commissaire-europeen-a-l-agriculture.html

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